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10/03/2020 | FRANCE | N°16VE02372

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 10 mars 2020, 16VE02372


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier René Dubos de Pontoise à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis lors de l'opération de son oeil droit.

Par un jugement n°1405036 du 31 mai 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 27 juillet 2016 et le 11 février 2020, M. B..., repr

ésenté par Me Chaussonniere, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement du 31 mai 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier René Dubos de Pontoise à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis lors de l'opération de son oeil droit.

Par un jugement n°1405036 du 31 mai 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 27 juillet 2016 et le 11 février 2020, M. B..., représenté par Me Chaussonniere, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement du 31 mai 2016 ;

2° d'ordonner une expertise avant dire droit ;

3° de condamner le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation de la souffrance morale issue du préjudice d'impréparation ;

4° à titre subsidiaire en l'absence d'expertise, de condamner le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 63 748 euros en réparation des divers préjudices subis ;

5° de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le centre hospitalier a commis une faute dans l'organisation du service dès lors que l'opération de l'oeil aurait dû être effectuée immédiatement et qu'elle n'a eu lieu que le 21 août 2006 ;

- le centre hospitalier aurait dû apprécier l'urgence en fonction du décollement de la rétine constaté le 4 août 2006 ;

- l'expert a failli à sa mission en appréciant l'urgence en fonction des déclarations du patient et non en fonction des constatations médicales du 4 août 2006 ;

- le centre hospitalier a manqué à son obligation d'information en ne l'informant pas des conséquences des délais de prise en charge sur les chances de succès de la récupération, et il n'a pas été informé préalablement à son intervention du 5 septembre 2006 ; il n'a donc pas pu se préparer psychologiquement ;

- le trou rétinien constaté lors de l'intervention du 5 septembre 2006 ne l'a jamais été auparavant, ce qui signifie que l'implant installé à la suite de l'opération de la cataracte en 2000 a été endommagé ; l'expert a noté l'absence d'ablation du silicone; le requérant n'a pas été informé des conséquences d'une ablation ou non du silicone, alors qu'il est source d'inflammations ;

- au regard des lacunes du rapport d'expertise, une nouvelle expertise s'impose ;

- les conclusions indemnitaires seront chiffrées à l'issue du nouveau rapport d'expertise.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., substituant Me A... C..., pour le centre hospitalier.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B..., né en 1949, a été opéré de la cataracte de l'oeil droit en juillet 2000. Il a ensuite subi une capsulotomie au laser Yag pour ouvrir la capsule postérieure à droite. Le 4 août 2006 il s'est rendu au centre hospitalier en raison d'une baisse de l'acuité visuelle constatée depuis environ trois mois selon ses dires. Le diagnostic d'hémorragie intravitréenne a alors été posé et une vitrectomie a été réalisée le 21 août 2006. Une échographie réalisée en post-opératoire a mis en évidence un décollement de rétine total. Une nouvelle opération a été réalisée le 5 septembre 2006 qui n'a pas permis la réapplication de la rétine et de sauver la vision de l'oeil droit. Une expertise a été ordonnée par le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le rapport d'expertise a été rendu le 24 septembre 2013. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices subis. Il demande en outre en appel, la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation d'un préjudice d'impréparation psychologique.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier aux conclusions tendant à la réparation du préjudice d'impréparation psychologique :

2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

3. M. B... demande pour la première fois en appel réparation du préjudice d'impréparation psychologique du fait du défaut d'information, ce chef de préjudice se rapporte au même fait générateur, soit les conditions de sa prise en charge au centre hospitalier, et n'excède pas le montant global demandé devant les premiers juges. Par suite, les conclusions tendant à réparer ce chef de préjudice ne constituent pas une demande nouvelle en appel. La fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier doit, par suite, être écartée.

Sur la demande d'expertise :

4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

5. Il résulte de l'instruction qu'une expertise a été réalisée par le Dr Chaine désigné par ordonnance du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise à la demande de M. B..., ayant notamment pour objet de donner son avis sur les soins prodigués, de déterminer si des fautes ont été commises, de déterminer les raisons de la dégradation de l'état de l'oeil droit de M. B.... Le rapport d'expertise, déposé le 24 septembre 2013, a été critiqué par le requérant qui soutient que le centre hospitalier est fautif de ne pas l'avoir opéré immédiatement après sa consultation du 4 août 2006, et aurait dû procéder à l'ablation du silicone. Toutefois, au-delà de ces affirmations, le requérant n'apporte aucun document d'ordre médical de nature à mettre en doute les conclusions de ce rapport, qui d'ailleurs concordent avec le rapport établi le 15 avril 2011 dans le cadre d'un compromis d'arbitrage, ainsi qu'avec le rapport d'expertise établi pour la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Ile-de-France. Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'expert s'est vu remettre l'ensemble des pièces du dossier médical du requérant. Dans ces conditions, l'expertise demandée ne présente pas un caractère utile. Par suite, il n'y a pas lieu pour la Cour d'ordonner une nouvelle expertise.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

Sur les fautes invoquées dans le fonctionnement et l'organisation du service, et des actes chirurgicaux :

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute."

7. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le décollement de la rétine de l'oeil droit du requérant, responsable de la perte de vision, serait intervenu peu de temps avant la consultation du 4 août 2006, M. B... ayant déclaré lors de cette consultation souffrir d'une baisse d'acuité visuelle depuis trois mois. Par suite, si la rapidité de l'intervention chirurgicale à la suite d'un décollement de la rétine est important pour le succès de l'opération de réapplication, aucune faute du centre hospitalier ne peut être retenu dans le fait de n'avoir pas programmé quasiment immédiatement après la consultation du 4 août 2006 l'opération réalisée le 21 août suivant.

8. En deuxième lieu, si le requérant soutient qu'un contrôle aurait dû avoir lieu 7 jours après la première vitrectomie réalisée le 21 août 2006, alors qu'il n'a été réopéré que le 5 septembre 2006, le rapport d'expertise ne retient toutefois aucune faute à ce titre, et indique qu'il a été opéré selon les techniques actuelles, conformes à la science actuelle et qu'aucun élément ne permettait de dire que les interventions chirurgicales seraient à l'origine de la perte de vision, ni qu'une intervention ultérieure plus précoce aurait pu permettre de meilleures chances de succès. Quant à l'absence d'ablation du silicone injectée, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait permis de réduire les troubles inflammatoires dont souffre le requérant, ni qu'elle serait à l'origine du préjudice dont il demande réparation. Aucune faute du centre hospitalier ne peut par suite être retenue à raison des opérations des 21 août et 5 septembre 2006.

Sur le manquement à l'obligation d'information :

9. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) "

10. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

11. M. B... demande pour la première fois en appel réparation du préjudice d'impréparation psychologique du fait de l'absence d'information reçue sur les risques d'échec des opérations et de cécité en découlant. La notice d'information générale sur le décollement de la rétine transmise par le centre hospitalier indiquant que dans la très grande majorité des cas, une réapplication rétinienne est obtenue, ne permettait pas d'être informé des risques d'échec de l'opération, notamment en cas de décollement ancien de la rétine. Si un tel défaut d'information n'a pas fait perdre pour le requérant une chance d'éviter la cécité de son oeil droit en raison de l'ancienneté du décollement de la rétine, M. B... est en revanche en droit d'obtenir réparation des troubles subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer psychologiquement à l'éventualité d'un échec des opérations. Son préjudice psychologique sera justement évalué en lui allouant une indemnité de 1000 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il ne lui a accordé aucune indemnité pour le préjudice d'impréparation.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B... qui n'est pas la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du centre hospitalier de Pontoise le versement à M. B... d'une somme de 1 000 euros à ce titre.

D E C I D E:

Article 1er : Le centre hospitalier de Pontoise est condamné à verser à M. B... une indemnité de de 1 000 euros en réparation du préjudice psychologique.

Article 2: Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Pontoise versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise au titre de de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

2

N°16VE02372


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE02372
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : LetP ASSOCIATION D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-03-10;16ve02372 ?
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