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18/02/2021 | FRANCE | N°18VE04244

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 18 février 2021, 18VE04244


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui payer une somme de 10 832,32 euros correspondant à la rémunération d'heures supplémentaires qu'elle aurait effectuées au cours des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015, ainsi que les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600

788 du 19 octobre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui payer une somme de 10 832,32 euros correspondant à la rémunération d'heures supplémentaires qu'elle aurait effectuées au cours des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015, ainsi que les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600788 du 19 octobre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etat à verser à Mme B... l'indemnité prévue à l'article 1er du décret du 6 octobre 1950 et correspondant à 2,5 heures supplémentaires année au titre de l'année scolaire 2013/2014 et à 6 heures supplémentaires année au titre de l'année scolaire 2014/2015, a assorti la somme ainsi due des intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2015 et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2018, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- le tribunal a estimé à tort que la demande de Mme B... était recevable ; en application de la jurisprudence Czabaj du Conseil d'Etat du 23 juillet 2016, Mme B... n'était plus recevable à solliciter d'indemnisation pour les heures supplémentaires qu'elle aurait effectuées au cours de l'année scolaire 2013-2014, plus d'un an après avoir reçu notification de son état de service d'enseignement ; s'agissant des heures supplémentaires effectuées au cours de l'année scolaire 2014-2015, l'intervention d'un recours gracieux le 10 septembre 2015, près de neuf mois après la notification à Mme B... de son état de service d'enseignement est de nature à entraîner l'irrecevabilité de sa demande ;

- les premiers juges ont méconnu leur office en appliquant l'acquiescement aux faits prévu par les dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative aux déclarations de Mme B... concernant son maximum de service hebdomadaire et son nombre d'heures d'enseignement alors que l'existence d'heures supplémentaires années (HSA) est une question de qualification juridique ;

- le tribunal a méconnu le champ d'application de la loi en faisant application des dispositions du 2° de l'article 6 du décret du 25 mai 1950 fixant les obligations maximales de service des professeurs de mathématiques, de sciences-physiques et de sciences naturelles et non les dispositions du 2° de l'article 7 de ce décret applicables aux professeurs de langues vivantes ;

- sur le fond, pour l'année scolaire 2014-2015, Mme B... ne pouvait bénéficier des 6 heures supplémentaires années qu'elle réclame compte tenu de l'effectif des classes dans lesquelles elle enseignait ; en application des dispositions de l'article 4 du décret du 25 mai 1950, les maximums des services hebdomadaires sont majorés d'une heure pour les professeurs enseignant dans une classe dont l'effectif est inférieur à vingt élèves ; tel était le cas de Mme B... pour l'année 2014-2015 dont le maximum de service hebdomadaire était donc de 15 heures et non pas de 14 heures.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 50-581 du 25 mai 1950 ;

- le décret n° 50-1253 du 6 octobre 1950 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Clot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., professeur agrégée hors classe d'allemand affectée au lycée Alexandre Dumas de Saint-Cloud a sollicité, par un courrier du 10 septembre 2015, le paiement d'heures supplémentaires effectuées au cours des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015 pour un montant total de 10 832,32 euros. En l'absence de réponse du rectorat à sa demande,

Mme B... a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par le jugement attaqué du 19 octobre 2018, a condamné l'Etat à lui verser l'indemnité prévue à l'article 1er du décret du 6 octobre 1950 et correspondant à 2,5 heures supplémentaires année au titre de l'année scolaire 2013/2014 et à 6 heures supplémentaires année au titre de l'année scolaire 2014/2015, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2015. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".

3. Le ministre de l'éducation nationale soutient que les premiers juges ont méconnu leur office en retenant un acquiescement aux faits de l'administration concernant les heures supplémentaires années effectuées par Mme B... alors qu'il s'agit d'une question de qualification juridique. Toutefois, il résulte des termes du jugement contesté que le tribunal a seulement fait application des dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative concernant les déclarations de Mme B... quant au nombre d'heures d'enseignement qu'elle a assurées en classes préparatoires aux grandes écoles ainsi qu'au titre de ses activités à responsabilité académique. Sur ce point, le tribunal a pu faire application des dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative relatives à l'acquiescement du défendeur aux faits et n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.

4. En second lieu, si le ministre soutient que le tribunal a commis une erreur de droit et méconnu le champ d'application de la loi, un tel moyen se rattache au raisonnement qu'il a suivi et est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Au fond :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

5. D'une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d'en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance.

6. D'autre part, l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.

7. Il résulte de l'instruction que, s'agissant des heures supplémentaires qui auraient été effectuées au cours de l'année scolaire 2013-2014, Mme B... a reçu notification de l'état de service d'enseignement du 17 mars 2014 le jour même puisque le document comporte une annotation manuscrite de l'intimée indiquant son intention de le contester auprès du recteur et mentionnant la date du 17 mars 2014. Toutefois, Mme B... n'a saisi le recteur en vue de la régularisation de la comptabilisation et de la rémunération de ses heures supplémentaires que le 10 septembre 2015 et n'a formé un recours contentieux que le 7 janvier 2016, sans soutenir que des circonstances particulières, propres à sa situation, l'auraient empêchée d'exercer un recours dans l'année suivant la notification de cet état de service d'enseignement. Dans ces conditions, il résulte des motifs énoncés précédemment que l'état de services d'enseignement, qui a un objet exclusivement pécuniaire dès lors qu'il a pour unique objet de permettre le versement à chaque enseignant de l'indemnité correspondant aux heures supplémentaires réalisées, est une décision individuelle explicite à objet exclusivement pécuniaire, est devenu définitif. Par suite, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que les conclusions à fin d'indemnisation de Mme B... fondées sur l'illégalité de l'état de service d'enseignement notifié au titre de l'année scolaire 2013-2014 n'étaient pas recevables et à demander l'annulation du jugement sur ce point.

8. S'agissant des heures supplémentaires qui auraient été effectuées au cours de l'année scolaire 2014-2015, il résulte de l'instruction que Mme B... a reçu notification de l'état des services d'enseignement le 27 janvier 2015. En l'absence de mention des voies et délais de recours, l'intimée était tenue de contester cette décision dans un délai raisonnable n'excédant pas une année à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée. Dès lors que le recours gracieux de l'intéressée a été reçu le 11 septembre 2015 et le recours contentieux enregistré au greffe du tribunal administratif de Versailles le 7 janvier 2016, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports n'est pas fondé à soutenir que les conclusions de Mme B... tendant au paiement d'heures supplémentaires effectuées au cours de l'année scolaire 2014-2015 étaient irrecevables car tardives.

En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de paiement d'une indemnité d'heures supplémentaires :

9. Aux termes de l'article 1er du décret du 25 mai 1950 portant règlement d'administration publique pour la fixation des maximums de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré alors en vigueur : " Les membres du personnel enseignant dans les établissements du second degré sont tenus de fournir, sans rémunération supplémentaire, dans l'ensemble de l'année scolaire, les maximums de services hebdomadaires suivants : A) Enseignements littéraires, scientifiques, technologiques et artistiques : Agrégés : quinze heures ; (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Les maximums de services hebdomadaires prévus dans les rubriques A et B de l'article 1er du présent décret sont majorés d'une heure pour les professeurs et chargés d'enseignement qui enseignent dans une classe dont l'effectif est inférieur à vingt élèves (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Les maximums de services prévus à l'article 1er sont diminués d'une heure pour les professeurs de première chaire. / Sont professeurs de première chaire : (...) Les professeurs de mathématiques, sciences physiques et naturelles, histoire et géographie, lettres et langues vivantes qui donnent au moins six heures d'enseignement dans les classes préparatoires aux grandes écoles figurant sur une liste arrêtée par décision ministérielle, ou à l'enseignement supérieur, dans les classes de philosophie, de sciences expérimentales, de mathématiques ou dans la classe de première. (...) ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " (...) 2° Le maximum de service des professeurs qui n'assurent dans la classe de première supérieure ou dans celle de lettres supérieures qu'une partie de leur service est fixé conformément aux articles 1er et 4 du présent décret. Toutefois, chaque heure d'enseignement faite soit en première supérieure, soit en lettres supérieures est comptée pour une heure et demie, sous réserve : a) Que dans le décompte des heures faites dans lesdites classes, les heures consacrées au même enseignement dans deux divisions ou sections d'une même classe ne soient comptées qu'une fois ; b) Que le maximum de service effectif du professeur ne devienne pas, de ce fait, inférieur à celui prévu au 1° ci-dessus pour un professeur donnant tout son enseignement dans lesdites classes. (...) ". Enfin aux termes de l'article 1er du décret du 6 octobre 1950 alors en vigueur : " Les personnels visés par les décrets n° 50-581 à 50-583 du 25 mai 1950 susvisés dont les services hebdomadaires excèdent les maxima de services réglementaires reçoivent, par heure supplémentaire et sous réserve des dispositions légales relatives au cumul des traitements et indemnités, une indemnité non soumise à retenue pour pension civile. (...) ".

10. Il résulte de l'instruction que Mme B... a sollicité au titre de l'année scolaire 2014-2015 le paiement de 6 heures supplémentaires années (HSA) en faisant valoir, sans être contestée, qu'elle avait accompli 7 heures de service en classes préparatoires aux grandes écoles, représentant 10,5 heures, ainsi que 9,5 heures d'activités à responsabilité académique. Elle a également comptabilisé 1 heure de première chaire, soit un service s'élevant selon elle à 21 heures. Toutefois, si son service maximal était effectivement diminué de 15 heures à 14 heures en sa qualité de professeur de première chaire, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports fait valoir, sans être contesté, qu'en application de l'article 4 du décret du 25 mai 1950, son service maximal au titre de l'année en litige devait être majoré d'une heure dès lors qu'elle enseignait dans des classes ayant un effectif inférieur à vingt élèves. Ainsi,

Mme B... doit bénéficier de 5 HSA au titre de l'année scolaire 2014-2015.

11. Il résulte de de tout de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu la recevabilité de la demande de paiement d'HSA de Mme B... au titre de l'année 2013-2014 et a fixé à 6 et non à 5 le nombre d'HSA dont elle doit bénéficier au titre de l'année 2014-2015.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1600788 du 19 octobre 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à Mme B... l'indemnité correspondant à 2,5 heures supplémentaires au titre de l'année scolaire 2013-2014.

Article 2 : Le nombre d'heures supplémentaires année que l'Etat a été condamné à verser par l'article 1er du jugement n° 1600788 du 19 octobre 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise au titre de l'année scolaire 2014-2015 est ramené de six à cinq.

Article 3 : Le jugement n° 1600788 du 19 octobre 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de Mme B... présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

2

N° 18VE04244


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04244
Date de la décision : 18/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-08-03 Fonctionnaires et agents publics. Rémunération. Indemnités et avantages divers.


Composition du Tribunal
Président : M. CAMENEN
Rapporteur ?: Mme Jeanne SAUVAGEOT
Rapporteur public ?: M. CLOT
Avocat(s) : COLMANT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-02-18;18ve04244 ?
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