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27/06/2023 | FRANCE | N°22VE00023

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 27 juin 2023, 22VE00023


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) A demain les filles a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 août 2010 et 2011 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er septembre 2008 au 30 septembre 2012.

Par un jugement n° 181

0143 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) A demain les filles a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 août 2010 et 2011 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er septembre 2008 au 30 septembre 2012.

Par un jugement n° 1810143 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 5 janvier 2022 et le 20 janvier 2023, l'EURL A demain les filles, représentée par Me Philip, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en ne donnant suite que le 30 août 2018 à sa réclamation préalable du 8 septembre 2015, l'administration fiscale l'a induite en erreur sur les suites de la vérification de comptabilité litigieuse, ce qui l'aurait amenée à signer le 20 janvier 2017 une transaction concernant une deuxième vérification de comptabilité dont elle faisait l'objet au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 ; dès lors que la seconde vérification permettait de vérifier l'existence du stock physique omis lors de la première vérification de comptabilité, le service aurait dû procéder au rapprochement avec ses écritures comptables de 2013 à 2015 afin de constater l'existence d'un stock comptable en 2011 ; la transaction conclue avec le service le 20 janvier 2017 englobait la totalité des conséquences financières issues de ses trois contrôles successifs et l'échéancier mis en place comprenait notamment les rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er septembre 2008 au 31 août 2009 et qu'elle a acceptés ; par suite, la procédure d'imposition n'a pas respecté le devoir de loyauté incombant à l'administration fiscale, le principe de sécurité juridique, les principes de proportionnalité et de respect des biens affirmés par la convention européenne des droits de l'homme ;

- l'administration fiscale ne pouvait rejeter sa comptabilité en relevant seulement l'absence de caisse enregistreuse et la méthode de globalisation du chiffre d'affaires par client et non par article ;

- la méthode de reconstitution est sommaire et radicalement viciée ;

- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL A demain les filles ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 février 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,

- et les observations de Me Philip, représentant l'EURL A demain les filles.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) A demain les filles, qui exerce une activité de commerce de vêtements et d'accessoires de mode féminine à Suresnes (Hauts-de-Seine), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er septembre 2008 au 31 août 2011, étendue au 30 septembre 2012 s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), selon la procédure de rectification contradictoire. Au terme de cette vérification de comptabilité, l'administration fiscale a mis à la charge de cette société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010 et 2011, des rappels de TVA au titre de la période du 1er septembre 2009 au 31 septembre 2012, ainsi que la majoration prévue à l'article 1729 du code général des impôts. Par le jugement attaqué du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de l'EURL A demain les filles tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt. Celle-ci relève appel de ce jugement.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par l'administration :

2. Il résulte de l'instruction que, dans sa réclamation préalable du 8 septembre 2015, l'EURL A demain les filles a indiqué expressément ne pas contester le rappel de TVA de 28 028 euros correspondant à une insuffisance de déclaration portant sur la période du 1er septembre 2008 au 31 août 2009, et les intérêts de retard correspondants. Elle précisait en revanche contester la majoration appliquée pour manquement délibéré appliquée à cette rectification au titre de l'exercice clos en 2009. Par suite, les conclusions présentées par cette même société tendant à la décharge des droits et intérêts au titre de cet exercice sont irrecevables.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. L'EURL A demain les filles soutient qu'en ne donnant suite à sa réclamation préalable du 8 septembre 2015 que le 30 août 2018, l'administration fiscale l'aurait induite en erreur sur les suites de la vérification de comptabilité litigieuse, ce qui l'aurait amenée à signer le 20 janvier 2017 une transaction avec l'administration fiscale concernant une deuxième vérification de comptabilité dont elle faisait l'objet au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. Elle reproche également au service de ne pas avoir vérifié, à l'occasion de ce second contrôle, l'existence du stock que la société disait avoir omis de comptabiliser en 2011. Elle invoque à ce titre une violation du devoir de loyauté, du principe de sécurité juridique, des principes de proportionnalité et de respect des biens affirmés par la convention européenne des droits de l'homme. Elle soutient en outre que la transaction conclue avec le service le 20 janvier 2017 englobait la totalité des conséquences financières issues de ses trois contrôles successifs et que l'échéancier mis en place comprenait notamment les rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er septembre 2008 au 31 août 2009 et qu'elle a acceptés.

4. Toutefois, le fait que l'administration ait mis trois ans à rejeter la réclamation préalable du 8 septembre 2015 ne valait pas acceptation de cette réclamation, mais permettait seulement à l'EURL A demain les filles de saisir le tribunal administratif du différend qui l'opposait à l'administration. D'autre part, les termes de la transaction conclue le 20 janvier 2017, se référant expressément à la proposition de rectification du 20 juin 2016 et à la " TVA exercice 2013-2014-2015 ", " avant mise en recouvrement ", sont dépourvus d'ambiguïté. C'est dès lors à tort que l'EURL A demain les filles soutient qu'elle a été induite en erreur sur sa portée. La circonstance que l'échéancier mis en place comprenait notamment les rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er septembre 2008 au 31 août 2009, qui relève de la procédure de recouvrement, est sans incidence sur l'assiette des impositions. Enfin, le service n'avait pas obligation de vérifier à l'occasion du second contrôle le stock de l'exercice 2011, s'agissant de deux vérifications de comptabilité différentes. En conséquence, alors qu'il n'est pas contesté que l'EURL A demain les filles a bénéficié de tous les droits et garanties attachés à la procédure de rectification contradictoire, le moyen tiré de ce que le service aurait méconnu les droits de la défense, le principe de sécurité juridique et son devoir de loyauté doit être écarté, ainsi que le moyen tiré de la violation des principes de proportionnalité et de respect des biens affirmés par la convention européenne des droits de l'homme, qui au demeurant n'est pas assorti des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de rejet de comptabilité du 24 octobre 2012, que le vérificateur a constaté, en l'absence de caisse enregistreuse, que le suivi des recettes était effectué quotidiennement et manuellement sur des cahiers, et que ce suivi ne comportait qu'une ventilation par type de paiement et, dans 80 % des cas, globalement par client, n'identifiait les articles vendus que de manière imprécise, et ne mentionnait pas les prix de vente unitaires dans 77 % des cas ou plus au titre de chacun des exercices vérifiés. En outre, la société n'a pas été en mesure de présenter des tickets clients ou des factures, seuls les tickets de paiement par carte bancaire ayant été conservés, ni les justificatifs des soldes pratiquées et des ventes réalisées avec un rabais moyen de 70 % auprès d'un soldeur. L'imprécision de la description des marchandises n'a pas permis de valider correctement les stocks en fin d'exercice. Au vu de ces irrégularités graves et répétées, le service était fondé à écarter la comptabilité de l'EURL A demain les filles comme étant irrégulière et non probante, sans que celle-ci puisse utilement soutenir que le service s'est uniquement fondé sur l'absence de caisse enregistreuse et la méthode de globalisation du chiffre d'affaires par client et non par article.

En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :

6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'EURL A demain les filles supporte la charge de la preuve, l'imposition ayant été établie conformément à l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires lors de sa séance du 18 septembre 2014.

7. Pour reconstituer les recettes de l'EURL A demain les filles, le service a déterminé, par l'exercice du droit de communication auprès de ses fournisseurs, les montants de ses achats. Rapprochés de la variation de son stock, il a pu déterminer les achats revendus hors taxe, desquels il a isolé les opérations de vente, non contestées et identifiables, réalisées auprès d'un soldeur. Il a ensuite appliqué aux ventes hors périodes de soldes un coefficient de marge hors taxe de 2,6, qu'il a déterminé en se fondant sur un échantillon représentatif de 157 articles, ce coefficient étant proche de celui de 2,4 à 2,5 spontanément déclaré par la requérante lors des opérations de contrôle. A la suite du recours hiérarchique exercé par la requérante le 16 octobre 2014, le service a finalement accepté de tenir compte d'une proportion de 10 % d'articles non soldés, volés ou perdus, abaissant en conséquence le coefficient de marge à 2,34. Par ailleurs, à défaut de tout justificatif sur les rabais pratiqués en périodes de soldes, le service a appliqué un taux moyen de 50 % de rabais en période de soldes, et un coefficient de marge hors taxe de 1,3 pour les articles soldés, qu'il a appliqué à plus de la moitié des articles achetés revendus au cours des deux exercices vérifiés. Le bien-fondé de cette méthode de reconstitution du chiffre d'affaires a été confirmé par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans son avis du 18 septembre 2014.

8. En premier lieu, la société requérante soutient que le taux de marge de 2,5 mentionné par elle lors de la vérification de comptabilité était non la marge effectivement réalisée, mais une indication faite en référence aux prix de vente TTC figurant sur les prix affichés, qui ne tient pas compte des nombreuses remises effectuées. Elle produit un avis du correspondant PME de la Direccte indiquant l'existence de fortes perturbations dans son secteur d'activité en 2012, dont elle déduit qu'il n'est pas possible d'extrapoler aux années 2009 à 2011 le taux de marge de l'année 2012. Ces affirmations ne suffisent toutefois pas à remettre en cause la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires qui a tenu compte, d'une part, d'un examen exhaustif des achats réalisés par la société, point qui n'a pas suscité de contestation, d'autre part, d'un relevé de prix effectué contradictoirement le 3 décembre 2012, période hors soldes, sur un échantillon de 157 articles, et qui a retenu un pourcentage d'articles soldés supérieur à 50 %. Par ailleurs, le taux de marge a été rabaissé à 2,34 % après recours hiérarchique et ne concerne que les articles non soldés, les articles soldés étant soumis à un taux de marge de 1,3 %, soit un taux de marge total de 1,76 % pour 2010 et 1,8 % pour 2011, voisin du taux de 1,7 % revendiqué par la société requérante.

9. En deuxième lieu, l'EURL A demain les filles soutient qu'elle a omis de prendre en compte dans sa comptabilité, et à la clôture de chacun des exercices en litige, un stock correspondant à la collection " hiver " qui se trouvait dans l'entrepôt de self-stockage Shurgard à Asnières-sur-Seine. Toutefois, elle n'en justifie pas en se bornant à produire des factures de location d'un local auprès de la société Shurgard, une attestation peu circonstanciée de son expert-comptable établie pour les besoins de la cause, et des attestations de deux élus d'Asnières-sur-Seine indiquant qu'ils ont connaissance de ce que la société requérante aurait pris en location un local dans leur commune. En outre, la valeur des stocks dont elle se prévaut, 73 218 euros et 152 565 euros à la clôture des exercices 2010 et 2011 respectivement, est incohérente avec le montant de ses achats et de ses stocks comptabilisés, ces derniers s'élevant à 287 965 euros et à 318 657 euros au titre des exercices clos respectivement en 2010 et 2011. La circonstance, à la supposer établie, que les montants en cause auraient été retenus par l'administration fiscale lors d'un contrôle postérieur est à cet égard sans incidence. Dans ces conditions, l'EURL A demain les filles, qui ne propose aucune méthode alternative, n'est pas fondée à soutenir que la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est excessivement sommaire ou radicalement viciée.

Sur les pénalités :

10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

11. Pour appliquer ces dispositions, le service s'est fondé sur l'importance et la réitération des irrégularités constatées dans la comptabilité de la société requérante, et sur la circonstance que la part du chiffre d'affaires non déclaré et non comptabilisé s'élevait à plus de 13 % au titre de l'exercice clos le 31 août 2010 et à près de 20 % au titre de l'exercice suivant. Il a en outre relevé que la comptabilité indiquait à tort que la société avait déclaré et réglé la TVA collectée, ce que la représentante désignée de la société, Mme B... A..., a reconnu lors des opérations de contrôle, justifiant le caractère erroné de cette déclaration par un manque de trésorerie. Dans ces conditions, le service doit être regardé comme ayant suffisamment motivé sa position et apporté la preuve du manquement délibéré au sens des dispositions précitées du a de l'article 1729 du code général des impôts. Si la société requérante soutient que le taux de marge retenu initialement par elle aurait été reconnu comme cohérent par le correspondant PME de la Direccte, qu'un constat d'huissier de 2021 aurait établi que le stock actuel était de 800 000 euros et que des élus d'Asnières-sur-Seine ont attesté en sa faveur, il résulte de ce qui précède que ces arguments ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation de l'administration.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL A demain les filles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'EURL A demain les filles est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL A demain les filles et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente,

M. Tar, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

La rapporteure,

C. PHAM La présidente,

O. DORIONLa greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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N° 22VE00023


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