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13/04/2023 | FRANCE | N°19VE00221

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 13 avril 2023, 19VE00221


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pontoise a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, de condamner solidairement les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie, Project Eclairage et Les Compagnons Paveurs à lui verser la somme de 60 619,26 euros TTC, correspondant aux dépenses exposées par elle en raison des malfaçons affectant le revêtement des places du Souvenir, du Petit Martroy et du Grand Martroy ainsi que la somme de 1 600 000 euros TTC correspondant au coût de leur réfection intégrale ou, à d

faut de cette dernière somme, la somme de 1 970 000 euros TTC correspondant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pontoise a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, de condamner solidairement les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie, Project Eclairage et Les Compagnons Paveurs à lui verser la somme de 60 619,26 euros TTC, correspondant aux dépenses exposées par elle en raison des malfaçons affectant le revêtement des places du Souvenir, du Petit Martroy et du Grand Martroy ainsi que la somme de 1 600 000 euros TTC correspondant au coût de leur réfection intégrale ou, à défaut de cette dernière somme, la somme de 1 970 000 euros TTC correspondant aux dépenses qu'elle devra exposer dans l'avenir pour remédier à ces malfaçons, assorties des intérêts et de leur capitalisation, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin d'apprécier l'étendue exacte de son préjudice, et de mettre à la charge des sociétés Etude Zurbaine, Hortesie, Project Eclairage et Les Compagnons Paveurs la somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1511328 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné in solidum les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie, Project Eclairage et Les Compagnons Paveurs à verser à la commune de Pontoise la somme de 897 511,81 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts à compter du 23 décembre 2016, mis à la charge définitive de ces sociétés la somme de 7 069,11 euros correspondant aux frais d'expertise, condamné la société Les Compagnons Paveurs à garantir chacune des sociétés Etude Zurbaine, Hortesie et Project Eclairage à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à leur encontre et mis à la charge solidaire des sociétés Etude Zurbaine, Hortesie, Project Eclairage et Les Compagnons Paveurs la somme de 1 500 euros à verser à la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 21 janvier 2019, 30 mars 2021 et le 19 mai 2021, les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie, représentées par Me Caron, avocat, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il les a condamnées in solidum à verser à la commune de Pontoise la somme de 897 511,81 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 7 069,11 euros au titre des frais et honoraires d'expertise ;

2°) d'enjoindre à la commune de Pontoise de justifier de l'utilisation des sommes allouées en première instance pour remédier aux désordres ;

3°) de condamner la société Les Compagnons Paveurs à les garantir de toutes condamnations qui pourraient, le cas échéant, être mises à leur charge ;

4°) de rejeter l'appel incident de la commune de Pontoise ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Pontoise la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leurs conclusions tendant à appeler en garantie la société Les Compagnons Paveurs sont recevables dès lors que la circonstance qu'elles n'aient pas déclaré préalablement leur créance détenue sur cette entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire auprès du liquidateur judiciaire dans le délai imparti par le code de commerce est sans influence sur l'établissement de la réalité et de la consistance de leur créance ;

- le tribunal administratif a méconnu le principe de la réparation intégrale en les condamnant à indemniser la commune au-delà des coûts strictement nécessaires pour remédier aux désordres invoqués ;

- aucune faute contractuelle ne saurait leur être imputée quant au choix du produit Viaprotech(r) appliqué sur les voies ; ce produit est présenté sur le site internet de la société qui le commercialise comme une solution préventive idéale notamment sur les voies roulantes ; le groupement de maîtrise d'œuvre a rempli son obligation de conseil en informant le maître d'ouvrage de la nécessité de réduire la vitesse de circulation à 20 km/h ; il l'a alerté sur le risque de glissance susceptible de résulter de l'application de ce produit sur la chaussée et lui a proposé des solutions pour résoudre le problème de glissance ; le maître d'ouvrage a manqué de diligence en décidant la mise en œuvre d'un procédé qui ne permettait pas de résoudre totalement la problématique de la glissance ; en tout état de cause, la société Les Compagnons Paveurs, qui avait la qualité de spécialiste des revêtements routiers et piétons dans les espaces publics, n'a formulé aucune remarque sur l'usage de ce produit et son adéquation avec l'affectation des voies ;

- elles n'ont pas davantage commis de faute contractuelle dans le choix des pavés calcaires ; le choix de ce matériau s'inscrivait dans le cadre du programme d'opération défini par la commune qui invitait à retenir des matériaux nobles et à utiliser les voies en circulations douces où une place serait redonnée aux piétons et cyclistes ; le maître d'ouvrage a décidé de ne pas limiter la vitesse de la circulation sur la chaussée à 20 km/h, contrairement à ce que les sociétés exposantes préconisaient ; en l'absence de réserve émise par le maître d'ouvrage sur le choix de pavés effectué par le groupement de maîtrise d'œuvre, le maître d'ouvrage est réputé l'avoir validé ; la pierre calcaire retenue par le groupement de maîtrise d'œuvre répondait parfaitement aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières et, notamment, aux normes applicables en matière de résistance à la glissance ; en tout état de cause, selon l'expert, les phénomènes de glissance constatés ne résultent pas du choix des pavés calcaires mais de l'application du produit Viaprotech(r) ; le choix des pavés calcaires n'est pas incompatible avec la circulation routière mais nécessite simplement une surveillance accrue ; enfin, selon l'expert, le choix de ces pavés était pleinement satisfaisant pour les zones de circulation automobile à vitesse modérée, les trottoirs et voies piétonnes ;

- à titre subsidiaire, les préjudices liés au coût de location d'un véhicule haute pression de mai à juillet 2012 et au coût du nettoyage des voies ouvertes à la circulation places du petit Martroy et du grand Martroy, évalués respectivement aux sommes de 19 935,84 euros TTC et de 1 626,56 euros TTC, ne sont pas en lien direct avec les fautes du maître d'œuvre ; il appartient à la commune de supporter le coût de l'assistance d'un ingénieur conseil dans le cadre des travaux de flammage des pavés, d'un montant de 1 315,60 euros TTC, qui n'était pas indispensable à la réalisation des mesures conservatoires ;

- la commune ne peut obtenir une indemnisation au titre de la réfection de la chaussée dès lors que ces travaux excèdent les mesures nécessaires à la réparation des fautes commises par les sociétés exposantes ; en suivant la solution proposée par l'expert consistant à réaliser un décapage technique sur les voies circulées et un micro-grenaillage sur les voies piétonnes, la commune a fait le choix de conserver le revêtement en pavés de calcaire et a nécessairement renoncé au remplacement du revêtement dans sa totalité ; les traces de pneus sur la voirie résultent de l'usure habituelle des voies quelle que soit la nature du revêtement choisi, dont le nettoyage incombe à la commune dans le cadre de l'entretien normal de sa voirie ; une telle indemnisation procurerait à la commune un enrichissement sans cause ;

- à titre infiniment subsidiaire, le coût des travaux réparatoires est manifestement surévalué dès lors qu'il a été évalué sur la base de devis établis en 2018, soit plusieurs années après le dépôt du rapport d'expertise ; par ailleurs, le tribunal administratif n'a pas tenu compte du fait que les désordres liés au polissage des pavés ne se déclareront que plusieurs années après la réalisation des ouvrages qui auront nécessairement subi les dégradations du temps ; le rapport d'expertise ne s'est pas prononcé sur l'utilité de travaux de remplacement intégral du revêtement des sols ; en tout état de cause, les travaux de remplacement intégral du revêtement des sols n'étaient pas nécessaires pour mettre fin aux désordres et rendre les ouvrages à leur destination initiale ; les sociétés exposantes, qui ont déjà réglé la somme de 85 364,50 euros au titre des travaux de flammage, de nettoyage et d'assistance d'un ingénieur conseil, ne sauraient être condamnées à indemniser la commune deux fois du même dommage ; un abattement pour vétusté aurait dû être appliqué par le tribunal administratif sur le montant de l'indemnité allouée ; la solution retenue par la commune n'est pas la moins onéreuse ;

- il convient d'enjoindre à la commune de produire tout élément permettant d'apprécier si elle a utilisé les sommes perçues pour remédier aux désordres et qu'elle ne les a pas utilisés pour réaliser une autre opération de travaux publics ;

- l'appel incident de la commune doit être rejeté ; la commune ne saurait être indemnisée du coût des travaux de flammage des voies piétonnes et des places dès lors que la fréquence anormalement élevée des chutes de piétons dont elle se prévaut n'est pas établie par les pièces du dossier ; l'expert a souligné, en tout état de cause, la conformité de ces voies aux normes en vigueur ; la commune ne saurait non plus être indemnisée au titre des frais de lavage des voies dès lors que les traces de pneus relèvent de l'usure habituelle des voies ; elle ne peut être indemnisée au titre des frais de location des feux de circulation routière de chantier dès lors qu'elle ne justifie pas de la réalité de cette dépense ; elle ne peut, enfin, être indemnisée des montants des marchés de travaux nécessaires à la réfection complète des trois places et du coût des prestations de maîtrise d'œuvre correspondantes dès lors que l'expert a seulement constaté des anomalies sur les voies ouvertes à la circulation et que la commune ne démontre pas que les travaux préparatoires et correctifs déjà réalisés n'auraient pas suffi à remédier aux désordres.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 17 mai 2019 et le 11 mars 2021, la société Les Compagnons Paveurs, représentée par son liquidateur judiciaire, la SELARL Axyme, représentée par Me Petrelli, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 novembre 2018 en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie et Project Eclairage, à verser à la commune de Pontoise les sommes de 597 511,87 euros, 7 069,11 euros et 1 500 euros et à garantir les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie et Project Eclairage à hauteur de 30 % des condamnations mises à leur charge ;

2°) de rejeter l'appel incident de la commune de Pontoise et les appels en garantie formés par les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Pontoise la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamnée à indemniser la commune de Pontoise alors qu'il ne pouvait que fixer le montant de sa créance éventuelle à son passif, conformément aux dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce ;

- l'appel en garantie formé par les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie à son encontre est irrecevable faute pour ces dernières d'avoir déclaré leurs créances au passif de la société lors de son placement en liquidation judiciaire en application de l'article L. 622-24 du code de commerce ; elles ne sont également pas recevables à solliciter sa condamnation en application de la règle de la suspension des poursuites à l'encontre d'une entreprise soumise à une procédure collective prévue à l'article L. 622-34 du code de commerce ;

- sa responsabilité ne peut être engagée dès lors qu'elle n'a pas été retenue par l'expert, qu'elle n'avait aucun pouvoir dans le choix des matériaux et produits retenus et dans la direction des travaux, que les références utilisées par l'expert n'étaient pas appropriées aux travaux en cause et que les pierres mises en œuvre répondaient aux normes en vigueur, notamment la norme NF B 10601 ;

- la solution retenue par la commune pour remédier aux désordres, consistant en un flammage des surfaces, appliqué sur des pierres ne supportant pas cette mise en œuvre, était inutile et ne répondait pas aux exigences du rapport d'expertise ; l'intervention d'une entreprise tierce pour sa réalisation, dans le cadre de l'article 35 du cahier des clauses administratives générales (CCAG), a rendu l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la commune a méconnu les articles 48-2 à 48-5 du CCAG Travaux ;

- la société Teos a commis un manquement contractuel, causant un préjudice à la société exposante ;

- le montant des réparations engagées par la commune est limité à la somme de 85 364 euros TTC, de sorte que la somme allouée par le tribunal administratif est disproportionnée ;

- la commune a déjà retenu une somme de 63 350,39 euros TTC sur sa rémunération et n'a pas établi de décompte général.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 octobre 2019 et le 21 avril 2021, la commune de Pontoise, représentée par Me Banel, avocate, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires portant sur les frais liés au décapage thermique de la chaussée réalisé en 2012, les opérations de lavage des voies publiques, la mise en œuvre d'une signalétique autoroutière, le coût des marchés de travaux nécessaires à la réfection complète des trois places publiques et le coût des prestations de maîtrise d'œuvre nécessaires à la réalisation de l'opération et qu'il a limité à la somme de 897 511,87 euros le montant de l'indemnisation allouée en réparation de ses préjudices.

Elle soutient que :

- les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie ont commis une faute en préconisant l'application du produit Viaprotech ; cette préconisation résulte du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 4 rédigé par la maîtrise d'œuvre au titre de sa mission d'assistance à la conclusion des marchés de travaux ; la présentation positive de ce produit sur le site internet assurant sa commercialisation n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire selon lesquelles ce produit n'aurait jamais dû être appliqué sur la voie publique ouverte à la circulation automobile compte tenu de ses propriétés anti-adhésives ; les requérante n'établissent pas l'avoir alertée sur les risques liés à l'utilisation de ce produit, ni sur le caractère " accidentogène " des lieux, en se bornant à produire des courriers électroniques postérieurs à l'apparition de désordres déjà constatés et tentant d'ébaucher des solutions réparatoires ; les solutions qu'elles lui ont proposées pour remédier aux désordres n'étaient pas adaptées et étaient provisoires ; ce sont les choix de conception du maître d'œuvre qui sont à l'origine des difficultés rencontrées par l'exposante et non la configuration des places ;

- les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie ont commis une faute en choisissant des pavés calcaires ; ce choix lui a causé un préjudice puisqu'il impose un entretien spécifique de la voirie dont le coût excède celui d'un entretien classique ; ce choix ne répondait pas aux objectifs qu'elle poursuivait et consistant en une mixité des usages des trois places publiques dès lors qu'il n'était pas compatible avec la circulation routière ; les sociétés requérantes auraient pu choisir un autre matériau tout aussi noble et avaient une obligation de conseil à son égard ; aucun document contractuel n'atteste de la volonté de l'exposante de limiter la circulation à 20 km/h sur les trois places publiques, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, les pièces du dossier établissant avant tout son refus de mettre en place une " zone de rencontre " ; au demeurant, il n'est pas établi que la pose de pavés calcaires ne présentait aucun risque même en cas de circulation à vitesse réduite à 20 km/h ; elle ne disposait pas des compétences techniques pour s'opposer au choix de pavés calcaires, raison pour laquelle, d'ailleurs, elle a conclu un marché de maîtrise d'œuvre ; la responsabilité du choix de poser des pavés calcaires incombe entièrement à la maîtrise d'œuvre ; la circonstance que les matériaux utilisés répondaient aux préconisations du CCTP est sans incidence dès lors que la maîtrise d'œuvre a rédigé un CCTP inadapté en ce qu'il faisait référence à des normes non pertinentes pour une chaussée destinée à la circulation automobile ;

- les désordres provoqués par les fautes de la maîtrise d'œuvre ont nécessité la mise en œuvre de mesures conservatoires ; la location pendant trois mois d'un véhicule à fonction de haute pression et un nettoyage haute pression d'une partie des voies, qui étaient préconisées par l'expert, ont été rendues nécessaires à la suite de l'élimination du produit Viaprotech(r) afin d'assurer le traitement adéquat des voies ; ces dépenses ne relèvent donc pas de l'entretien courant de la voirie ; de même, l'assistance d'un ingénieur conseil lors des travaux de flammage était indispensable, compte tenu de la carence de la maîtrise d'œuvre, afin de s'assurer de l'efficacité de ces travaux en vue de la sécurité des usagers ;

- le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par l'exposante imposait cette réfection complète de la voirie roulante ; elle devait disposer d'un revêtement en enrobé standard roulant et piétonnier qualitatif répondant à la fois au label Ville d'art et d'histoire et au caractère protégé du site, aux impératifs de sécurité et aux procédures d'entretien courant de la chaussée ; si le flammage a permis de résoudre immédiatement la glissance anormale de la chaussée, il n'a eu que des effets provisoires ; la réfection totale s'explique par le souhait de l'exposante de diminuer le risque d'accidents sur la chaussée qui ne peut pas reposer exclusivement sur la limitation de la vitesse de circulation autorisée ; la réfection complète de la chaussée s'avère moins onéreuse qu'un entretien intensif et fréquent pendant toute la durée de vie normale de la chaussée ; elle ne pouvait être regardée comme ayant fait le choix de conserver le revêtement en pavés calcaires au seul motif qu'elle a procédé dans l'urgence au décapage thermique des chaussées, cette mesure n'ayant été mise en œuvre que dans le but de limiter les accidents causés par l'absence d'adhérence du revêtement ;

- le tribunal administratif n'a pas surévalué le coût des travaux réparatoires ; le caractère récent des devis est de nature à garantir leur pertinence ; la chaussée ayant été affectée dès l'origine de graves désordres, un coefficient de vétusté ne saurait être appliqué ; par ailleurs, elle est libre d'utiliser les indemnités allouées par le juge comme elle le souhaite ; en tout état de cause, le conseil municipal a provisionné, par une délibération du 21 novembre 2019, les sommes allouées par le tribunal administratif pour le réaménagement des trois places publiques et elle n'entend pas les utiliser pour financer le parking, contrairement à ce qu'affirment les sociétés requérantes ;

- contrairement à ce que soutient la société Les compagnons Paveurs, l'article L. 622-21 du code de commerce ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif fixe le montant des indemnités dues par l'entreprise ou son liquidateur à la commune et les condamne à verser ces montants ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, elle doit être indemnisée du préjudice né de la reprise de la chaussée par décapage thermique des voies piétonnes en 2012, à hauteur de la somme complémentaire de 21 797,57 euros TTC ; la conclusion de l'expert selon laquelle les désordres imputables à ses co-contractants sont limités à la seule chaussée routière et pas à la chaussée piétonne est remise en cause par une partie de l'expertise et par la fréquence anormalement élevée des chutes sur les voies piétonnes ; le choix du flammage plutôt que du micro-grenaillage était justifié par le fait que cette solution permettait aux pavés de retrouver leurs caractéristiques originelles et par le fait que le micro-grenaillage avait déjà été testé et présentait des effets limités dans le temps ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, elle doit également être indemnisée des coûts d'achat de produits dégraissants dans le cadre des opérations de lavage des voies publiques réalisées, à raison d'une fois tous les trois mois, entre avril 2011 et avril 2012, à hauteur de la somme de 6 593,31 euros TTC ; la nécessité de procéder au nettoyage des chaussées à la suite du décapage thermique a été mise en évidence par l'expert ; ces opérations de nettoyage effectuées après le flammage ont rendu nécessaire l'acquisition de produits nettoyants ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle doit être indemnisée du préjudice né de la mise en place d'une signalétique adaptée au danger, à hauteur de la somme de 9 360,58 euros TTC ; pour prévenir les accidents, elle a dû louer pendant 83 jours des feux tricolores de chantier, ce dont elle justifie par une facture du 16 mai 2012 émise par une société spécialisée dans le secteur de la construction de routes et d'autoroutes, mentionnant l'affectation du matériel et la durée de location et précédant de deux mois la facture concernant l'acquisition de feux tricolores qui a été indemnisée par le juge des référés provision ; cette somme ne fait pas double emploi avec celle allouée par le juge des référés qui concerne uniquement les frais d'acquisition des feux tricolores ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, elle doit être indemnisée afin de pouvoir procéder à la réfection complète de la chaussée et non pas seulement à la réfection de la chaussée autoroutière, pour un montant de 1 626 854,13 euros TTC ; les chaussées piétonnes ont également dû faire l'objet de travaux ; en outre, c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le devis le moins-disant pour évaluer le montant du préjudice alors qu'il aurait dû établir une moyenne des quatre devis produits.

La requête a été communiquée à la société Project Eclairage qui n'a pas produit d'observations.

Par un courrier du 24 mars 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Pontoise de justifier de l'utilisation des sommes allouées en première instance, dès lors qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative d'adresser des injonctions à l'administration en dehors des cas prévus par des dispositions législatives particulières, notamment par les articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, qui sont inapplicables en l'espèce.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Poisson, pour les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie, de Me Peyronne, pour la commune de Pontoise, et de Me Petrelli pour la SELARL EMJ, représentant la société Les Compagnons Paveurs.

Une note en délibéré, enregistrée le 3 avril 2023, a été présentée pour les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Pontoise a confié, par un acte d'engagement du 9 juillet 2007, au groupement d'entreprises solidaires constitué des sociétés Etude Zurbaine, mandataire de ce groupement, Hortésie et Project éclairage, le marché de maîtrise d'œuvre des travaux d'aménagement des places du Souvenir, du petit Martroy et du grand Martroy. Dans le cadre de cette opération, la société Les Compagnons Paveurs s'est vu attribuer le lot n° 4 " Pavage, dallage et mobilier " par un acte d'engagement du 15 juin 2009. Ayant été alertée de la survenance de plusieurs accidents en juillet 2010 en raison du caractère glissant de la chaussée par temps de pluie, la commune de Pontoise a sollicité la désignation d'un expert afin de déterminer la nature et les causes des désordres affectant le revêtement de ces trois places ainsi que les mesures permettant d'y remédier. Désigné par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 mars 2011, l'expert a remis son rapport le 19 novembre 2011. Par une ordonnance du 5 mars 2014, le juge des référés du tribunal administratif, saisi sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, a condamné les sociétés Etude Zurbaine et Les Compagnons Paveurs à verser à la commune de Pontoise une provision d'un montant de 99 733,51 euros TTC. Les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie font appel du jugement du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise les a condamnées à verser à la commune de Pontoise, in solidum avec la société Project Eclairage et la société Les Compagnons Paveurs, la somme de 897 511, 81 euros, assortie des intérêts aux taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de leurs manquements à leurs obligations contractuelles et à supporter la charge définitive des frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 7 069,11 euros. La commune de Pontoise conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, l'annulation du jugement en tant qu'il a limité la condamnation de ses co-contractants à lui verser la somme de 897 511,87 euros au titre de l'indemnisation de ses préjudices. Par la voie de l'appel provoqué, la société Les Compagnons Paveurs demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à indemniser la commune et, par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, en tant qu'il l'a condamnée à garantir les sociétés Etude Zurbaine, Hortesie et Project Eclairage à hauteur de 30 % des condamnations in solidum.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle des sociétés Etude Zurbaine et Hortesie :

S'agissant du choix du produit Viaprotech(r) :

2. Il résulte de l'instruction que l'article 3.10 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 4 " pavage - dallage - mobilier " dont il n'est pas contesté que la rédaction incombait au groupement de maîtrise d'œuvre, prévoyait, pour le traitement des surfaces, l'application d'un produit " du type Viaprotech hydroleo de chez Viatech ou similaire ". Il résulte également de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 19 novembre 2011 que le traitement de la surface des pavés par le produit Viaprotech(r), qui présente, selon sa fiche technique, une anti-adhérence exceptionnelle, rend la surface sur laquelle il est appliqué très glissante notamment lorsqu'il est recouvert d'un film d'eau et que ce produit n'aurait pas dû être appliqué sur des voies ouvertes à la circulation automobile compte tenu de la diminution considérable qu'il emporte sur le frottement à l'interface pneu/route. Si les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie soutiennent avoir alerté le maître d'ouvrage sur les risques de glissance résultant de l'application de ce produit sur la chaussée et sur la nécessité de limiter la vitesse de circulation à 20 km/h dans les zones concernées par l'opération de travaux, il résulte de l'instruction que ces mises en garde n'ont été adressées au maître de l'ouvrage qu'après constatation du caractère glissant de la chaussée à la suite de la survenance de plusieurs accidents et dans le seul but de proposer à la commune des solutions provisoires pour remédier à cette glissance. De plus, si les sociétés requérantes ont indiqué à la commune que la glissance de la chaussée résultait de la configuration des lieux, cette affirmation n'est étayée par aucune pièce du dossier et ne permet pas de remettre en cause les conclusions de l'expert sur le caractère inadapté du produit Viaprotech(r). En outre, le manque de diligence de la commune dans la mise en place de solutions pour remédier à la perte d'adhérence de la chaussée, à le supposer même établi, ne peut utilement être invoqué par les sociétés requérantes pour s'exonérer de leurs obligations contractuelles. Les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie ne sauraient davantage se prévaloir des informations générales mentionnées sur le site commercialisant le produit Viaprotech(r), qui le présentent comme une solution idéale sur les voies roulantes, alors qu'elles étaient tenues, aux termes de leurs obligations contractuelles, à un devoir de conseil à l'égard du maître d'ouvrage quant à l'utilisation des matériaux à mettre en œuvre. Par ailleurs, l'absence d'observations de la société Les Compagnons Paveurs, spécialiste des revêtements routiers et piétons dans les espaces publics, sur l'utilisation de ce produit et son adéquation avec l'affectation des voies, si elle est susceptible, le cas échéant, d'engager la responsabilité contractuelle de cette entreprise à l'égard du maître d'ouvrage, n'est pas susceptible d'exonérer les sociétés requérantes de leur propre responsabilité vis-à-vis de la collectivité. Enfin, si, conformément au programme de l'opération défini par le maître de l'ouvrage, le groupement de maîtrise d'œuvre a proposé de créer une zone de rencontre sur les trois places et leurs abords, qui se traduisait notamment par une limitation, à certains endroits, de la vitesse de circulation à 20 km/h et conférait la priorité aux piétons, il ne résulte pas de l'instruction que le groupement de maîtrise d'œuvre aurait alerté le maître de l'ouvrage sur les risques en termes de sécurité routière en cas d'application de ce produit sur des voies demeurées ouvertes à la circulation automobile. Ainsi, en préconisant, pour les voies ouvertes à la circulation, le recours au produit Viaprotech(r), les sociétés requérantes ont commis une faute qui engagent leur responsabilité contractuelle à l'égard de la commune de Pontoise.

S'agissant du choix des pavés calcaires :

3. Il résulte du rapport d'expertise que le pavé en calcaire utilisé en couche de roulement sur une voie publique est connu des ingénieurs routiers comme ayant une aptitude à se polir sous l'effet de la circulation routière, qu'il présente de grandes faiblesses en termes de glissance et que son utilisation doit donc être évitée sur les voies ouvertes à la circulation routière. Il résulte également de l'instruction, en particulier des résultats de l'analyse effectuée par le centre d'études techniques de l'équipement d'Ile-de-France, que même les pavés non traités avec le produit Viaprotech(r) ne sont pas conformes aux normes en vigueur en matière de glissance. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, les phénomènes de glissance ne résultent pas seulement de l'application du produit Viaprotech(r) mais également du choix de pavés calcaires qui sont peu compatibles avec les exigences de sécurité dans le cadre de la circulation routière. Si les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie soutiennent que le choix de pavés calcaires répondait aux exigences du maître de l'ouvrage, qui souhaitait privilégier l'utilisation de matériaux nobles et des voies en circulation douce où la priorité serait redonnée aux piétons et aux cyclistes, ces exigences n'impliquaient pas nécessairement l'utilisation de pavés calcaires, le choix de ce matériau incombant au seul maître d'œuvre sans contrôle de la part du maître de l'ouvrage. Si les sociétés requérantes font également valoir qu'elles avaient préconisé la création d'une zone de rencontre qui conduisait à limiter la vitesse de circulation à 20 kilomètres/heure, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise que ce n'est pas le revêtement mis en place qui doit définir la vitesse de circulation mais c'est la vitesse autorisée par le code de la route qui doit conduire à sélectionner un matériau permettant de circuler sur la chaussée en toute sécurité. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que les sociétés requérantes auraient alerté le maître d'ouvrage, qui avait décidé de réglementer la vitesse de circulation à 50 km/h en centre-ville, sur les risques de dérapage encourus en cas d'utilisation de pavés calcaires dans des zones où la vitesse de circulation n'était pas limitée. En outre, les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance que l'expert a estimé le choix du pavé calcaire adapté aux voies piétonnes pour démontrer l'absence de manquement à leurs obligations contractuelles dans le choix des matériaux utilisés sur les voies ouvertes à la circulation routière. Enfin, il résulte du rapport d'expertise que les normes de référence en matière de résistance à la glissance mentionnées dans le CCTP du lot n° 4 n'étaient pas appropriées aux vitesses de circulation retenues par la commune de Pontoise dans les zones concernées. Les sociétés requérantes ne peuvent donc se prévaloir du respect par le titulaire du lot n° 4 des stipulations du CCTP, document contractuel qu'elles ont, au demeurant, elles-mêmes établi. Dans ces conditions, les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie ont également manqué à leurs obligations contractuelles en préconisant le recours à des pavés calcaires sur des voies ouvertes à la circulation routière.

En ce qui concerne les préjudices :

Quant aux dépenses exposées au titre des mesures provisoires :

4. En premier lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que le nettoyage haute pression des places du petit Martroy, du grand Martroy et du Souvenir relève d'une obligation d'entretien courant à la charge de la commune, il résulte toutefois du rapport d'expertise que la technique du décapage thermique de la chaussée, qui est présentée par l'expert comme constituant la seule méthode permettant d'obtenir rapidement la régénération du pavé calcaire traité au Viaprotech(r), a pour conséquence non seulement de faire retrouver à la pierre sa couleur claire originelle mais aussi de rendre visibles les traces laissées par les pneus des véhicules et, en conséquence, de rendre nécessaires des nettoyages fréquents. Il suit de là que l'élimination du film protecteur Viaprotech(r) a rendu nécessaires des frais de nettoyage distincts de ceux incombant à la commune de Pontoise au titre de l'entretien courant de la chaussée. Les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie ne sont dès lors pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif les a condamnées à verser à la commune de Pontoise la somme de 21 562,40 euros TTC au titre des dépenses provisoires liées au nettoyage de la chaussée à la suite du décapage du produit effectué à haute pression.

5. En second lieu, il résulte de l'instruction que la commune de Pontoise a dû recourir, compte tenu des manquements à leurs obligations contractuelles des sociétés Etude Zurbaine et Hortesie, à un ingénieur conseil afin de constater l'efficacité des travaux de flammage en vue de régénérer les pierres en retirant le produit Viaprotech(r) appliqué sur la chaussée. Les sociétés requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que l'assistance d'un ingénieur conseil était inutile à la commune de Pontoise et que les frais correspondant à cette intervention, d'un montant de 1 315,60 euros TTC, n'auraient pas dû être mis à leur charge par le tribunal administratif.

Quant aux coût des mesures réparatoires :

6. Si le maître d'ouvrage a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a subi, l'indemnisation qui lui est allouée ne doit pas dépasser le montant des travaux strictement nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination, en usant des procédés de remise en état les moins onéreux possibles.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise que si le flammage de la surface des pavés calcaires devait permettre, en retrouvant des qualités antidérapantes, de redonner de manière provisoire au revêtement des chaussées les caractéristiques d'une surface adaptée à des conditions de circulation normales, les pavés calcaires devaient voir à long terme leurs qualités d'adhérence décroître compte tenu de leur aptitude au polissage sous l'effet du trafic. Il en résulte qu'à défaut d'autres travaux, comme le relève l'expert, la commune se trouverait obligée, compte tenu de cet effet de polissage des pavés calcaires, d'effectuer des contrôles périodiques pour s'assurer que le coefficient de frottement reste au moins égal au seuil minimal nécessaire à la sécurité des usagers. Par suite, seule la mise en œuvre d'une pierre cristallophyllienne ou éruptive, pour les voies ouvertes à la circulation routière, permet de mettre fin aux désordres subis par le maître de l'ouvrage. Dans ces conditions, bien qu'il soit moins onéreux que la réfection complète de la chaussée circulée, le flammage de la chaussée mis en œuvre par le maître de l'ouvrage sur une partie seulement de la chaussée, qui ne permettait pas à lui seul d'assurer la sécurité des usagers sur le long terme, ne constituait qu'une solution provisoire en attendant de pouvoir procéder à la réfection de la chaussée avec un autre type de pierres. Il suit de là que la réfection totale des voies ouvertes à la circulation ne conduit pas, contrairement à ce qu'elles soutiennent, à condamner les sociétés requérantes à réparer deux fois le même désordre et à procurer un enrichissement sans cause à la commune. Par suite, les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise les a condamnées à indemniser la commune de Pontoise du coût de la réfection des voies ouvertes à la circulation automobile.

8. En deuxième lieu, la circonstance que le maire de Pontoise aurait déclaré, selon un article de presse paru le 30 janvier 2019, que la condamnation prononcée à l'encontre des sociétés requérantes par le jugement attaqué était bienvenue avant le lancement des travaux du parking du Jardin de la ville ne remet pas en cause la réalité des dommages occasionnés à la commune par les manquements des sociétés Etude Zurbaine et Hortésie à leurs obligations contractuelles.

9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, pour fixer le montant de l'indemnité accordée à la commune au titre de la réfection des voies ouvertes à la circulation automobile, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondé sur des devis établis en juillet 2018. Il ne résulte, toutefois, pas de l'instruction, en l'absence de tout élément apporté par la commune de Pontoise, que la collectivité était dans l'impossibilité de procéder aux travaux de reprise de la chaussée entre le 19 novembre 2011, date de dépôt du rapport d'expertise qui a permis de connaître l'étendue des dommages, et le mois de juillet 2018, date d'établissement de ces devis. Par ailleurs, si la commune soutient que le tribunal administratif aurait dû se fonder, pour évaluer l'indemnité allouée au titre de la réfection des voies ouvertes à la circulation automobile, non pas sur le devis le moins élevé mais sur une moyenne des quatre devis produits, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que le devis le moins onéreux ne permettait pas de réaliser les travaux de réfection de la chaussée dans des conditions satisfaisantes, alors même que les quatre devis prévoient la réalisation des mêmes prestations. Dans ces conditions, et compte tenu de l'évolution du taux de l'indice à la construction de 1 550 à 1 668 entre novembre 2011 et juillet 2018, il y a lieu de réduire le montant de l'indemnité allouée à la commune de Pontoise de 7,61 % sur la somme de 678 221 euros HT correspondant au coût des travaux de reprise des voies non piétonnes sur la base du devis de la société Filloux qui est le moins onéreux. Par suite, l'indemnité accordée pour ce poste de préjudice doit être ramenée à la somme de 626 608,38 euros HT, soit 749 423,62 euros TTC. Par ailleurs, il y a lieu d'ajouter à cette somme le coût de la maîtrise d'œuvre par application du taux de 7,8 % fixé dans le marché de maîtrise d'œuvre initial, soit la somme de 58 455,04 euros TTC, de sorte que l'indemnité due par les sociétés requérantes à la commune de Pontoise au titre des travaux de réfection doit être ramenée de la somme de 874 633,81 euros TTC retenue par le tribunal à la somme de 807 878,66 euros TTC.

10. En revanche, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie, il n'y a pas lieu, dès lors que les ouvrages n'ont jamais pu faire l'objet d'une utilisation normale en raison des désordres qu'ils comportaient, d'appliquer au montant de cette indemnité un coefficient de réduction pour tenir compte de la vétusté des ouvrages.

S'agissant des conclusions à fin d'injonction :

11. En dehors des cas prévus par des dispositions législatives particulières, notamment par les articles L. 911-1 à L. 911-2 du code de justice administrative, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Par suite, les conclusions des sociétés Etude Zurbaine et Hortésie tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Pontoise de justifier de l'utilisation des sommes allouées en première instance doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions présentées par la commune de Pontoise :

12. La commune de Pontoise demande l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a limité le montant de la condamnation in solidum des sociétés Etude Zurbaine, Hortésie, Projet éclairage et Les Compagnons Paveurs à lui verser la somme de 897 511,81 euros TTC. De telles conclusions constituent un appel incident en ce qu'elles concernent les sociétés Etude Zurbaine et Hortesie, auteures de l'appel principal, et un appel provoqué en tant qu'elles sont dirigées contre les sociétés Project éclairage et Les Compagnons Paveurs, qui est recevable dès lors que la situation de la commune est dégradée par l'appel principal.

13. La commune de Pontoise soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à être indemnisée du coût des mesures provisoires réalisées sur les voies piétonnes, en particulier des frais de décapage thermique des trottoirs, ainsi que des travaux réparatoires de ces voies, du coût relatif à l'achat de produits dégraissants ou décapants et des coûts liés à la mise en place d'une signalétique adaptée au danger.

14. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise, d'une part, que l'utilisation du produit Viaprotech(r) est une solution bien adaptée pour préserver la propreté des trottoirs, rues et places piétonnes, et, d'autre part, que les mesures réalisées sur les trottoirs et voies piétonnes ont permis de constater, les résultats de coefficient de frottement étant supérieurs à 0,35, leur conformité aux performances de glissance recherchées. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la commune, il ne résulte pas du rapport d'expertise que les accidents survenus à certains piétons sur les voies piétonnes seraient dus à un problème de glissance de la chaussée. La commune de Pontoise n'est donc pas fondée à soutenir que ses co-contractants auraient dû être condamnés à lui verser la somme de 21 797,57 euros en réparation du coût de décapage thermique des revêtements situés sur les chaussées piétonnes et à l'indemniser de travaux réparatoires à réaliser sur les voies piétonnes.

15. En deuxième lieu, s'agissant de l'utilisation de produits dégraissants, trois des quatre factures produites par la commune pour justifier de l'achat de tels produits sont antérieures au dépôt du rapport de l'expert judiciaire. Il n'est ainsi pas démontré que l'achat de ces produits aurait servi à limiter les risques de glissance. La commune de Pontoise n'est donc pas fondée à demander une indemnité à ce titre.

16. Enfin, s'agissant des conclusions relatives aux frais liés à la mise en place d'une signalétique adaptée, la facture du 16 mai 2012, qui porte seulement la mention de 83 jours et de la place du Martroy, ne suffit pas à elle seule à établir que les frais ainsi facturés étaient en lien avec les désordres occasionnés par les travaux en litige. A cet égard, la double circonstance que cette facture précède d'un mois celle retenue par le juge du référé-provision relative à l'acquisition de feux tricolores et qu'elle a été établie par une société ayant pour activité la construction de routes et d'autoroutes ne permet pas d'établir précisément l'objet de cette facture et son lien avec les désordres subis par la commune consécutivement aux travaux de réaménagement des trois places publiques.

Sur les conclusions de la société Les Compagnons Paveurs :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la commune de Pontoise :

17. En premier lieu, aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce : " I. - Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : / 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (...) / II. - Sans préjudice des droits des créanciers dont la créance est mentionnée au I de l'article L. 622-17, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture. (...) " Et aux termes du premier alinéa de l'article L. 622-24 de ce code : " A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Lorsque le créancier a été relevé de forclusion conformément à l'article L. 622-26, les délais ne courent qu'à compter de la notification de cette décision ; ils sont alors réduits de moitié. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement. "

18. Ces dispositions fixent le principe de la suspension ou de l'interdiction, à compter du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de toute action en justice tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, de la part de tous les créanciers autres que ceux détenteurs d'une créance postérieure privilégiée, elles ne comportent aucune dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires . Il résulte de ces dispositions qu'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non-admission des créances déclarées. La circonstance que la collectivité publique dont l'action devant le juge administratif tend à faire reconnaître et évaluer ses droits à la suite des désordres constatés dans un ouvrage construit pour elle par une entreprise admise ultérieurement à la procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire, n'aurait pas déclaré sa créance éventuelle dans le délai fixé à L. 622-24 du code de commerce est sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur ces conclusions dès lors qu'elles ne sont elles-mêmes entachées d'aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative, et ce, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur l'extinction de cette créance. Il résulte également de ce qui précède que si les dispositions précitées réservent à l'autorité judiciaire la détermination des modalités de règlement des créances sur les entreprises en état de redressement, puis de liquidation judiciaire, il appartient au juge administratif d'examiner si la collectivité publique a droit à réparation et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante ou son liquidateur, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur le recouvrement de cette créance.

19. Il résulte de ce qui précède que la société Les Compagnons Paveurs, placée en liquidation judiciaire par un jugement du 25 mars 2014 du tribunal de commerce de Paris, désignant la Selarl EMJ en la qualité de Me Courtoux en qualité de liquidateur judiciaire, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions des articles L. 622-21 et suivants du code de commerce faisaient obstacle à ce que le tribunal administratif retienne sa responsabilité dans la survenance des désordres affectant le revêtement des chaussées et la condamne sur le terrain de sa responsabilité contractuelle.

20. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été exposé aux points 2 et 3, il résulte du rapport d'expertise que la glissance extrême des places du grand Martroy, du petit Martroy et du Souvenir, causant plusieurs accidents, a pour origine le choix de l'application du produit Viaprotech(r) ainsi que le choix des pavés calcaires. La circonstance que l'expert n'aurait pas mis en cause la responsabilité de la société Les Compagnons Paveurs mais celle de la société Viatech, intervenant en sa qualité de sous-traitante, ne fait pas obstacle à l'engagement de sa responsabilité dès lors qu'en n'alertant ni le maître d'œuvre ni le maître de l'ouvrage sur le danger que représentaient de tels choix pour la sécurité des usagers, elle a manqué à son devoir de conseil, résultant de ses compétences techniques, ainsi qu'à l'obligation de réaliser les travaux dans les règles de l'art. Par ailleurs, la société Les Compagnons Paveurs ne peut utilement se prévaloir de l'absence de respect par la commune de la procédure de mise en demeure prévue aux articles 48.2 et suivants du cahier des clauses administratives générales applicable au marché litigieux, au demeurant respectée par la commune dans son courrier du 19 décembre 2011, ni de ce que le marché conclu avec la société Teos pour procéder au flammage de la chaussée l'aurait été sans mise en concurrence. Enfin, elle n'apporte aucun élément permettant de venir infirmer les références routières utilisées par l'expert et d'établir leur caractère inapproprié au regard de l'exigence d'adhérence des pavés de calcaire. Dans ces conditions, la société Les Compagnons Paveurs n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait commis aucun manquement à ses obligations contractuelles.

21. En troisième lieu, la société Les Compagnons Paveurs conteste l'utilité du flammage auquel a procédé la commune afin de réduire provisoirement les risques d'accidents. Toutefois, il résulte du rapport d'expertise que cette technique permet de redonner au matériau sa microrugosité et qu'à la suite de la réalisation d'essais de flammage, " l'adhérence retrouvée de la surface des pavés présente sur le plan de la sécurité une bonne solution ". Si la société Les Compagnons Paveurs fait valoir que le flammage a eu pour effet d'abîmer les pavés, ce qu'elle n'établit d'ailleurs pas en se bornant à produire des photographies non datées, cette circonstance demeure sans incidence sur sa responsabilité. Il en est de même de la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle la société Teos aurait eu recours à un produit identique au Viaprotech(r), que le cahier des clauses administratives particulières du contrat conclu avec la société Teos fixe à 35 la valeur minimale de frottement, ou encore de la circonstance qu'aucun décompte général n'aurait été établi.

22. Enfin, contrairement à ce que prétend la société Les Compagnons Paveurs, la circonstance que la commune a déjà engagé des réparations à hauteur de 85 364 euros ne fait pas obstacle à ce qu'une condamnation soit prononcée pour des travaux non encore réalisés.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre les sociétés requérantes :

23. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 17 à 19, la société Les Compagnons Paveurs n'est pas fondée à soutenir que son placement en liquidation judiciaire faisait obstacle à ce qu'elle soit condamnée à garantir les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie.

24. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie sont seulement fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise les a condamnées à verser à la commune de Pontoise une somme supérieure à 830 756,66 euros TTC, soit 22 878 euros TTC au titre des mesures provisoires et 807 878,66 euros TTC au titre des mesures réparatoires, d'autre part, que les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué de la commune de Pontoise et les conclusions d'appel incident, compte tenu des moyens soulevés, et d'appel provoqué de la société Les Compagnons Paveurs doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Pontoise le versement à la société Etudes Zurbaine et à la société Hortésie de la somme de 1 500 euros, chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la commune de Pontoise la somme réclamée par la société Les Compagnons Paveurs au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 897 571,50 euros que les sociétés Etude Zurbaine et Hortésie ont été condamnées à verser à la commune de Pontoise par l'article 1er du jugement du 20 novembre 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est ramenée à la somme de 830 756,66 euros TTC.

Article 2 : Le jugement n° 1511328 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 novembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : La commune de Pontoise versera à la société Etudes Zurbaine et à la société Hortésie la somme de 1 500 euros, chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Etude Zurbaine, à la société Hortesie, à la commune de Pontoise, à la société Les Compagnons Paveurs et à la société Project Eclairage.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Janicot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.

La rapporteure,

M. B...La présidente,

C. Signerin-Icre

La greffière,

M. A... La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière

2

N° 19VE00221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE00221
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-02 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Mathilde JANICOT
Rapporteur public ?: Mme SAUVAGEOT
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-04-13;19ve00221 ?
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