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08/07/2021 | FRANCE | N°17VE02098

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 08 juillet 2021, 17VE02098


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... J... et Mme D... B..., en leur nom propre, et en leur qualité de représentants de leur enfant mineur I..., M. H... C... et M. F... C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. J... une somme de 2 783 720,72 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de l'intervention chirurgicale du 14 octobre 2011, à Mme B..., la so

mme de 40 000 euros, à M. J... et à Mme B... en leur qualité de représent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... J... et Mme D... B..., en leur nom propre, et en leur qualité de représentants de leur enfant mineur I..., M. H... C... et M. F... C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. J... une somme de 2 783 720,72 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de l'intervention chirurgicale du 14 octobre 2011, à Mme B..., la somme de 40 000 euros, à M. J... et à Mme B... en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur la somme de 15 000 euros, à MM. Benjamin et Clément C..., la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête.

Par un jugement n° 1400142 du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'ONIAM à verser à M. J... une somme de 1 644 595,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2014, a taxé les frais d'expertise à la charge de l'ONIAM à la somme de 10 698,12 euros toutes taxes comprises et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 juillet 2017 et le 16 avril 2018, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, avocat, demande à la cour :

- à titre principal, de constater que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies et d'annuler le jugement n° 1400142 et rejeter les demandes des consorts J... ;

- à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise et de confier aux experts la mission de décrire, au regard des données de santé propres à M. J..., l'évolution prévisible de son état de santé en l'absence d'intervention, de préciser le taux de survenue d'une paraplégie lors d'une ostéotomie pour les personnes atteintes de lombalgies et d'une dordo-lombaire avec spondylarthrite ankylosante, d'indiquer si l'état physique et psychique de M. J... a évolué depuis le 21 mars 2013 et, dans l'affirmative, de fixer le taux de déficit fonctionnel permanent ;

- à titre infiniment subsidiaire, de liquider les préjudices de M J... comme suit :

- 11 041,56 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;

- 2 307 euros au titre des frais divers ;

- 3 000 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels ;

- 5 282,63 euros au titre de l'aide humaine temporaire ;

- 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- 181 202,88 euros au titre de l'aide humaine future ;

- 166 304,75 euros au titre des frais d'aménagement du logement ;

- 6 000 euros au titre des frais d'adaptation du véhicule ;

- 7 688 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 15 561 euros au titre des souffrances endurées ;

- 106 156 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- 15 561 euros au titre du préjudice esthétique ;

- 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- 10 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Il soutient que :

- l'accident médical en cause n'a pas eu pour M. J... des conséquences anormales au regard de l'état de santé ni de l'évolution prévisible de celui-ci ;

- le dommage n'est pas notablement plus grave que celui auquel pouvait conduire l'évolution de la maladie ;

- la survenance du dommage ne présentait pas une faible probabilité ;

- le fait que M. J... n'aurait pas souffert de conséquences neurologiques en l'absence d'intervention ne suffit pas à considérer que la condition de gravité exigée par le Conseil d'Etat est remplie ; s'il est vrai que les experts n'ont pas fait état de potentiels risques vasculaires, ou cardiaques, en l'absence d'intervention, il s'avère que les premiers experts n'ont pas été interrogés sur cette question ; quant au second expert, celui-ci n'a aucunement expliqué quelles auraient été les conséquences de l'absence d'une intervention ; même si la pathologie de M. J... n'avait pas eu de conséquences neurologiques, elle aurait évolué dans les quatre ans vers un déficit fonctionnel de 60 % ; la condition d'anormalité ne saurait être remplie par la seule comparaison de la nature des complications ni par une description générale des conséquences inévitables d'une pathologie sans prise en considération des données du patient ; le risque de paralysie était connu ;

- le tribunal s'appuie sur deux rapports d'expertise qui ne permettent pas de répondre à la question de la gravité des dommages sans intervention ; les experts ont retenu un état dépressif à la date de sortie de l'hospitalisation alors que le devenir de M. J... était incertain ;

- l'ONIAM intervenant au titre de la solidarité nationale, seuls les matériels indispensables peuvent être pris en charge, ce qui n'est pas le cas des fauteuils liés à la pratique d'activités de loisirs ;

- les frais de téléphone et de location d'un téléviseur ne sont pas liés à la paraplégie et les frais liés à la procédure devront être limités à la somme de 700 euros suivant référentiel ;

- s'agissant de la perte de gains professionnels, M. J... a bénéficié d'un maintien de salaire jusqu'au 31 juillet 2012 ;

- il convient d'évaluer le besoin d'aide humaine sur une base de 13 euros de l'heure et de demander à M. J... de produire les documents relatifs à la prestation de compensation du handicap.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,

- et les observations de Me E... pour les consorts J....

Considérant ce qui suit :

1. M. J..., né en 1973, a subi, le 14 octobre 2011, à l'hôpital Beaujon de Clichy, une ostéotomie transpédiculaire dorsale multi-étagée associée à une osthéosynthèse étendue dans le cadre de la prise en charge d'une spondylarthrite ankylosante avec cyphose à 90°. A la suite de cette intervention, il a présenté des troubles neurologiques évoluant vers une paraplégie. M. J... a demandé la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 2 783 720,72 euros en réparation des préjudices subis, à Mme B..., sa compagne, la somme de 40 000 euros, à M. J... et à Mme B... en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur la somme de 15 000 euros, à MM. Benjamin et Clément C..., la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête. Par un jugement n° 1400142 du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'ONIAM à verser à M. J... une somme de 1 644 595,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2014, a taxé les frais d'expertise à la charge de l'ONIAM à la somme de 10 698,12 euros TTC et a rejeté le surplus des conclusions des parties. L'ONIAM sollicite en appel l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de première instance, à titre subsidiaire qu'il soit ordonné une nouvelle expertise et, à titre encore plus subsidiaire, que la réparation des préjudices soit réduite. Les consorts J... demandent, par la voie de l'appel incident, la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. J... une somme de 64 749,85 euros en réparation des préjudices patrimoniaux temporaires, une somme de 2 353 753,80 euros en réparation des préjudices patrimoniaux permanents, une somme de 72 377,50 euros en réparation des préjudices personnels temporaires et une somme de 560 000 euros en réparation des préjudices personnels permanents qu'il a subis à la suite de l'intervention chirurgicale du 14 octobre 2011, à Mme B..., la somme de 40 000 euros, à M. J... et à Mme B... en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur la somme de 15 000 euros, à MM. Benjamin et Clément C..., la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".

3. En vertu du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP), l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du même code. La condition d'anormalité du dommage doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Il en va ainsi des troubles, entraînés par un acte médical, survenus chez un patient de manière prématurée, alors même que l'intéressé aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l'évolution prévisible de sa pathologie. L'article L. 1142-1 du CSP fait obstacle, en l'absence de certitude quant au terme auquel des troubles seraient apparus en l'absence d'accident, à ce que leur réparation par la solidarité nationale soit limitée jusqu'à une telle échéance.

4. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

5. Il résulte de l'instruction que M. J..., qui souffrait d'une spondylarthrite ankylosante avec cyphose à 90° entraînant des douleurs, une gêne de l'horizontalité du regard, une gêne esthétique et une déformation thoracique, s'est trouvé, quelques heures après l'intervention chirurgicale pratiquée, atteint d'un déficit moteur des deux membres inférieurs entraînant un déficit fonctionnel permanent d'un taux évalué par les premiers experts judiciaires à 70 %. Il résulte du second rapport d'expertise judiciaire du docteur Pernot que, " en l'absence du geste chirurgical proposé, l'évolution spontanée n'aurait pas été celle observée ". Si l'ONIAM fait valoir, en se fondant sur l'avis d'un médecin qu'il a sollicité postérieurement aux opérations d'expertise, que l'état de santé de M. J... aurait probablement continué à se dégrader jusqu'à atteindre, dans les quatre ans, un déficit fonctionnel permanent de l'ordre de 60 %, d'une part, de l'aveu même de ce médecin, " il est très difficile dans ce type de pathologie inflammatoire de présumer de l'évolution clinique du patient sans une prise en charge chirurgicale ", d'autre part, le déficit moteur des deux membres inférieurs, les troubles sphinctériens et la dépression subis consécutivement à l'acte de soins ne peuvent qu'être regardés que comme notablement plus graves que les douleurs et les troubles esthétiques liés à son état initial dont l'évolution ne présentait aucun caractère certain. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin d'ordonner la nouvelle expertise sollicitée, les conséquences de l'acte médical, à l'origine du dommage subi, doivent, dans ces conditions, être regardées comme anormales, tant au regard de l'état de santé antérieur de M. J... que de l'évolution prévisible de celui-ci. En tout état de cause, et à supposer même qu'en l'absence d'intervention, l'état de santé de M. J... se serait dégradé jusqu'à atteindre un déficit fonctionnel permanent de l'ordre de 60 %, l'ONIAM n'établit pas, en se bornant à produire des articles en anglais et une note, postérieure à l'expertise, du professeur Littré, qui évalue le risque lié à l'intervention à 20 % sur le fondement de données générales qui concernent tous les types de complications, infectieuses neurologiques et mécaniques pour tous les types de maladies que le risque lié à l'intervention subie par M. J... n'était pas faible, dès lors que le docteur Pernot qui a réalisé la seconde expertise, le 8 décembre 2014, à partir des données médicales propres à M. J... retient un risque de complication neurologique médullaire allant de 1 à 2,5 %. Dans ces conditions, les conséquences de cet acte médical non fautif ouvrent droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale sur le fondement des articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique et l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu qu'il devait assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages subis.

Sur les préjudices de M. J... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Quant aux dépenses de santé et aux frais de matériels médical :

6. M. J... sollicite une somme de 37 054,27 euros en réparation de ses préjudices. Les premiers experts ont estimé que M. J... avait besoin d'un fauteuil roulant et d'un fauteuil électrique à prévoir et à renouveler tous les cinq ans et de matériel médical de soins. Il y a lieu, par voie de conséquence, de lui accorder les sommes restées à sa charge de 2 298,35 euros au titre de l'achat d'un fauteuil roulant manuel, de 6 218,98 euros au titre de la troisième roue électrique pour fauteuil roulant, de 10 euros au titre de l'achat d'une pince à ramasser les objets, de 3 euros au titre des frais de participation forfaitaire, de 25,80 euros au titre des frais liés aux bas de contention, de 1 883,62 euros au titre d'un lit médicalisé avec potence, de 509 euros au titre d'un matelas anti-escarre, de 1 303 euros au titre d'un fauteuil de douche, soit un total de 12 247,95 euros. Les autres demandes présentées au titre de l'achat d'autres fauteuils roulants pour la maison ou pour la plage, d'une autre potence de lit, ainsi que d'équipements liés aux loisirs, qui n'entrent pas dans les prévisions des experts judiciaires mandatés par le tribunal, ne peuvent être indemnisées à ce titre.

Quant aux frais divers :

7. M. J... sollicite la somme de 13 227,52 euros au titre des frais divers incluant les frais de copie de son dossier médical, d'assistance à expertise, les frais de location d'un téléviseur et les frais de téléphone exposés lors de ses soins de suite à Granville. Il y a lieu de faire droit à l'intégralité de ces demandes. En l'absence de contestation sur la réalité des frais engagés, il n'y a pas lieu comme le demande l'ONIAM de forfaitiser les frais liés aux expertises ni de rejeter les frais de téléphone et de télévision qui n'auraient pas été exposés, au cours de la très longue rééducation à laquelle il a été soumis et qui sont, au demeurant, mineurs.

Quant aux pertes de revenus actuels :

8. Il résulte de l'instruction que l'arrêt de travail résultant de l'intervention chirurgicale subie par le requérant le 14 octobre 2011 aurait été, sans complications, de trois mois. Ainsi, il convient de retenir pour le calcul de ce chef de préjudice la période allant du 14 janvier 2012 au 23 mai 2013, date de consolidation. Si l'ONIAM soutient que M. J... a bénéficié d'un maintien de son salaire jusqu'au 31 juillet 2012, ces allégations sont contredites par les pièces du dossier qui établissent que M. J..., dont le salaire mensuel antérieur à l'opération était de 1 609 euros, soit 19 308 euros annuels, a été indemnisé par des indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant de 14 998,50 euros et un revenu de remplacement versé par la caisse de prévoyance Quatrem d'un montant de 4 245,40 euros. Il a ainsi subi une perte de gains professionnels actuels d'un montant de 26 280 euros. Après déduction des revenus de remplacement versés à M. J..., la perte subie par ce dernier s'élève à une somme de 7 036 euros qu'il n'y a pas lieu de majorer par application de l'indice des prix à la consommation, dès lors que cette somme a vocation à être assortie d'intérêts.

Quant aux besoins en aide humaine avant consolidation :

9. Il résulte de l'instruction qu'avant le 23 mai 2013, date de la consolidation de l'état de santé, M. J... a bénéficié de 67 jours de permission à son domicile et qu'entre le retour définitif du requérant à son domicile, le 21 mars 2013, et la consolidation il s'est écoulé 63 jours. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire, et n'est pas contesté, que M. J... avait besoin d'une assistance de 4 heures par jour. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail. Il y a lieu de retenir pour les périodes concernées, soit 520 heures, un coût horaire brut augmenté des charges sociales applicables et des congés payés, de 14,30 euros. Ainsi, il sera fait une exacte évaluation de ce chef de préjudice en l'évaluant à une somme de 7 436 euros de laquelle il n'y a pas lieu de déduire la prestation de compensation du handicap dès lors que M. J... établit qu'il ne l'a obtenue que pour l'aménagement de son domicile et le remboursement d'aides techniques sur facture.

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

Quant aux dépenses de santé :

10. Il n'est pas contesté que M. J... doit exposer des frais liés à l'achat de gants, protections, lingettes, sondes et bas de contention ainsi qu'à l'achat de Cialis pour un coût annuel de 6 359,10 euros. Dans ces conditions, M. J... est fondé à demander le remboursement des dépenses échues qui vont du 23 mai 2013, date de la consolidation de son état de santé, au 8 juillet 2021, date du présent arrêt, soit la somme de 51 667,59 euros. Pour évaluer les arrérages à échoir, il convient d'appliquer à la somme annuelle de 6 359,10 euros le taux de rente viagère de 29,173 applicable à un homme de 48 ans à la date de la liquidation figurant à la Gazette du palais du 28 novembre 2017. Il y a ainsi lieu d'allouer à M. J... la somme totale de 237 181,71 euros de ce chef.

Quant aux frais d'appareillage :

11. Pour les mêmes motifs qu'exposés au point 6, il n'y a lieu de prendre en charge pour la période future, que les coûts liés à l'utilisation d'un fauteuil roulant manuel, d'une roue pour fauteuil roulant électrique, d'un fauteuil de douche, d'un matelas anti-escarre et d'un lit médicalisé. Il y a lieu d'estimer la durée moyenne d'utilisation du fauteuil roulant manuel, de la roue pour fauteuil roulant électrique et du fauteuil de douche à 5 ans. La durée moyenne d'utilisation du lit médicalisé doit être fixée à 10 ans et celle du matelas anti-escarres à 2 ans. En application du barème de la Gazette du palais selon les modalités exposées au point précédent, il y a lieu d'appliquer au coût annuel de ces matériels qui doit être fixé à 254,50 euros pour le matelas anti-escarres, 459,67 euros pour le fauteuil roulant manuel, 1 243,80 euros pour la roue pour fauteuil électrique, 260,60 euros pour le fauteuil de douche et 188,36 euros pour le lit médicalisé, après prise en charge par la CPAM et la prestation de compensation du handicap, un taux de rente viagère de 29,173 euros, pour un montant total de 70 217,37 euros qu'il convient d'accorder à M. J....

Quant aux pertes de gains professionnels post-consolidation :

12. Il résulte de l'instruction que le requérant a été placé en arrêt maladie à la suite de l'intervention chirurgicale en litige puis licencié le 28 juillet 2014 pour insuffisance professionnelle. Il est constant qu'il n'a pas retrouvé de travail et que compte tenu du déficit fonctionnel permanent dont il est atteint, ainsi que de ses qualifications et de son parcours professionnel, les pertes de revenus futurs dont il sollicite l'indemnisation revêtent un caractère certain. Dans ces conditions, M. J... a droit à l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels entre le 23 mai 2013, date de consolidation, jusqu'à la date à laquelle il pourrait prétendre à une retraite à taux plein, à l'âge de 67 ans. Le barème de capitalisation prévoit pour un homme de 48 ans à la date du présent arrêt et de 67 ans à la date du dernier arrérage, l'application d'un coefficient de 16,920. Sur la base d'un salaire annuel de 19 308 euros l'année précédant l'opération, le préjudice de M. J... au titre des arrérages échus, soit du 23 mai 2013 au 8 juillet 2021, date du présent arrêt, s'élève à la somme de 156 877,5 euros. Au titre de la période postérieure, le préjudice de M. J... s'élève à la somme de 326 691,36 euros (19 308 x 16,920). Il convient de retrancher de cette somme les indemnités journalières versées à M. J... par la CPAM et la Quatrem qui s'élèvent à la somme de 13 669,2 euros jusqu'au licenciement, ainsi que le capital correspondant à la pension d'invalidité pour un montant de 198 426 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que M. J... aurait perçu d'autres revenus, et en particulier une allocation de retour à l'emploi, qu'il conviendrait de déduire. Ainsi, il sera alloué à M. J... une somme de 271 473,66 euros qu'il n'y a pas lieu de majorer par application de l'indice des prix à la consommation, dès lors que cette somme a vocation à être assortie d'intérêts.

Quant à l'incidence professionnelle :

13. Il résulte de l'instruction que le handicap dont souffre M. J... l'empêche désormais d'exercer l'emploi de vendeur en magasin de bricolage qu'il occupait avant l'intervention chirurgicale. Au regard de son faible niveau de qualification et du fait qu'il a toujours travaillé dans la même entreprise, la privation de progression de carrière dont il se prévaut ne peut être imputée de manière certaine à l'aléa médical subi. Il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle en l'évaluant à une somme de 30 000 euros.

Quant aux frais de tierce personne post-consolidation :

14. Il résulte du premier rapport d'expertise, que M. J... a besoin à vie d'une assistance de 4 heures par jour. Dans la mesure où M. J... se borne à produire des devis émanant d'une société de services à la personne ainsi que pour l'entretien de son jardin sans toutefois produire des factures, il y a lieu de retenir un coût horaire brut de 14,30 euros. Au titre de la période allant du 23 mai 2013 au 8 juillet 2021, date du présent arrêt, le préjudice de M. J... s'élève à la somme de 191 477 euros (4 x 412 x 14,3 x 8,125). Au titre des arrérages à échoir, il y a lieu de retenir un coût annuel de 23 566,4 euros auquel il convient d'appliquer le taux de rente viagère de 29,173 applicable à un homme de 48 ans soit une somme de 687 502,59 euros. Il convient de retrancher de ces sommes la seule majoration pour tierce personne versée par la caisse primaire d'assurance maladie, dont le montant capitalisé s'élève à la somme non contestée de 206 199 euros, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. J... bénéficie de la prestation de compensation du handicap pour tierce personne. Ainsi, M. J... a droit au versement d'une somme de 672 780,59 euros de ce chef.

Quant aux frais de logement adapté :

15. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'architecte expert désigné par le tribunal, que le retour au domicile de M. J... n'a été possible que moyennant la réalisation de premiers travaux indispensables dont les factures produites devant l'expert s'élèvent à la somme de 19 832,36 euros. M. J... a bénéficié du versement de la somme de 11 848,56 euros de la part de la maison départementale des personnes handicapées qu'il convient de déduire.

16. D'autre part, il résulte du rapport d'expertise judiciaire non contesté par l'ONIAM que, pour l'adaptation au handicap de M. J..., sa maison doit faire l'objet d'aménagements pour un montant de 166 304,75 euros toutes taxes comprises. Si M. J... soutient que son architecte conseil préconise d'autres aménagements, que l'expert ne fixe aucun coût pour un certain nombre de travaux et qu'il n'a retenu que des fourchettes de prix alors qu'il présentait des devis, d'une part, ces hypothèses ont été soumises à l'architecte expert qui les a écartées comme relevant de choix d'opportunité, d'autre part, l'architecte expert a retenu les prix communément admis au m² pour des travaux de rénovation.

17. Enfin, les frais d'entretien du monte-escalier et de l'élévateur s'élèvent à la somme non contestée de 800 euros par an. Il sera alloué à M. J... une somme de 6 400 euros au titre des arrérages échus, entre le 23 mai 2013 et le 8 juillet 2021, et une somme de 23 338,40 euros au titre des arrérages à échoir (800 x 29,173), soit un total de 29 738,40 euros.

18. Dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation du préjudice de l'intéressé en le fixant à la somme de 204 026,95 euros TTC.

Quant aux frais d'adaptation du véhicule :

19. Il résulte de l'instruction que M. J..., qui disposait d'un véhicule de type Alfa Roméo et d'une Mini Cooper, a besoin d'un véhicule aménagé pour son handicap et suffisamment spacieux pour lui permettre notamment de ranger son fauteuil roulant. Le surcoût d'achat d'un tel véhicule peut être évalué forfaitairement à 10 000 euros. M. J... justifie, par ailleurs, de la nécessité d'adapter ce véhicule d'une boîte automatique, d'un accélérateur et de freins au volant, d'un tablette d'aide aux transferts, d'un treuil élévateur et d'une porte motorisée pour un montant de 12 999,50 euros. Eu égard à la durée d'amortissement d'un tel véhicule, celui-ci doit être renouvelé tous les 8 ans. Pour la période future, en application du barème de capitalisation de la Gazette du palais pour un homme de 48 ans à la date de la liquidation, il y a lieu de lui accorder 74 793,12 euros (2 875 x 29,173), somme à laquelle il convient d'ajouter les frais de 207 euros engagés pour passer les épreuves du permis de conduire sur un véhicule aménagé soit un total de 75 000,12 euros. En revanche, il n'y a pas lieu de prendre en charge, au titre de la solidarité nationale, le coût d'acquisition d'un second véhicule et d'un roadster. En définitive, il y a lieu d'allouer au titre de une somme de 97 999,62 euros.

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

S'agissant des préjudices temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

20. Il résulte des termes de la première expertise et n'est pas contesté que M. J... a subi un déficit fonctionnel total du 14 octobre 2011 au 21 mars 2013, dont il convient de déduire 3 mois du temps de suite normal après une telle intervention et un déficit fonctionnel partiel à 75 % du 21 mars 2013 au 23 mai 2013. Compte tenu de la lourdeur des préjudices et du fait que M. J... a été éloigné physiquement de sa famille au cours de cette période, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant la somme de 8 300 euros.

Quant aux souffrances endurées :

21. Il résulte de l'instruction que M. J... a subi des souffrances évaluées par les premiers experts à 5,5/7. Il sera fait une juste appréciation de chef de préjudice en l'évaluant à une somme de 18 000 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

22. Il résulte de l'instruction que M. J... a subi un préjudice esthétique temporaire évalué par les premiers experts à 5,5/7 lié à la nécessité de se présenter alité et aux cicatrices post-opératoires. Il sera fait une juste appréciation de chef de préjudice en l'évaluant à une somme de 8 000 euros.

S'agissant des préjudices permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

23. L'ONIAM demande que la somme allouée par le tribunal soit ramenée à 106 153 euros. Il résulte de l'instruction que, à la date de la consolidation de son état de santé, le déficit fonctionnel permanent dont était atteint M. J... était de 70 % incluant 10 % d'état dépressif. Que quand bien même son état psychique pourrait s'améliorer, il n'y a pas lieu de remettre en cause l'indemnisation accordée par les premiers juges qui ont justement évalué ce chef de préjudice à la somme de 200 000 euros.

Quant au préjudice esthétique permanent :

24. Il résulte de l'instruction que M. J... subit un préjudice esthétique permanent évalué par les premiers experts à 5,5/7. Il sera fait une juste appréciation de chef de préjudice en l'évaluant à une somme de 18 000 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

25. Il résulte de l'instruction que M. J..., qui pratiquait la plongée sous-marine, la moto et d'autres activités de loisirs qu'il ne peut plus partager avec son fils, subit un préjudice d'agrément. Il sera fait une juste appréciation de chef de préjudice en l'évaluant à une somme de 10 000 euros.

Quant au préjudice sexuel :

26. Il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel subi par M. J... en l'évaluant à une somme de 20 000 euros.

27. Il résulte de tout ce qui précède que M. J... a droit à la somme de 1 905 927,37 euros avec intérêts au taux légal, à compter du 6 janvier 2014, date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif et qu'il est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a seulement condamné l'ONIAM à lui verser une somme de 1 644 595,25 euros de ce chef.

Sur le préjudice des victimes par ricochet :

28. Les dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ne prévoient d'indemnisation au titre de la solidarité nationale que pour les préjudices du patient et, en cas de décès, de ses ayants droit. Par suite, ces dispositions excluent, lorsque la victime n'est pas décédée, l'indemnisation des victimes " par ricochet ". Dans ces conditions, les conclusions tendant à la condamnation de l'ONIAM à réparer les préjudices subis en propre par Mme D... B..., M. H... C..., M. F... C... et l'enfant I... J... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les dépens :

29. Il n'y a pas lieu, sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de remettre en cause la mise à la charge définitive de l'ONIAM de l'ensemble des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 10 698,12 euros toutes taxes comprises.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

30. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 500 euros à verser à M. J... sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La somme que l'ONIAM a été condamné à verser à M. J... en réparation de ses préjudices est portée à 1 905 927,37 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2014.

Article 2 : Le jugement n° 1400142 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'ONIAM versera la somme de 2 500 euros à M. J... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N° 17VE02098 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE02098
Date de la décision : 08/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SELARL PERIER-CHAPEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-07-08;17ve02098 ?
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