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13/10/2022 | FRANCE | N°20VE03412

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 13 octobre 2022, 20VE03412


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits, majoration et intérêts de retard, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013 et du supplément de contributions sociales mis à sa charge au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1807347 du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 28 décembre 2020, M. C..., représenté par Me Nataf, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits, majoration et intérêts de retard, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013 et du supplément de contributions sociales mis à sa charge au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1807347 du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020, M. C..., représenté par Me Nataf, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mis à sa charge au titre des années 2012 et 2013, ainsi que les pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la somme de 240 000 euros, au paiement de laquelle il a été condamné en sa qualité de caution solidaire de l'entreprise dont il était gérant, était déductible de ses revenus dans la catégorie des traitements et salaires ;

- il respectait les trois conditions issues de la jurisprudence pour en permettre la déduction sur ses revenus, à savoir que l'engagement comme caution soit lié à la qualité de dirigeant, qu'il ait été pris en vue de servir les intérêts de l'entreprise et qu'il ne soit pas hors de proportion avec les rémunérations allouées ou escomptées ;

- la circonstance que la société a inscrit cette même somme au crédit de son compte courant n'empêche pas la déduction de cette somme dès lors que la société, à la situation financière très dégradée, ne pouvait pas intégralement le rembourser et honorer sa dette envers lui ;

- en vertu des dispositions combinées des articles 12, 83 et 156 du code général des impôts, ne sont comprises dans l'assiette de l'impôt que les sommes, inscrites à un compte courant, dont le contribuable pouvait effectivement disposer avant le 31 décembre de l'année d'imposition, ce qui n'est pas le cas en l'espèce du fait de la situation de trésorerie de la société ;

- le principe de sécurité juridique interdit à l'administration de revenir, plus de quatre mois après, sur le dégrèvement qu'elle lui a accordé, à la suite du dépôt de sa déclaration rectificative, dans laquelle il avait clairement mentionné la somme de 240 000 euros qu'il entendait déduire et pour laquelle il a fourni des justificatifs ;

- la majoration pour manquement délibéré est infondée et méconnaît le principe de présomption d'innocence énoncé à l'article 48 de la charte des droits fondamentaux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le requérant a déjà obtenu satisfaction, au stade de la réclamation préalable, en ce qui concerne la majoration de 25 % de la base soumise aux contributions sociales ;

- aucun moyen n'est développé s'agissant de l'impôt sur le revenu 2013 ;

- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a fait l'objet de rectifications en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2012 et 2013, à raison notamment de la réintégration dans son revenu global d'une somme de 240 000 euros qu'il avait déduite de ses revenus, au paiement de laquelle il avait été condamné en sa qualité de caution solidaire de la société Bra Conseil dont il était associé majoritaire et gérant. M. C... fait appel du jugement du 3 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. Aux termes de l'article 13 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu. / 2. Le revenu global net annuel servant de base à l'impôt sur le revenu est déterminé en totalisant les bénéfices ou revenus nets visés aux I à VII bis de la 1re sous-section de la présente section, (...) / 3. Le bénéfice ou revenu net de chacune des catégories de revenus visées au 2 est déterminé distinctement suivant les règles propres à chacune d'elles. (...) ". Aux termes de l'article 83 du même code : " Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés : (...) 3° Les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi lorsqu'ils ne sont pas couverts par des allocations spéciales. (...) Les bénéficiaires de traitements et salaires sont également admis à justifier du montant de leurs frais réels, soit dans la déclaration visée à l'article 170, soit sous forme de réclamation adressée au service des impôts dans le délai prévu aux articles R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que, pour être admis à déduire des frais réels, le contribuable est tenu de fournir des éléments justificatifs suffisamment précis pour permettre d'apprécier le montant des frais effectivement exposés par lui à l'occasion de l'exercice de sa profession. Il résulte par ailleurs de ces dispositions que les sommes qu'un salarié qui, s'étant rendu caution d'une obligation souscrite par la société dont il est le dirigeant de droit ou de fait, a dû payer au créancier de cette dernière, sont déductibles de son revenu imposable de l'année au cours de laquelle le paiement a été effectué, à condition que son engagement comme caution se rattache directement à sa qualité de dirigeant, qu'il ait été pris en vue de servir les intérêts de l'entreprise et qu'il n'ait pas été hors de proportion avec les rémunérations allouées à l'intéressé ou qu'il pouvait escompter au moment où il l'a contracté.

4. Il est constant que M. C..., associé majoritaire et gérant de la société Bra Conseil jusqu'en septembre 2011, a été condamné par un jugement du tribunal de commerce de Versailles du 11 mai 2012, à verser 240 000 euros en sa qualité de caution solidaire de deux prêts contractés par cette société. Cette somme a été versée le 11 juillet 2012, date de la levée du séquestre de la somme versée par le requérant, à l'établissement bancaire concerné. Toutefois, il résulte de l'instruction que le 11 mai 2012, la société Bra Conseil a concomitamment inscrit au crédit du compte-courant d'associé détenu par M. C..., dans ses comptes, une somme de 240 000 euros, reconnaissant ainsi l'existence d'une dette envers lui. Par suite, la somme versée le 11 juillet 2012 ne constituait qu'une avance faite pour le compte de la société Bra Conseil et ne pouvait, dès lors, être regardée comme une charge effectivement exposée par M. C... et déductible de ses revenus imposables au titre de l'année 2012, d'autant plus que l'appelant avait, dès les 11 juillet, 21 septembre et 4 novembre 2012 opéré plusieurs prélèvements sur son compte courant, pour un montant total de 90 707 euros.

5. En deuxième lieu, M. C... soutient que la société ne pouvait en aucun cas procéder au remboursement de la somme de 240 000 euros constatée au crédit de son compte courant, compte tenu de sa situation financière et de l'état de ses disponibilités, corroborés par le fait qu'elle a été déclarée en cessation de paiement le 15 décembre 2015, puis placée en liquidation judiciaire le 22 septembre 2016. Toutefois, il ressort des documents comptables que la situation nette de la société est constamment positive sur la période vérifiée, compte tenu notamment du volume conséquent des créances inscrites à l'actif, et l'éventualité d'un remboursement ne pouvait, ainsi, pas être écarté, à fortiori dès lors que la société a remboursé plus d'un tiers de la somme à M. C... dès 2012. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a refusé la déduction de la somme de 240 000 euros au titre de ses frais réels de l'année 2012.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ". Aux termes de l'article L. 80 A du même livre : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que M. C... n'a pas mentionné la somme de 240 000 euros de ses revenus imposables dans sa déclaration initiale des revenus d'ensemble au titre de l'année 2012. Il a souscrit, postérieurement à la mise en recouvrement de sa cotisation d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2012, une déclaration rectificative, valant réclamation, faisant apparaître cette déduction. Après instruction de cette demande, l'administration a prononcé le 21 décembre 2013 le dégrèvement correspondant, qui n'a été assorti d'aucune motivation et ne peut donc pas constituer une prise de position formelle au sens des dispositions précitées. En 2015, dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société Bra Conseil, l'administration a constaté que cette société avait inscrit au crédit du compte-courant d'associé de M. C... la somme de 240 000 euros au cours de l'exercice clos en 2012. Faisant usage de son pouvoir de contrôle institué par les dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, elle a simplement tiré les conséquences de cette écriture comptable en remettant en cause, avant la prescription du délai de reprise, la déduction de cette même somme des revenus imposables de M. C... au titre de l'année 2012. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'administration pouvait faire usage de son droit de reprise, encadré par des dispositions spécifiques prévues par le livre des procédures fiscales, et remettre en cause la déduction qu'il avait entendu effectuer sur ses revenus, sans qu'il puisse utilement se prévaloir de l'expiration du délai de quatre mois suivant le dégrèvement. Enfin, M. C... ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer le principe de sécurité juridique, lequel ne s'applique dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique examinée par le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait pas revenir sur sa décision de dégrèvement du 21 décembre 2013 ne peut qu'être écarté.

Sur les pénalités :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

9. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration fait valoir, d'une part, son activité d'expert-comptable et, d'autre part, que M. C... ne pouvait ignorer, lors du dépôt de sa déclaration rectificative, que cette somme de 240 000 euros qu'il entendait déduire, d'un montant supérieur à ses revenus salariaux annuels, avait été inscrite au crédit de son courant d'associé de la société Bra Conseil dès le 11 mai 2012 et qu'il en avait déjà obtenu partiellement le remboursement par divers prélèvements opérés sur ce même compte. La circonstance que la déduction litigieuse ait fait l'objet d'une demande de pièces du service des impôts des particuliers gestionnaire est sans incidence sur ces faits, que M. C... ne conteste d'ailleurs pas. En outre, l'appelant ne peut utilement se prévaloir de la présomption d'innocence protégé par l'article 48 de la charte des droits fondamentaux qui ne s'appliquent aux États membres que lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union européenne. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve qui lui incombe du caractère délibéré du manquement à ses obligations déclaratives commis par M. C....

10. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

M. Lerooy, premier conseiller,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

La rapporteure,

C. A...La présidente,

L. Besson-LedeyLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

N°20VE03412 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE03412
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Amendes - pénalités - majorations - Pénalités pour manquement délibéré (ou mauvaise foi).

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Traitements - salaires et rentes viagères - Déductions pour frais professionnels.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: Mme DEROC
Avocat(s) : CABINET NATAF et PLANCHAT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-10-13;20ve03412 ?
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