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29/09/2020 | FRANCE | N°17VE00310

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 29 septembre 2020, 17VE00310


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 164 783 euros au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'accident iatrogène dont elle a été victime.

Par un jugement n° 1400867 du 18 octobre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a partiellement fait droit aux demandes de la requérante e

n condamnant l'ONIAM à lui verser en réparation des préjudices qu'elle a subis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 164 783 euros au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'accident iatrogène dont elle a été victime.

Par un jugement n° 1400867 du 18 octobre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a partiellement fait droit aux demandes de la requérante en condamnant l'ONIAM à lui verser en réparation des préjudices qu'elle a subis la somme de 255 012,07 euros, après déduction de la provision de 190 000 euros allouée par ordonnance du 7 août 2014 du juge des référés du tribunal.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017 et régularisée le 9 mars 2017, et un mémoire enregistré le 2 octobre 2018, Mme B..., représentée par Me Binisti, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner l'ONIAM à lui verser, à titre principal, la somme de 2 220 611 euros et, à titre subsidiaire, la somme de 2 200 562 euros, en réparation des préjudices subis, la somme de 190 000 euros allouée par ordonnance du 7 août 2014 du juge des référés du tribunal devant être déduite ;

3° de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme fixée dans le dernier état de ses écritures à 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a été victime d'un aléa thérapeutique, à la suite de la prise d'éthambutol, qui a provoqué chez elle une baisse drastique de l'acuité visuelle, et que ce préjudice doit être indemnisé comme suit :

- 4 985 euros au titre des frais divers ;

- 77 480 euros à titre principal, 65 333 euros à titre subsidiaire, au titre de l'aide d'une tierce personne pour la période antérieure à la consolidation du dommage ;

- 1 761 396 euros à titre principal, 1 753 494 euros à titre subsidiaire, au titre de l'aide d'une tierce personne pour la période postérieure à la consolidation ;

- 14 875 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence ;

- 294 875 euros au titre de l'atteinte à l'intégrité physique et psychique ;

- 5 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- 2 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

- 60 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., née le 9 novembre 1958, souffre d'une néphropathie d'origine indéterminée depuis mars 2007, responsable d'une insuffisance rénale chronique. Elle a bénéficié au CHU de Rouen, le 7 septembre 2008, d'une greffe rénale. De graves complications sont apparues à la suite de cette opération sur l'état général de Mme B..., qui a été diagnostiquée comme présentant une tuberculose. Il lui a alors été prescrit la prise d'une quadrithérapie antituberculeuse, avec notamment l'administration d'éthambutol. Dès le 25 septembre 2009, Mme B... souffrait d'une baisse importante de l'acuité visuelle, reconnue ensuite comme une névrite optique liée à la prise d'éthambutol. Depuis, Mme B... présente une baisse sévère de l'acuité visuelle et une boiterie du membre inférieur gauche. La requérante a donc saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI), sur la base de l'aléa thérapeutique, d'une demande d'avis sur l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Après un premier rapport de deux experts du 9 juin 2011, la CRCI a ordonné un complément d'expertise par décision du 21 juin 2012. Le rapport définitif ayant été produit par les trois experts le 20 septembre 2012, la CRCI a estimé que les conditions d'intervention de la solidarité nationale étaient réunies, et a ainsi proposé la prise en charge par l'ONIAM des préjudices retenus, par avis du 18 décembre 2012. L'ONIAM a alors adressé une offre d'indemnisation le 23 avril 2013, s'élevant au total à 40 745 euros. Cette offre a été refusée par Mme B... le 26 juillet 2013, qui, le même jour, a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles d'un référé provision contre l'ONIAM. Par ordonnance n° 1304519 du 7 août 2014, le tribunal a accordé une provision de 190 000 euros à Mme B.... Cette dernière a également saisi le Tribunal administratif de Versailles, par requête du 7 février 2014, d'une demande d'indemnisation de ses préjudices. Par un jugement du 18 octobre 2016, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Yvelines, le tribunal a partiellement fait droit à la demande indemnitaire de Mme B..., en lui accordant la somme de 255 012,07 euros après déduction de la provision de 190 000 euros. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à sa demande d'indemnisation.

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

S'agissant des frais divers :

2. Outre le remboursement des frais d'assistance à expertise, évalués à 320 euros, prononcé par le jugement attaqué, qu'il y a lieu de confirmer, Mme B... demande l'indemnisation de frais divers de transports, forfaitisés à 500 euros. Toutefois, en l'absence de toute justification de la réalité de ces frais, cette demande doit être rejetée. Mme B... demande également le remboursement de la facture d'expertise de Mme A..., ergothérapeute, qu'elle produit dans son dernier mémoire, d'un montant de 4 164,71 euros. Les rapports des experts désignés par la CRCI sommaires sur les besoins d'assistance par tierce personne ne permettant pas de déterminer précisément ces besoins, l'expertise de l'ergothérapeute sollicitée par la requérante présente une utilité, alors même qu'elle ne revêt pas un caractère contradictoire. Il y a donc lieu de condamner l'ONIAM à rembourser cette somme à Mme B.... Par conséquent, la somme totale de 4 484,71 euros sera allouée à la requérante au titre des frais divers.

S'agissant des frais d'assistance par tierce personne :

3. D'une part, le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière. D'autre part, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire des sommes allouées à la victime du dommage au titre de l'assistance par tierce personne, les prestations versées par ailleurs à cette victime et ayant le même objet. Il en va ainsi tant pour les sommes déjà versées que pour les frais futurs. Cette déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune.

Quant à l'assistance par tierce personne pour la période antérieure à la consolidation :

4. Pour la période antérieure à la consolidation du dommage, soit du 25 septembre 2009 au 13 mai 2011, Mme B... soutient que l'évaluation du rapport des experts de la CRCI, fixant à 2 heures trois fois par semaine la durée de ses besoins au titre de l'assistance par tierce personne, ne tiendrait pas compte de l'aide familiale quotidienne dont elle bénéficie. Elle considère, notamment sur le fondement du rapport établi par Mme A..., que ce préjudice doit être réévalué à 77 480 euros.

5. Il résulte de l'ensemble des éléments de l'instruction que le besoin d'assistance par tierce personne de Mme B... doit être fixé à 2 heures par jour. Afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu de calculer l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours. Il sera par ailleurs fait une juste appréciation du préjudice subi en l'indemnisant sur la base d'un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 14,50 euros. Le préjudice résultant de la nécessité, pour Mme B..., de recourir à l'assistance d'une tierce personne doit ainsi, au titre de cette période, être évalué à la somme de 19 488 euros.

6. L'élément de la prestation de compensation du handicap mentionné au 1° de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles, correspondant aux charges liées à un besoin d'aides humaines, a le même objet que l'indemnité allouée à la victime au titre de l'assistance par tierce personne et ne peut faire l'objet d'un remboursement en cas de retour à meilleure fortune. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'elle soutient, que les prestations dont a bénéficié Mme B... au titre de la compensation du handicap résulteraient de son état de santé antérieur à la grave diminution de son acuité visuelle, il résulte des principes énoncés au point 3 que ces prestations, qu'elles aient pris la forme d'un versement direct à la requérante ou d'une rémunération d'un prestataire, doivent être déduites du montant de l'indemnisation qui lui est alloué par le présent arrêt. Il résulte de l'instruction que Mme B... a perçu pour cette période du conseil départemental des prestations d'un montant total de 12 237 euros et est donc fondée à demander la condamnation de l'ONIAM à lui verser une somme de 7 251 euros en réparation du préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne au titre de la période antérieure à la consolidation.

Quant à l'assistance par tierce personne pour la période postérieure à la consolidation :

7. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le besoin d'assistance de Mme B... ait évolué par rapport à la période précédente, celui-ci doit être également fixé à 2 heures par jour et le préjudice en résultant évalué selon les mêmes modalités que celles énoncées aux points 5 et 6 qui précèdent. Le préjudice résultant de la nécessité, pour Mme B..., de recourir à l'assistance d'une tierce personne doit ainsi, au titre de cette période, être évalué à la somme de 112 143 euros, dont il y a lieu de déduire le montant des prestations dont a bénéficié la requérante au titre de la prestation de compensation du handicap, telles qu'elles ressortent du dossier, soit un total de 8 476,79 euros sur la même période. Mme B... est donc fondée à demander la condamnation de l'ONIAM à lui verser une somme de 103 666,21 euros en réparation du préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne au titre de la période postérieure à la consolidation.

Quant à l'assistance par tierce personne pour la période future :

8. Il appartient au juge de décider si la réparation des préjudices futurs non couverts par des prestations des caisses de sécurité sociale doit prendre la forme du versement d'un capital ou d'une rente selon que l'un ou l'autre de ces modes d'indemnisation assure à la victime, dans les circonstances de l'espèce, la réparation la plus équitable. Au cas particulier de Mme B..., il y a lieu de lui allouer une rente fixée, selon les modalités énoncées précédemment, à 11 948 euros par an et dont il sera déduit, pour chaque année échue, le montant des prestations ayant pour objet la prise en charge financière des besoins en assistance d'une tierce personne dont bénéficiera Mme B..., montant qu'il lui appartiendra de justifier auprès de l'ONIAM. Cette rente sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les préjudices à caractère extrapatrimonial :

S'agissant du déficit fonctionnel :

9. Le déficit fonctionnel temporaire de Mme B... a été évalué à 75 % par les experts désignés par la CRCI et son déficit fonctionnel permanent à 80 %. Mme B... demande à la Cour de fixer à 14 875 euros l'indemnisation de son préjudice temporaire et à 280 000 euros l'indemnisation de son préjudice permanent. Compte tenu des taux retenus par les experts et de la durée de la période avant consolidation, une somme de 6 000 euros est allouée à la requérante en réparation de son déficit fonctionnel temporaire. S'agissant de la réparation de son déficit fonctionnel permanent, compte tenu du taux de 80 % et de l'âge de la requérante, la somme allouée à ce titre est fixée à 246 000 euros. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander la condamnation de l'ONIAM à lui verser la somme totale de 252 000 euros en réparation des préjudices résultant du déficit fonctionnel.

S'agissant des souffrances endurées :

10. Mme B... soutient que les souffrances qu'elle a endurées justifient une indemnisation de 5 000 euros. Ce poste de préjudice, estimé par les experts à 3 sur une échelle de 1 à 7, sera réparé par la condamnation de l'ONIAM à verser à l'intéressée une somme de 3 500 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

11. Il résulte des pièces du dossier que Mme B... a subi un préjudice esthétique de 1 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en l'estimant à 1 000 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

12. Il ressort du dossier que Mme B... a subi un préjudice d'agrément du fait de sa perte de loisirs. Il a été fait une juste appréciation de ce poste de préjudice par les premiers juges en fixant l'indemnité réparatrice à la somme de 10 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à demander en réparation de ses préjudices le versement d'une somme totale de 381 901,92 euros, dont la provision de 190 000 euros doit être déduite, ainsi que d'une rente annuelle de 11 948 euros, sous déduction pour chaque année échue du montant des prestations perçues par la requérante ayant le même objet, et qui sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. La requérante est, par suite, fondée à demander la réformation du jugement du 18 octobre 2016 du Tribunal administratif de Versailles.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à Mme B... une somme de 191 901,92 euros, ainsi qu'une rente annuelle de 11 948 euros à compter de la lecture du présent arrêt. Cette rente sera versée sous déduction, le cas échéant, de la somme que Mme B... percevra au titre de la prestation de compensation du handicap ou de toute autre allocation ayant le même objet au cours de chaque année et dont elle devra justifier au préalable auprès de l'ONIAM, et sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 2 : Le jugement n° 1400867 du 18 octobre 2016 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en tout ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'ONIAM versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

N° 17VE00310 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE00310
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme LE GARS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : BINISTI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-09-29;17ve00310 ?
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