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29/03/2022 | FRANCE | N°20VE00862

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 29 mars 2022, 20VE00862


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Henkel Holding France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement de la somme de 3 678 500 euros dans le déficit reportable d'ensemble du groupe dont elle est la société mère, au titre de son exercice clos en 2015.

Par un jugement n° 1812233 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mars 2020 et 16 juin 2021, la sociét

é Henkel Holding France, représentée par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, société d'avocats, de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Henkel Holding France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement de la somme de 3 678 500 euros dans le déficit reportable d'ensemble du groupe dont elle est la société mère, au titre de son exercice clos en 2015.

Par un jugement n° 1812233 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mars 2020 et 16 juin 2021, la société Henkel Holding France, représentée par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, société d'avocats, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de prononcer le rétablissement demandé ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement en irrégulier en ce qu'il ne comporte pas l'analyse des conclusions et mémoires des parties en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- le régime français d'imposition des dividendes reçus par une société mère de ses filiales est contraire au paragraphe 3 de l'article 4 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, en ce qu'il institue un régime fiscal différent pour les sociétés mères des groupes fiscalement intégrés et les sociétés mères relevant du régime mère-fille non éligibles au régime d'intégration, alors que ces sociétés se trouvent dans une situation comparable au regard des dividendes reçus de leurs filiales ;

- cette différence de traitement est contraire aux principes d'égalité et de non-discrimination posés par les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 décembre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-386/14 de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public,

- et les observations de Me Chauvelier, pour la société Henkel Holding France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Henkel Holding France, tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la société Eau Ecarlate, a déduit de son résultat fiscal d'ensemble le produit de participations reçu par la société Eau Ecarlate de sa filiale néerlandaise Spotless Group BV, en application de la décision C-386/14 du 2 septembre 2015 par laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges devait s'appliquer également aux dividendes distribués par les filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été éligibles à l'intégration fiscale. Par une proposition de rectification du 14 décembre 2017, le service a, à la suite d'un contrôle sur pièces, réintégré dans le résultat d'ensemble du groupe la quote-part de frais et charges de 5 % prévue par les dispositions alors en vigueur de l'article 216 du code général des impôts, au motif que la société Spotless BV n'aurait pas été éligible à l'intégration fiscale si elle avait été résidente dès lors que la société Eau Ecarlate avait cédé sa participation au cours de l'exercice 2015. La société Henkel Holding France relève appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de rétablissement de son déficit fiscal d'ensemble.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, (...). Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / (...) ".

3. Il ressort des mentions du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient la société Henkel Holding France, l'ensemble des mémoires et conclusions des parties ont été visés et analysés. Le moyen d'irrégularité du jugement manque en fait et ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Aux termes du 3 de l'article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents : " (...) tout Etat membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5% des bénéfices distribués par la société filiale ". Et aux termes du I de l'article 216 du code général des impôts : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour les sociétés placées sous le régime mère-fille, les produits des participations des sociétés mères sont exonérés d'impôt sur les sociétés à l'exclusion d'une quote-part de frais et charges évaluées forfaitairement à 5 %. Toutefois, pour les sociétés fiscalement intégrées, l'article 223 B du code général des impôts prévoit une exonération totale. Par sa décision C-386/14 du 2 septembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charge devait s'appliquer également aux dividendes distribués par les filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été éligible à l'intégration fiscale. Il est constant, en l'espèce, que la filiale néerlandaise n'aurait pas été éligibles à l'intégration dans le groupe dont la société requérante est la société mère, si elle avait été résidente, dès lors que la société Spotless Group BV n'était plus détenue par sa filiale Eau Ecarlate à la clôture de l'exercice 2015.

6. En premier lieu, la société Henkel Holding France fait valoir que l'imposition différenciée des dividendes, selon qu'ils sont reçus de filiales éligibles à l'intégration fiscale ou non, méconnaît le droit de l'Union. Il résulte toutefois des dispositions rappelées au point 4 que l'article 4 de la directive concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, qui autorise les Etats membres à fixer un montant de charges non déductibles, dans la limite de 5 % des bénéfices distribués par la filiale, ne s'oppose pas à ce que les Etats prévoient un régime plus favorable en faveur des sociétés têtes de groupe de sociétés constituant une entité fiscale unique. Le choix de réserver la neutralisation de la quote-part de frais et charges aux groupes fiscalement intégré, qui relève de la compétence fiscale des Etats, est justifié au regard du régime d'intégration fiscale français, destiné à favoriser la constitution de groupes intégrés et à garantir à ces groupes un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements, lequel suppose la coïncidence des exercices fiscaux des différentes entités du groupe. La différence de traitement qui en résulte, selon que la société mère constitue avec sa filiale un groupe fiscalement intégré, ou non, ne méconnaît pas les objectifs de la directive dont l'article 216 du code général des impôts assure la transposition, ni au demeurant le principe de liberté d'établissement, dès lors que les dividendes reçus des filiales non éligibles au régime d'intégration sont soumis au régime de la réintégration forfaitaire d'une quote-part de frais et charges dans les mêmes conditions quelle qu'en soit la source française, européenne ou étrangère.

7. En second lieu, la société requérante soutient que cette différence de traitement méconnaît les principes d'égalité et de non-discrimination qui figurent aux article 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant, dès lors que la discrimination alléguée prévue par la législation fiscale française entre sociétés relevant du régime mère-fille et sociétés intégrées, ne met pas en œuvre le droit de l'Union. En outre, les sociétés formant un groupe fiscalement intégré dont les résultats sont agrégés et font l'objet d'une imposition unique ne sont pas placés dans la même situation que les sociétés mères recevant des dividendes de leurs filiales et la neutralisation de la quote-part de frais et charges en faveur des sociétés tête de groupe est en rapport avec l'objectif d'intérêt général d'inciter la constitution de groupes nationaux soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d'intégration.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Henkel Holding France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Henkel Holding France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Henkel Holding France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président de chambre,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Bouzar, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

La rapporteure,

O. DORIONLe président,

P. BEAUJARDLa greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N° 20VE00862 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00862
Date de la décision : 29/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. - Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : SCP BARADUC et DUHAMEL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-03-29;20ve00862 ?
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