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15/11/2022 | FRANCE | N°21VE00439

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 15 novembre 2022, 21VE00439


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. La société Performing Right Society Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la retenue à la source de 374 706 euros opérée sur les redevances de droits d'auteur collectées pour son compte par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1502977 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé cette restitution.

Par un arrêt n° 17VE01940 du 12 mars 2019, la cour

administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action e...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. La société Performing Right Society Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la retenue à la source de 374 706 euros opérée sur les redevances de droits d'auteur collectées pour son compte par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1502977 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé cette restitution.

Par un arrêt n° 17VE01940 du 12 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

II. La société Performing Right Society Ltd a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la retenue à la source de 1 261 472 euros opérée sur les redevances de droits d'auteur collectées pour son compte par la SACEM au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 1702789 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé cette restitution.

Par un arrêt n° 18VE01822 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Par un arrêt nos 430594, 432845 du 5 février 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ces deux arrêts et renvoyé les affaires devant la cour.

Procédures devant la cour :

I. Sous le n° 21VE00439, par une requête et des mémoires enregistrés les 20 juin 2017 et 28 mai 2018 et, après cassation, des mémoires enregistrés les 18 mars 2021, 1er juillet 2021, 13 octobre 2021 et 13 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) à titre principal, de remettre à la charge de la société Performing Right Society Ltd une retenue à la source de 369 097 euros au titre de l'année 2013 ;

3°) à titre subsidiaire, de remettre à la charge de la société Performing Right Society Ltd une retenue à la source de 72 137 euros dont la société ne demande plus la restitution.

Le ministre soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a prononcé la restitution des retenues à la source mises à la charge de la société Performing Right Society Ltd sur le fondement des dispositions combinées des articles 92 et 182 B du code général des impôts, au motif qu'elle devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des redevances qui lui ont été versées par la SACEM au sens du 1 de l'article 13 de la convention fiscale franco-britannique, alors qu'elle est une société civile de gestion collective qui agit comme intermédiaire ; les bénéficiaires effectifs de ces redevances sont les artistes membres de la société, qui lui ont confié la gestion de leurs droits ;

- la société ne peut davantage se prévaloir, à titre subsidiaire, des stipulations du b) du paragraphe 5 de l'article 4 de cette même convention, dès lors que l'exonération de la retenue à la source est subordonnée aux conditions cumulatives de résidence et de bénéfice effectif des redevances ;

- en produisant la liste de ses membres n'ayant pas la qualité de résidents fiscaux britanniques avec leur adresse, le montant de la redevance perçue et les montants des retenues à la source subie et réclamée, la société n'établit pas que ses membres ont la qualité de résidents fiscaux d'Etats ayant conclu avec la France des conventions fiscales comportant des stipulations analogues à la convention franco-britannique en matière de redevances ; parmi ces membres bénéficiaires figurent d'ailleurs des organismes de gestion collective ; le montant avancé des redevances reversées n'est pas appuyé de justificatifs comptables ;

- les documents produits concernant l'un des membres bénéficiaires établissent que les redevances versées à ce ressortissant américain doivent être exonérées de retenue à la source à hauteur de la somme de 95 059 au titre de l'année 2014 ; ce membre bénéficiaire n'a en revanche perçu aucun revenu au titre de l'année 2013 ; en l'absence de justificatif de la résidence fiscale et des montants reversés aux autres membres bénéficiaires, la demande d'exonération de la retenue à la source prélevée sur ces redevances ne peut être admise ;

- il fait droit à la demande de restitution des retenues à la source prélevées sur les redevances versées aux membres de la société ayant la qualité de résidents français ;

- le contenu de la lettre du 24 juillet 1985 de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux ne constitue pas une prise de position formelle dont la société Performing Right Society Ltd serait fondée à se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dès lors que cette décision a été prise sous l'empire de la convention fiscale de 1968 modifiée applicable jusqu'au 31 décembre 2009 et que la société n'a pas demandé de nouveau rescrit, que cette lettre ne précise pas le contexte de la demande, s'agissant notamment de la part des membres de la société ayant la qualité de résidents fiscaux britanniques et que la solution de simplification qu'elle admet ne saurait s'appliquer aux membres bénéficiaires résidents d'Etats non conventionnés avec la France ou dont les conventions fiscales sont moins favorables.

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 novembre 2017 et 11 juin 2018, et, après cassation, les 11 mai 2021, 29 septembre 2021, 25 février 2022 et le 4 mai 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Performing Right Society Ltd, représentée par Mes Schiele, Lieb, Vail et Bleton, avocats, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la confirmation partielle du jugement en ce qu'il prononce le remboursement des retenues à la source à hauteur de 302 569 euros pour l'année 2013 ;

3°) à tout le moins, à la confirmation du jugement en ce qu'il prononce le remboursement de la retenue à la source à hauteur des montants justifiés par la Société, soit 105 326 euros ;

4°) en tout état de cause, à ce qu'il lui soit donné acte de ce que le ministre ne s'oppose plus à la confirmation du jugement en ce qu'il prononce le remboursement des retenues à la source prélevées sur les redevances dont les bénéficiaires effectifs sont résidents fiscaux français, soit 5 609 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle prend acte de ce qu'elle n'est pas le bénéficiaire effectif des redevances reversées à ses membres ; toutefois, elle est fondée à demander la restitution des retenues à la source prélevées sur des redevances dont les bénéficiaires sont résidents d'Etats ayant conclu avec la France des conventions fiscales privant la France de son pouvoir d'imposition ; elle justifie des montants des retenues éligibles aux avantages conventionnels par la production d'un tableau précisant l'identité et l'adresse de ses membres bénéficiaires effectifs des redevances ; ce tableau a été établi selon la même méthodologie que la liste des résidents fiscaux britanniques dont l'administration a admis le caractère probant ; les données ont été validées par l'administration fiscale britannique ;

- l'article 182 B du code général des impôts n'est pas applicable aux résidents français ;

- elle produit les éléments demandés par le service concernant les redevances perçues par l'un de ses membres bénéficiaires, résident américain, éligible à l'exonération conventionnelle prévue par l'article 12 de la convention franco-américaine du 31 août 1994 ; hormis un faible écart de réconciliation, cet exemple illustre la fiabilité de son tableau récapitulatif ;

- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la prise de position formelle contenue dans la lettre qui lui a été adressée le 24 juillet 1985, par laquelle la direction des résidents à l'étranger et des services généraux a reconnu qu'il n'était pas possible d'exiger de chaque associé résident d'un pays ayant conclu avec la France une convention internationale qu'il remplisse une demande d'exonération ou de réduction de la retenue à la source, et admis d'alléger les exigences probatoires permettant de bénéficier de l'exonération conventionnelle.

Par une ordonnance du président de la cour du 14 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 mai 2022 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

II. Sous le n° 21VE00440, par une requête et des mémoires enregistrés les 28 mai 2018, 16 octobre 2018 et 17 janvier 2019 et, après cassation, des mémoires enregistrés les 18 mars 2021, 1er juillet 2021, 13 octobre 2021 et 13 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, par les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 21VE00439 :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) à titre principal, de remettre à la charge de la société Performing Right Society Ltd une retenue à la source de 1 090 662 euros au titre de l'année 2014 dont le tribunal l'a déchargée à tort ;

3°) à titre subsidiaire, de remettre à la charge de la société Performing Right Society Ltd une retenue à la source de 202 214 euros dont la société ne demande plus la restitution.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 septembre et 13 décembre 2018, et, après cassation, les 11 mai 2021, 29 septembre 2021, 25 février 2022 et le 4 mai 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Performing Right Society Ltd, représentée par Mes Schiele, Lieb, Vail et Bleton, avocats, conclut, dans le dernier état de ses écritures, par les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance n° 21VE00439 :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la confirmation partielle du jugement en ce qu'il prononce le remboursement des retenues à la source à hauteur de 1 059 258 euros pour l'année 2014 ;

3°) à tout le moins, à la confirmation du jugement en ce qu'il prononce le remboursement de la retenue à la source à hauteur des montants justifiés par la Société, soit 105 326 euros ;

4°) en tout état de cause, à ce qu'il lui soit donné acte de ce que le ministre ne s'oppose plus à la confirmation du jugement en ce qu'il prononce le remboursement des retenues à la source prélevées sur les redevances revenant à M. C... A... à hauteur de 95 058 euros et des retenues à la source prélevées sur des redevances dont les bénéficiaires effectifs sont résidents fiscaux français, soit 75 752 euros pour l'année 2014 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du président de la cour du 14 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 mai 2022 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Paris le 19 juin 2008 ;

- la convention du 31 août 1994 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vail pour la société Performing Right Society Ltd.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit britannique Performing Right Society Ltd, domiciliée à Londres, exerce une activité de collecte et de gestion des droits d'utilisation, de diffusion et de distribution des œuvres, notamment musicales, dont les membres sont les auteurs, compositeurs ou interprètes. Elle a conclu avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) un accord de représentation réciproque aux termes duquel cette dernière société recouvre et lui reverse les redevances correspondant à l'utilisation, en France, des œuvres des artistes qu'elle représente. La SACEM a opéré au titre des années 2013 et 2014 une retenue à la source, en application des articles 92 et 182 B du code général des impôts, sur le montant des redevances ainsi collectées par elle. L'administration fiscale n'a que partiellement fait droit à la demande de la société Performing Right Society Ltd tendant à la restitution, sur le fondement de la convention fiscale franco-britannique, de cette retenue à la source, à hauteur de la somme de 2 396 982 pour l'année 2013 et de 5 999 895 pour l'année 2014, correspondant aux seules redevances reversées à des contribuables britanniques. Par deux jugements du 18 avril 2017 et du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société Performing Right Society Ltd tendant à la restitution du reliquat de la retenue à la source litigieuse, d'un montant de 374 706 euros pour l'année 2013 et de 1 261 472 euros pour l'année 2014. Par deux requêtes qui présentent à juger les mêmes questions et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ces deux jugements.

Sur l'étendue du litige :

2. En premier lieu, le ministre ne demande plus, dans le dernier état de ses écritures, que soient remises à la charge de la société Performing Right Society Ltd les retenues à la source afférentes aux redevances versées à des bénéficiaires effectifs résidents français, soit 5 609 euros au titre de l'année 2013 et 75 752 euros au titre de l'année 2014, et afférentes aux redevances versées à M. C... A..., ressortissant américain, à concurrence sur ce second point de 95 058 euros de retenues prélevées à tort au titre de l'année 2014. Le ministre doit être regardé comme s'étant désisté, dans cette mesure, de ses conclusions en appel.

3. En second lieu, la société Performing Right Society Ltd, qui sollicitait initialement la restitution des sommes de 374 706 euros au titre de l'année 2013 et de 1 261 472 euros au titre de l'année 2014, conclut à la confirmation partielle du jugement attaqué et limite ses prétentions à restitution, dans le dernier état de ses écritures, aux sommes de 302 569 euros au titre de l'année 2013 et 1 059 258 euros au titre de l'année 2014, correspondant aux retenues à la source prélevées sur des redevances versées à des résidents fiscaux d'Etat ayant conclu avec la France des conventions fiscales dont les stipulations sont identiques à l'article 13 de la convention fiscale franco-britannique. Il s'ensuit qu'elle doit être regardée comme renonçant au bénéfice du jugement à concurrence des sommes de 72 137 euros pour 2013 et 202 214 euros pour 2014. Le jugement attaqué n'est, dans cette mesure, plus susceptible d'exécution. Les conclusions d'appel du ministre tendant à l'annulation du jugement sont dès lors, à hauteur de ces montants, devenues sans objet.

Sur le motif de décharge retenu par le tribunal administratif de Montreuil :

4. D'une part, l'article 182 B du code général des impôts dispose, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, que : " I. - Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) b. Les produits définis à l'article 92 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur ", tandis qu'aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. / 2. Ces bénéfices comprennent notamment : (...) 2° Les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires. ".

5. D'autre part, l'article 4 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 stipule que : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression "résident d'un Etat contractant" désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, y est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son lieu d'enregistrement ou de tout autre critère de nature analogue, et s'applique aussi à cet Etat ainsi qu'à toutes ses subdivisions politiques ou à ses collectivités locales, ainsi qu'à toute personne morale de droit public de cet Etat, de cette subdivision ou de cette collectivité " tandis qu'aux termes de son article 13 : " 1. Les redevances provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat. / 2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique. ". Il résulte de ces stipulations que les redevances tirées de la gestion des droits d'auteur versées en France et dont le bénéficiaire effectif est un résident du Royaume-Uni ne sont imposables qu'au Royaume-Uni.

6. Il résulte de l'instruction que les artistes membres de la société Performing Right Society Ltd lui cèdent, en vertu de l'article 7 de ses statuts constitutifs, les droits qu'ils détiennent sur leurs œuvres. Si, en vertu des articles 47 et 48 de ces mêmes statuts, le conseil d'administration de la société détermine l'affectation des revenus tirés de l'exploitation de ces œuvres, ces revenus doivent néanmoins, en principe, être répartis entre les membres de la société " après déduction des frais y compris à caractère social justifié ". Les redevances redistribuées sont alors comptabilisées en charges déductibles dans les écritures comptables de la société et imposées entre les mains de ses membres et non de la société. Il résulte en outre de l'instruction que, si une partie des redevances collectées par la société est affectée par le conseil d'administration de la société, soit à des œuvres charitables ou des dons aux membres ou aux employés, soit à des fonds de réserve, à l'entretien des biens de la société ou à toute autre fin que le conseil estime nécessaire ou propice aux intérêts de la société, l'essentiel de ces redevances est, chaque année, en pratique, reversée aux membres de la société. Au vu de ces éléments, la société Performing Right Society Ltd, qui a pour objet de collecter et de gérer les revenus perçus par ses membres, ne peut être regardée comme le " bénéficiaire effectif ", au sens des stipulations de l'article 13 de la convention fiscale franco-britannique cité au point 4, de la part des redevances collectées pour elle en France par la SACEM et reversées à ses membres.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Performing Right Society Ltd devant le tribunal et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par la société Performing Right Society Ltd :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

8. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne demande plus, dans le dernier état de ses écritures, que soit remise à la charge de la société Performing Right Society Ltd la retenue à la source prélevée sur les redevances reversées à des résidents français, pour des montants de 5 609 euros à titre de l'année 2013 et 75 752 euros au titre de l'année 2014. La restitution prononcée par le tribunal n'est plus contestée à concurrence de ces sommes. Pour le surplus, il est constant que les redevances perçues par des résidents hors de France devaient être soumises à la retenue à la source en application des dispositions rappelées au point 3 du présent arrêt.

En ce qui concerne l'application des conventions fiscales :

S'agissant de l'article 4 de la convention fiscale franco-britannique :

9. Aux termes du b) du paragraphe 5 de l'article 4 de la convention franco-britannique relatif à la définition de la résidence aux fins d'application de la convention : " un élément de revenu, bénéfice ou gain : / (i) provenant d'un Etat contractant par l'intermédiaire d'un "partnership", d'un groupement de personnes ou d'une autre entité analogue établi dans l'autre Etat contractant ; et / (ii) traité, en vertu de la législation fiscale de cet autre Etat contractant, comme le revenu de ce "partnership", de ce groupement de personnes ou de cette autre entité analogue, / peut bénéficier des dispositions de la présente Convention au même titre que celui d'un résident de cet autre Etat contractant, que ce revenu soit considéré ou non, en vertu de la législation fiscale du premier Etat, comme le revenu de ce "partnership", de ce groupement de personnes ou de cette autre entité analogue, dès lors que ce "partnership", ce groupement de personnes ou cette autre entité analogue est résident de cet autre Etat contractant et satisfait à toute autre condition imposée par la Convention. ".

10. A supposer même que ces stipulations soient applicables aux revenus tirés de l'exploitation des œuvres des membres de la société requérante, le bénéfice des stipulations de la convention reste subordonné à la satisfaction, par la société Performing Right Society Ltd, de toute autre condition imposée par la convention, notamment celle d'être le bénéficiaire effectif des revenus en cause. Or, la société Performing Right Society Ltd ne remplit pas cette condition cumulative, ainsi qu'il a été relevé au point 6 du présent arrêt. Par suite, le moyen tiré de ce que la société Performing Right Society Ltd devrait être déchargée des retenues à la source litigieuses en application du b) du paragraphe 5 de l'article 4 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 doit être écarté.

S'agissant de l'application des conventions fiscales conclues avec les Etats de résidence des bénéficiaires de redevances non-résidents britanniques :

Quant aux redevances versées à M. C... A... :

11. Aux termes du paragraphe 1 de son article 12 : " Les redevances provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat. ".

12. Il résulte de ces stipulations que les redevances versées par la société Performing Right Society Ltd à un résident fiscal des Etats-Unis, bénéficiaire effectif de ces revenus, ne sont pas imposables en France. Il est constant que la société Performing Right Society Ltd justifie la qualité de résident fiscal américain de M. C... A... et, à concurrence de 95 059 euros, du montant de la retenue à la source prélevées à tort sur les redevances qui lui ont été versées au cours de l'année 2014. Si elle fait valoir que l'" écart de réconciliation ", correspondant à la différence entre la retenue à la source résultant des avis et ordres de paiement dont elle justifie, et la somme de 105 326 euros dont elle a demandé la restitution, est faible et s'explique notamment par des décalages de dates et des effets de change, elle n'établit bénéficier de l'exonération conventionnelle qu'à concurrence de la somme non contestée de 95 059 euros.

Quant aux redevances versées aux autres membres bénéficiaires restant en litige :

13. La société Performing Right Society Ltd est fondée à soutenir que doivent être exonérées de la retenue à la source prévue par l'article 182 B du code général des impôts, les redevances collectées par la SACEM et reversées à ceux de ses membres bénéficiaires effectifs de ces redevances qui sont résidents fiscaux d'Etats avec lesquels la France a conclu des conventions fiscales dont les stipulations transfèrent en tout ou partie le pouvoir d'imposer ces redevances à l'Etat de résidence. Toutefois, pour justifier de la résidence fiscale de ses membres et du montant des redevances qu'elle leur a versées, la société se borne à produire des tableaux de répartition par pays et des listes comportant le nom, le pays, le montant de la redevance versée, le montant des retenue subie et réclamée et l'adresse de ses membres non-résidents fiscaux britanniques. Les adresses mentionnées, qui constituent pour certaines une adresse de domiciliation, parfois chez un tiers ou une simple boite postale, ne justifient pas de la résidence fiscale des intéressés. Par ailleurs, la société ne justifie pas, par la production de tableaux établis par elle-même non étayés de documents comptables, des montants versés. Dans ces conditions, il ne peut être tenu pour établi que les redevances qu'elle dit avoir versées à ces membres étaient éligibles à une exonération conventionnelle.

En ce qui concerne la prise de position formelle de l'administration :

14. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. " Aux termes de l'article L. 80 B du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; (...) ".

15. La société Performing Right Society Ltd se prévaut, sur le fondement de ses dispositions, de la lettre qui lui a été adressée le 24 juillet 1985, par la direction des résidents à l'étranger et des services généraux, constitutive selon elle d'une prise de position formelle. Toutefois, en indiquant à l'intéressée que " compte tenu des informations fournies aux services centraux - et dans la mesure où votre société se trouve être titulaire de droits d'auteur - l'administration centrale reconnaît qu'il n'est pas possible d'exiger de chaque associé résident d'un pays ayant conclu avec la France une convention internationale une demande d'exonération ou de réduction de la retenue à la source. Ainsi dans ce cas de figure qui doit correspondre à la situation la plus fréquente, il suffit que votre société fournisse l'imprimé annuel RF 3 GB pour bénéficier de l'exonération de retenue à la source sur les sommes qui lui sont versées par la SACEM ", l'administration fiscale a seulement admis de simplifier les formalités de demande d'exonération totale ou partielle, pour les résidents d'Etats ayant conclu une convention fiscale avec la France qui remplissent les conditions d'exonération posées par ces conventions. Ce rescrit, qui porte sur la procédure de réclamation, ne comporte aucune prise de position formelle quant à l'imposition. Il s'ensuit que le moyen est inopérant.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de restitution de la société Performing Right Society Ltd à concurrence des sommes de 369 097 au titre de l'année 2013 et de 1 090 662 euros au titre de l'année 2014. Compte tenu de la renonciation au bénéfice du jugement mentionnée au point 3, il y a lieu de remettre à la charge de la société Performing Right Society Ltd les sommes de 296 960 euros au titre de l'année 2013 et 888 448 euros au titre de l'année 2014.

Sur les frais de l'instance :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Performing Right Society Ltd demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement du ministre de l'économie, des finances et de la relance à hauteur des sommes de 5 609 euros au titre de l'année 2013 et 170 810 euros au titre de l'année 2014 dont le ministre ne demande plus qu'elle soit remise à la charge de la société Performing Right Society Ltd.

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du recours du ministre de l'économie, des finances et de la relance à hauteur des sommes de 72 137 euros pour 2013 et 202 214 euros pour 2014, la société Performing Right Society Ltd ayant renoncé en appel au bénéfice du jugement lui donnant satisfaction sur ce point.

Article 3: Les retenues à la source dont la société Performing Right Society Ltd a été déchargée par le tribunal sont remises à sa charge à hauteur de 296 960 euros au titre de l'année 2013 et de 888 448 euros au titre de l'année 2014.

Article 4 : Les jugements n° 1502977 du 18 avril 2017 et n° 1702789 du 3 avril 2018 du tribunal administratif de Montreuil sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Les conclusions de la société Performing Right Society Ltd tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Performing Right Society Ltd.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président,

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

La rapporteure,

O. B...Le président,

P. BEAUJARDLa greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nos 21VE00439, 21VE00440 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00439
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ERNST et YOUNG

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-11-15;21ve00439 ?
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