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17/03/2023 | FRANCE | N°19VE02879

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 17 mars 2023, 19VE02879


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Intellia a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les décisions implicites de rejet prises par l'Institut national du cancer (INCa) à la suite de ses demandes indemnitaires préalables formulées par les mémoires en date du 21 mai 2016 et du 22 septembre 2016, de condamner l'Institut national du cancer à lui verser la somme de 588 278,20 euros toutes taxes comprises au titre des prestations réalisées et du préjudice subi du fait de la résiliation du marché, assortie des

intérêts moratoires à compter du 21 juin 2016 et de mettre à la charge de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Intellia a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les décisions implicites de rejet prises par l'Institut national du cancer (INCa) à la suite de ses demandes indemnitaires préalables formulées par les mémoires en date du 21 mai 2016 et du 22 septembre 2016, de condamner l'Institut national du cancer à lui verser la somme de 588 278,20 euros toutes taxes comprises au titre des prestations réalisées et du préjudice subi du fait de la résiliation du marché, assortie des intérêts moratoires à compter du 21 juin 2016 et de mettre à la charge de l'Institut national du cancer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701798 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'INCa à verser à la société Intellia la somme de 97 900 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2016 et a rejeté le surplus des conclusions présentées par la société Intellia ainsi que les conclusions de l'INCa.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 août 2019 et le 15 avril 2021, la société Intellia, représentée par Me Brault, avocate, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler partiellement le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il a seulement condamné l'INCa à lui verser la somme de 97 900 euros, sans assortir la somme des intérêts moratoires ;

2°) de condamner l'INCa à lui verser la somme de 298 863 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts moratoires à compter du 21 juin 2016 avec capitalisation à chaque échéance annuelle à raison des prestations réalisées et du préjudice résultant de la résiliation du marché ;

3°) de mettre à la charge de l'INCa la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ; sa requête était conservatoire et ses demandes identifiées ; elle demande un versement de 35 180 euros toutes taxes comprises au titre des prestations d'atelier de prototypage de la solution cible et des spécifications techniques détaillées (M1SOL1), de développement de la solution de recette unitaire et d'intégration et de documentation associée (M1SOL2) et d'assistance à la recette fonctionnelle (M1SOL3) ainsi que la somme de 6 825 euros toutes taxes comprises au titre de la réalisation des 3/4 de la prestation de reprise de l'ensemble des données de l'INCa (M1REP1) ; s'agissant des travaux réalisés sans bons de commande, elle peut prétendre à 58 590 euros au titre de la prestation M1REP2, 40 476 euros au titre de l'intégration d'un jeu de données dans l'application GIPSI ; au titre des travaux supplémentaires, à 9 600 euros toutes taxes comprises au titre de prestations d'assistance à la rédaction d'un appel d'offres, de 15 024 euros toutes taxes comprises au titre de la modification de fonctionnalité de renseignement de la déclaration publique d'intérêts, de 26 424 euros toutes taxes comprises au titre de transfert de données de l'application GIPSI vers une application existante, de 8 844 euros toutes taxes comprises au titre d'une demande de l'INCa sur une gestion différenciée des entités de recherche ; elle réclame donc la somme de 200 963 euros toutes taxes comprises en plus des 97 900 euros qui lui ont été alloués en première instance ;

- sa demande de première instance était recevable ; le moyen soulevé en appel est irrecevable eu égard à l'objet de la demande de la société qui ne porte que sur le quantum de la condamnation ; le décret du 2 novembre 2016 ne lui est pas opposable car la décision implicite de rejet est née le 23 novembre 2016 ; aucun délai de recours ne lui est opposable en l'absence de décision expresse ;

- le jugement est irrégulier car il ne fait pas apparaître dans les motifs le moyen tiré de l'application à toutes ses demandes indemnitaires des intérêts moratoires à compter du 21 juin 2016, en méconnaissance des articles L. 9 et R. 741-2 du code de justice administrative et le tribunal, par sa réponse au point 37, n'a pas statué sur sa demande d'intérêts moratoires, mais uniquement sur les intérêts au taux légal ;

- le tribunal a dénaturé les termes de son courriel du 4 décembre 2015 ; ce courriel est un courriel de travail relatif à l'état d'avancement de sous-lots techniques non contractuels qui ne peuvent pas justifier le refus de paiement de ses prestations ; le marché à bon de commandes est décomposé en 3 modules sans allotissement interne ; aucun sous-lot fonctionnel n'était prévu dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et si les lots fonctionnels n'ont pas entraîné de modification du périmètre technique ils ont eu un effet sur la gestion des taches ; cet allotissement répond aux seules contraintes de l'INCa et il n'a pas été discuté avec elle ni formellement accepté ;

- le tribunal administratif a retenu à tort un allotissement en 3 lots, définis unilatéralement par l'INCa lors d'un comité de pilotage le 24 septembre 2013 et qui ne peut lui être opposé en l'absence d'avenant au contrat ou d'ordre de service ; la seule émission et exécution de bons de commande est insuffisante ; l'article 1134 du code civil s'oppose à une modification du marché sans son consentement ; la décomposition retenue par l'INCa n'a pas de sens et l'articulation retenue n'a pas de cohérence technique ; le module initialisation devait être réalisé intégralement avant de passer à la suite et la réalisation d'un tiers de ce lot n'a pas de sens ; une décomposition en lots n'implique pas que chaque lot représente un tiers de l'unité d'œuvre en cause ; le tribunal devait prendre en compte les prestations réalisées dans chaque unité d'œuvre en cause dans le module 1 et au-delà du lot 1 les développements techniques effectivement réalisés ;

- le tribunal a dénaturé les pièces du marché en retenant l'intégration de 1 793 documents et en ne tenant pas compte de la liste des 3 513 documents importés qu'elle a produite au titre de la prestation M1REP2 ; chaque fichier est confidentiel et n'a été fourni que pour une importation ; les 1 793 fichiers invoqués par l'INCa ne sont pas identifiables ; l'ensemble des 3 813 fichiers a été traité et elle peut prétendre à un versement total de 100 440 euros toutes taxes comprises ;

- le tribunal a dénaturé les conditions d'intégration d'un jeu de données dans la solution GIPSI car il ne s'agit pas d'une opération de maintenance ;

- le tribunal a dénaturé les pièces s'agissant des travaux supplémentaires ; le poste de 9 600 euros toutes taxes comprises au titre d'assistance à la rédaction d'un appel d'offres n'a pas été rattaché à l'unité d'œuvre M2 EVO dans un devis et le cahier des clauses techniques particulières ne prévoyait pas d'assistance à maitrise d'appel d'offre ; le poste de 15 024 euros toutes taxes comprises correspondant à des modifications de fonctionnalité existante de renseignement de la déclaration publique d'intérêts ne relève pas de l'unité d'œuvre M1SOL1, qui a été réglée au titre de l'exécution du lot n° 1 du marché et l'INCa a demandé des modifications de la procédure de la déclaration publique d'intérêts, ce qui peut être prouvé en fournissant le code de la solution qu'il appartient à l'INCa de produire sur demande de la cour ; le poste de 26 424 euros toutes taxes comprises correspondant au transfert de données de l'application GIPSI vers une application existante afin d'assurer la continuité du service résulte du développement de modules de traitements supplémentaires pour la transmission des informations vers l'application Access préexistante, maintenue par la société Nodevo, et la synchronisation des données a nécessité une collaboration avec la société Nodevo ; le poste de 8 844 euros toutes taxes comprises correspondant à une demande de l'INCa portant sur une gestion différenciée des entités de recherche ayant conduit à intégrer dans la solution GIPSI des fonctionnalités spécifiques pour leur prise en charge ;

- s'agissant de l'appel incident de l'institut, la somme de 9 730 euros toutes taxes comprises est justifiée au regard de la négociation d'un protocole transactionnel ; s'agissant des 134 803,20 euros toutes taxes comprises réclamés, le tribunal administratif a relevé que la solution de réversibilité a été demandée par un bon de commande postérieur à la résiliation du marché et l'institut n'a jamais fait état de la nécessité de contracter avec une autre société.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 janvier 2020 et le 2 septembre 2021, l'Institut national du cancer (INCa), représenté par Me Sagalovitsch, avocat, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à la société Intellia la somme de 97 900 euros, à la condamnation de la société à lui verser la somme de 134 803,20 euros toutes taxes comprises augmentée des intérêts au taux légal et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable faute de chiffrage des demandes de la société ;

- la demande de première instance est irrecevable car la société Intellia était tenue par les mentions du courriel de notification du décompte de résiliation ; le délai du décompte mentionné dans la notification prévaut sur celui du contrat en cas de contradiction et la société aurait dû introduire directement son recours devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- le jugement doit être réformé en tant qu'il a fixé le solde du marché à 88 170 euros au lieu de 58 974 euros ; le jugement doit être réformé en tant qu'il a fait droit à la réclamation de la société à hauteur de 9 696 euros toutes taxes comprises pour les référentiels IRCP et CIM10 et de 19 500 euros toutes taxes comprises pour MESH ; l'INCa n'a pas commis de faute en décomposant en lots les unités d'œuvre du module 1, dans un but de transparence et alors que la société était désorganisée ; la société ne justifie pas de son préjudice ;

- à titre incident, le jugement doit être réformé en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 9 730 euros au titre de l'hébergement de la solution GIPSI alors que le règlement ne peut excéder la somme de 4 457 euros hors taxe et 5 348,47 euros toutes taxes comprises ; les dernières commandes ont été établies le 31 mai 2016 et la commande de la réversibilité a été rappelée ; le caractère exécutoire de ces commandes, contesté par la société après la résiliation et faute de signature des bons de commande, a été rappelé ; le montant retenu est excessif au regard de la réalisation de la prestation du 1er juillet au 17 septembre 2016, correspondant à 59 jours pour l'unité d'œuvre M3 HEB hébergement et de la réalisation de la prestation du 1er juillet au 17 septembre 2016, correspondant à 59 jours pour l'unité d'œuvre M2 MAI maintenance ;

- il peut prétendre au versement de la somme de 134 803,20 euros toutes taxes comprises ; le tribunal administratif a commis une erreur en considérant que la société n'était pas tenue de procéder aux opérations de réversibilité car nécessairement exécutées après la résiliation du marché alors que l'exécution d'un bon de commande peut avoir lieu après la fin du marché, ce que prévoit l'article 77 du CMP qui retient la validité du marché ; les bons de commande du 31 mai 2016 devaient être exécutés et la société devait réaliser la réversibilité des prestations et livrer les codes sources de l'application ;

- s'agissant du paiement de la somme de 35 180 euros toutes taxes comprises, la société n'a pas transmis de mémoire en réclamation dans les deux mois de la naissance du différend, soit l'émission de la facture du 5 octobre 2015, alors qu'elle y est tenue en vertu de l'article 37.2 du CCAG FCS ; la société a bien reconnu n'avoir réalisé que le lot 1 égal au 1/3 du projet et elle ne démontre la réalité d'aucune prestation ; seules les prestations des lots 1 ont été effectuées, et payées ; s'agissant du paiement de la somme de 6 825 euros toutes taxes comprises, la société n'a pas transmis de mémoire en réclamation dans les deux mois de la naissance du différend, soit l'émission de la facture du 5 octobre 2015, alors qu'elle y est tenue en vertu de l'article 37.2 du CCAG FCS, et la société a bien reconnu n'avoir réalisé que le lot 1 égal au 1/3 du projet et elle ne démontre la réalité d'aucune prestation ; seules les prestations du lot 1 de la prestation M1REP1 ont été effectuées, et payées ; s'agissant de la prestation M1REP2, le nombre de documents importés retenu par le tribunal est justifié, et il a démontré que seuls 1 493 documents ont été importés ; s'agissant des conditions d'intégration d'un jeu de données dans la solution GIPSI, c'est la société Intellia qui a rattaché cette opération à la maintenance dans sa réclamation, laquelle opération relève de la maintenance corrective et préventive ; s'agissant des travaux supplémentaires, et de la somme réclamée de 9 600 euros toutes taxes comprises au titre d'une assistance à appel d'offre, la société n'a pas transmis de mémoire en réclamation dans les deux mois de l'émission du bon de commande alors qu'elle y est tenue en vertu de l'article 37.2 du CCAG FCS et le devis établit rattache cette tâche à l'unité d'œuvre M2 EVO et donc à la maintenance évolutive ; un bon de commande a été établi le 12 juin 2014 et la somme de 8 794 euros a été réglée à ce titre ; s'agissant de la somme réclamée de 15 024 euros toutes taxes comprises au titre des prestations d'évolution de la DPI, les prestations sont comprises dans le lot 1 et font partie du module 1 M1SOL1 ayant fait l'objet d'un paiement ; s'agissant de la somme réclamée de 26 424 euros toutes taxes comprises au titre des prestations de continuité de service AAP, le rôle de la société était limité à la transmission à la société Nodevo des tables de l'application GIPSI, prestation entrant dans le cadre du module 2, maintenance évolutive ; il n'est justifié d'aucun travail supplémentaire, qui ne peut résulter que d'une mauvaise organisation de la société ; s'agissant de la somme réclamée de 8 844 euros toutes taxes comprises au titre des prestations de gestion spécifique des organismes dits entités de recherche, ces prestations sont comprises dans le marché et intégrées au module M1SOL1 et ont été payées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

- l'arrêté interministériel du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gaubert pour la société Intellia et de Me Le Baube pour l'INCa.

Deux notes en délibéré, présentées pour la société Intellia, ont été enregistrées les 23 et 25 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Intellia a conclu avec l'Institut national du cancer (INCa) un marché à bons de commande, qui lui a été notifié le 11 juillet 2013, pour une durée de deux ans renouvelable une fois, portant sur l'acquisition, la formation, la maintenance et l'hébergement d'une solution de gestion intégrée des projets suivis par l'INCa. Le marché a été renouvelé par un avenant notifié le 12 mai 2015, portant sur la mise en œuvre d'une prestation de support utilisateur front office et back office. Après un courriel de la société du 4 décembre 2015 informant l'institut de ses difficultés, l'INCa a mis en demeure la société de respecter ses obligations contractuelles par courrier du 23 mars 2016. Par courrier du 25 avril 2016 l'INCa a résilié le marché aux torts de la société Intellia à compter du 31 mai 2016 à minuit, sur le fondement du g) de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG FCS), régissant le marché en application de l'article 4 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP). Le 29 juillet 2016, l'INCa a adressé à la société Intellia le décompte de résiliation faisant apparaître un solde de 8 627,70 euros toutes taxes comprises au profit de la société. Le 22 septembre 2016, la société Intellia a adressé à l'institut un mémoire en réclamation contestant le décompte de résiliation, auquel l'institut n'a pas répondu. Par une requête enregistrée le 27 février 2017, la société Intellia a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'INCa à lui verser la somme de 588 278,20 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché et en réparation des préjudices résultant de la résiliation de ce marché, et l'institut, par la voie reconventionnelle, a demandé que la société Intellia soit condamnée à lui verser la somme de 134 803, 20 euros toutes taxes comprises. Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'INCa à verser à la SARL Intellia la somme de 97 900 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2016 et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par la présente requête, la société Intellia fait appel de ce jugement et demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'INCa à lui verser la somme de 298 863 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires, et l'institut, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de condamner la société à lui verser la somme de 134 803,20 euros toutes taxes comprises.

Sur les fins de non-recevoir opposées par l'Institut national du cancer :

En ce qui concerne la recevabilité de la requête d'appel :

2. Dans sa requête d'appel, la société Intellia, qui n'a certes pas précisé dans ses conclusions le montant des sommes qu'elle réclamait, a demandé à la cour d'annuler le jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions indemnitaires au-delà d'un montant de 97 900 euros. La société ayant demandé la condamnation de l'institut à lui verser la somme de 588 278,20 euros toutes taxes comprises en première instance, l'institut n'est pas fondé à soutenir que les demandes de la société Intellia dans sa requête n'étaient pas, ne serait-ce qu'indirectement, chiffrées.

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

3. Il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus à juste titre par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise aux points 2 à 5 de son jugement, d'écarter la fin de non-recevoir soulevée par l'INCa en première instance tirée de la méconnaissance du délai de contestation mentionné sur le décompte de résiliation.

Sur la régularité du jugement :

4. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le point 37 de son jugement figurant dans une partie intitulée " Sur les intérêts ", a statué, de manière suffisamment motivée, sur la demande de la société Intellia tendant à l'application des intérêts aux sommes que l'INCa a été condamné à lui verser. Ainsi, même si ce paragraphe fait état des intérêts au taux légal, la société n'est pas fondée à soutenir que le tribunal n'aurait pas statué sur sa demande ou de manière suffisamment motivée.

Sur le paiement des sommes dues au titre du marché :

En ce qui concerne les prestations réalisées en application des stipulations contractuelles :

5. Si la requérante soutient qu'elle peut prétendre au paiement d'une somme de 35 180 euros toutes taxes comprises au titre des prestations d'atelier de prototypage de la solution cible et des spécifications techniques détaillées (M1SOL1), de développement de la solution de recette unitaire et d'intégration et de documentation associée (M1SOL2) et d'assistance à la recette fonctionnelle (M1SOL3) ainsi que la somme de 6 825 euros toutes taxes comprises au titre de la réalisation des trois quarts de la prestation de reprise de l'ensemble des données de l'INCa (M1REP1), elle n'apporte aucune précision à l'appui de cette demande. En outre, à supposer que la société Intellia puisse être regardée comme contestant la fixation du montant de ces prestations sur la base du courriel de la société du 4 décembre 2015, à hauteur d'un tiers du montant global correspondant à la réalisation du lot 1 représentant lui-même un tiers des lots constitués lors d'un comité de pilotage le 24 septembre 2013 sur cinq unités d'œuvre du module 1 du marché (INIT, SOL 1, 2 et 3 et REP1), il ressort toutefois dudit courriel que la société elle-même a considéré que le lot 1 représentait un tiers du total alloti. Elle ne justifie donc pas que les montants qui lui ont été alloués par le tribunal administratif au titre de ces prestations seraient erronés.

En ce qui concerne les travaux réalisés sans bons de commande :

6. Si la société Intellia soutient qu'elle peut prétendre au paiement d'une somme supplémentaire de 58 590 euros en sus des 41 850 euros alloués par le tribunal administratif au titre de l'unité d'œuvre REP 2 du module 1, au titre de l'intégration dans l'application de 3 513 documents et non de 1 793, ainsi que l'a retenu le tribunal, elle n'établit pas la réalité d'une telle intégration par la production d'une liste de documents établie par ses soins, les classant dans une suite continue de numéros avec un titre générique identique pour chacun des documents, sans aucune précision quant à son contenu ou aux conditions de son intégration. Ainsi, et alors qu'il résulte de l'instruction que le nombre de 1 793 documents retenu par le tribunal procède de l'addition des documents importés à l'occasion des 16 tickets précisément identifiés, par leur date et leur numéro, par la société Intellia elle-même dans son mémoire de réclamation, elle ne justifie pas d'un droit à percevoir une somme supplémentaire de 58 590 euros au titre de l'intégration de documents.

7. La société Intellia soutient aussi qu'elle peut prétendre au paiement de 40 476 euros toutes taxes comprises au titre de l'intégration d'un jeu de données dans l'application GIPSI, au seul motif que ce montant n'a pas pu être facturé au titre des opérations de maintenance car elle n'en relève pas. Toutefois, elle n'apporte en appel aucune justification supplémentaire à celles apportées en première instance et de nature à remettre en cause la position du tribunal qui a estimé que cette prestation avait été rémunérée au titre de la maintenance corrective et préventive, et ce alors au surplus que la société avait rattaché ces prestations à la maintenance évolutive dans son mémoire en réclamation.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

8. La société Intellia soutient qu'elle peut prétendre au versement d'une somme de 9 600 euros toutes taxes comprises au titre d'une prestation d'assistance à appel d'offre pour la sélection d'une solution de signature électronique, non prévue par le module 2 EVO. Si la société a effectivement été payée à raison de ses prestations supplémentaires réalisées pour l'intégration de cette signature dans le logiciel GIPSI après son acquisition, il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier du devis établi par la société et du bon de commande établi le 12 juin 2014 qui ne sont relatifs qu'à l'intégration effective de la signature électronique dans le processus de dépôt des DPI par les déposants après la souscription par l'institut du service offert par la société Dictao, que la prestation d'assistance à appel d'offres, dont la réalité n'est pas contestée, aurait été prise en compte à cette occasion. Par ailleurs, l'INCa ne peut pas utilement se prévaloir de l'absence d'émission dans les deux mois suivant le bon de commande n° 2014/1404 du 12 juin 2014 d'un mémoire de réclamation dès lors que ce bon était en tout état de cause étranger à la prestation en litige. La société n'étant pas contredite quand elle évoque 10 jours d'intervention d'un chef de projet à raison de 800 euros par jour, elle est fondée à demander le versement d'une somme de 9 600 euros toutes taxes comprises à raison de cette prestation non prévue par le marché.

9. Si la société soutient qu'elle peut prétendre au versement d'une somme de 15 024 euros toutes taxes comprises à raison des modifications demandées par l'INCa s'agissant de la fonctionnalité de renseignement de la déclaration publique d'intérêts car elles ne relèvent pas de l'unité d'œuvre SOL 1 du module 1 qui a été réglée au titre de l'exécution du lot n° 1 du marché, elle n'apporte, en appel comme en première instance, aucun élément de nature à établir la réalité de ses allégations.

10. De la même façon, la société n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité des prestations supplémentaires qu'elle soutient avoir délivrées à l'occasion du transfert de données de l'application GIPSI vers une application existante, et ne justifie pas en particulier que sa prestation ne serait pas limitée à un transfert des tables de l'application GIPSI vers la société Novedo. Elle n'est donc pas fondée à demander à ce titre le versement d'une somme de 26 424 euros toutes taxes comprises.

11. Enfin, la société n'établit pas que la gestion différenciée des entités de recherche et les fonctionnalités spécifiques pour leur prise en charge, au titre de laquelle elle réclame une somme de 8 844 euros toutes taxes comprises, ne résulterait pas des termes mêmes du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), qui différencie les entités des organismes.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société est seulement fondée à demander la réformation du jugement en tant qu'il a refusé de lui allouer une somme de 9 600 euros au titre de travaux supplémentaires au titre d'une prestation d'assistance à appel d'offre.

13. En revanche, l'INCa conteste le solde du marché retenu par le tribunal administratif s'agissant des montants de 19 500 euros et de 9 696 euros toutes taxes comprises mis à sa charge par le tribunal pour la réalisation d'un référentiel des organes sur les nomenclatures médicales ICRP et CIM 10 et MESH, lesquels n'étaient pas prévus et ont été commandés par l'institut. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction, et en particulier des échanges liés aux référentiels produits par la société à l'appui de son mémoire en réclamation, que l'élaboration de ces référentiels était exclue par le CCTP, lequel n'en évoque aucun précisément et se borne à faire état d'un référentiel. En outre, dans un courriel du 12 février 2014, et dans l'attente des décisions d'un futur groupe de travail référentiel, l'INCa évoquait déjà les référentiels CIM 10 et ICRP. L'institut est donc fondé à demander la réduction du solde du marché, à hauteur de 29 196 euros toutes taxes comprises.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de mettre au crédit de la société Intellia une somme de 68 574 euros toutes taxes comprises, au titre de diverses prestations réalisées et non encore réglées par l'INCa et qu'il n'y a pas lieu de déduire des pénalités. Dès lors, la somme à laquelle la société Intellia peut prétendre au titre de l'exécution du marché doit être ramenée à 68 574 euros toutes taxes comprises correspondant au solde du décompte en faveur de la société.

Sur les demandes reconventionnelles de l'Institut national du cancer :

15. L'INCa soutient, en premier lieu, qu'il peut prétendre au versement d'une somme de 134 803,20 euros toutes taxes comprises par la société Intellia dans la mesure où cette dernière n'a pas délivré la prestation de réversibilité qui lui a été commandée le 31 mai 2016, qu'elle n'a pas livré les codes sources de l'application en méconnaissance de l'article 12-2 du CCAP et qu'elle a dû avoir recours à une autre société après la résiliation du contrat pour obtenir cette fonctionnalité. Toutefois, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, les bons de commande relatifs à la réversibilité de la solution n'ont été émis que le 31 mai 2016 à 19h16, soit quelques heures avant la résiliation effective du marché, alors que la réalisation de cette prestation était discutée entre les deux parties depuis le début du mois de mai. Il résulte également de l'instruction que ces bons de commande ne sont pas signés, en méconnaissance des termes de l'article 8-3 du CCAP qui prévoit leur signature par le représentant habilité de l'INCa, et portent pour certains la mention " brouillon ". Enfin, le courrier de résiliation du 25 avril 2016, s'il fait état des commandes relatives à la réversibilité, ne fait pas état de la possibilité pour l'INCa de faire réaliser cette prestation par une autre société, tel que requis par l'article 36 du CCAG FCS. La demande de l'INCa à ce titre ne peut donc qu'être rejetée.

16. L'INCa fait valoir, en second lieu, que la somme de 9 730 euros toutes taxes comprises mise à sa charge par le jugement attaqué au titre d'une prestation d'hébergement de la solution GIPSI par la société Intellia après la résiliation du marché, pour la période du 1er juin au 17 septembre 2016, résulte des négociations avortées d'un protocole transactionnel et non d'un calcul précis des jours d'hébergement de la solution. L'institut fait ainsi valoir, sans que les éléments chiffrés qu'il avance soient contestés, que l'hébergement de la solution pendant le mois de juin avait été réglée, et que l'accès à l'application n'a été assuré, sur une période théorique de 92 jours, que 59 jours. Il y a donc lieu, à raison des prestations d'hébergement et de maintenance assurées par la société après la résiliation du marché, de ramener le montant auquel l'INCa a été condamné par le tribunal à 5 348,47 euros toutes taxes comprises.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de la condamnation mise à la charge de l'INCa doit être ramené à 73 922,47 euros toutes taxes comprises.

Sur les intérêts :

18. Le CCAP stipule, en son article 17-2 relatif au paiement, que le paiement des acomptes et du solde doit intervenir dans un délai global de 30 jours à compter de la réception de la demande de paiement et, en son article 17-3, que le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du marché ou le sous-traitant payé directement, le bénéfice d'intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration du délai global de paiement et jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. Il stipule également que le taux des intérêts moratoires est celui visé au 2° du II de l'article 5 du décret n° 2002-232 du 21 février 2002 modifié, lequel prévoit que le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points, et que les modalités de calcul des intérêts moratoires sont fixées selon les dispositions du décret n° 2002-232.

19. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

20. Par un courrier du 21 mai 2016, reçu le 23 mai 2016 par l'INCa, la société a demandé le versement d'une somme de 574 816,21 euros au titre de l'exécution du marché et des préjudices procédant de la décision de résiliation. Le décompte de résiliation a ensuite été adressé par l'INCa le 29 juillet 2016 et la société l'a contesté par un mémoire reçu le 29 septembre 2016. Il résulte de ce qui précède que la société Intellia est fondée à demander l'application des intérêts moratoires tels que prévus par le marché, et non des intérêts au taux légal, aux sommes qui lui sont dues. Ces intérêts s'appliqueront à compter du 23 juin 2016, soit 30 jours après la réception de la demande de paiement du principal. Ils produiront eux-mêmes intérêts à compter du 23 juin 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Intellia sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'INCa n'étant pas, pour l'essentiel, la partie perdante à l'instance.

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'INCa présentées sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La somme que l'INCa est condamné à verser à la société Intellia est ramenée à 73 922,47 euros toutes taxes comprises. Cette somme portera intérêts à compter du 23 juin 2016 dans les conditions prévues par le 2° du II de l'article 5 du décret n° 2002-232 du 21 février 2002.

Les intérêts échus à la date du 23 juin 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 juin 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intellia et à l'Institut national du cancer (INCa).

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mars 2023.

Le rapporteur,

O. A...Le président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 19VE02879 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02879
Date de la décision : 17/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02-03 Marchés et contrats administratifs. - Fin des contrats. - Résiliation. - Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : CABINET PALMIER et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-03-17;19ve02879 ?
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