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11/07/2023 | FRANCE | N°21VE01275

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 11 juillet 2023, 21VE01275


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme B... A... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à 2013.

Par un jugement n° 1802726 du 4 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2021, M. e

t Mme C..., représentés par Me Arié, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme B... A... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à 2013.

Par un jugement n° 1802726 du 4 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2021, M. et Mme C..., représentés par Me Arié, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'administration a eu irrégulièrement recours à la procédure de taxation d'office sur le fondement des articles L. 68 et L. 73 du livre des procédures fiscales, dès lors que les sommes imposées ne sont pas constituées des bénéfices non commerciaux ;

- le principe de loyauté a été méconnu, dès lors que l'administration a exclusivement pris en compte les éléments à charge contre Mme C..., tout en refusant de prendre en compte la reconnaissance de dette qu'elle avait signée ;

- la charge de la preuve du bien-fondé des rectifications incombe à l'administration ;

- les sommes imposées ne constituent pas des bénéfices non commerciaux mais des rémunérations versées par son employeur pour le paiement d'heures supplémentaires ; la cour devra surseoir à statuer en attendant l'issue des procédures pénales engagées ;

- la pénalité pour activité occulte est injustifiée, dès lors qu'elle a signé une reconnaissance de dette et en raison du caractère de rémunération des sommes imposées ;

- les pénalités infligées, du fait de leur caractère confiscatoire, sont contraires à l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et méconnaissent l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme C... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 23 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juin 2023 à 12 heures en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham,

- et les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du droit de communication exercé le 24 septembre 2014 auprès du procureur du tribunal de grande instance de Versailles, l'administration fiscale a consulté les pièces de la procédure judiciaire engagée à l'encontre de Mme B... C..., notamment les procès-verbaux d'audition de cette dernière. Il s'en est ensuivi une vérification de comptabilité de l'activité de Mme C..., à l'issue de laquelle M. et Mme C... se sont vu notifier, par une proposition de rectification en date du 15 juillet 2015, selon la procédure d'évaluation d'office, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2011 à 2013, assorties des pénalités correspondantes. M. et Mme C... relèvent appel du jugement n° 1802726 du 4 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt.

Sur la nature de l'activité imposée :

2. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, en matière d'impôt sur le revenu : " (...) L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et (...) s'est livré à une activité illicite. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments de la procédure judiciaire concernant Mme C... auxquels le service vérificateur a eu accès par l'exercice de son droit de communication, que Mme C... occupait les fonctions de chef-comptable au sein de la société Sodico Expansion, qui exploite un hypermarché Leclerc à Conflans-Sainte-Honorine et qu'une plainte a été déposée par son employeur pour détournement de fonds, exposant qu'elle avait, au cours des années 2012 et 2013, présenté de fausses factures de fournisseurs et encaissé sur son compte bancaire personnel les chèques de la société Sodico Expansion et de ses filiales destinés au règlement de ces factures en faisant usage de chèques en blanc qui lui avaient été laissés par le gérant de ces sociétés. Mme C... a ainsi encaissé sur son compte bancaire personnel des chèques provenant des sociétés Sodico Expansion, Sodico Voyages, Sodico Expansion Drive et SCI de Boutries pour des montants totaux de 8 000 euros en 2011, 100 489,41 euros en 2012 et 231 240,43 euros en 2013, qu'elle n'a pas déclarés. En octobre 2013, elle a signé une reconnaissance de dette d'un montant de 400 000 euros au bénéfice de son employeur et lui a remis une attestation selon laquelle elle reconnaissait avoir commis des détournements de fonds à son préjudice. La requérante soutient que ce système de fausses factures avait été mis en place par son employeur afin de rémunérer les heures supplémentaires qu'elle effectuait officieusement pour certaines filiales de la société Sodico Expansion et que les sommes imposées constitueraient des traitements et salaires. La reconnaissance de dette et l'attestation d'octobre 2013 auraient été signées par elle sous la contrainte de son employeur. Toutefois, Mme C... n'a produit aucun document permettant d'étayer la réalité de ses allégations. Les attestations de collègues qu'elle produit ne concernent que le harcèlement moral de la direction, une seule d'entre elles faisant état de rumeurs concernant un système de rémunération occulte, mais qui revêtirait la forme de distribution d'enveloppes. Par ailleurs, cette version est contredite par le fait que l'employeur de Mme C... a porté plainte à son encontre pour escroquerie, faux et usage de faux, par l'attestation signée par elle, par laquelle elle reconnaît qu'elle a détourné des fonds de la société Sodico Expansion, et par le montant des sommes litigieuses, trop important pour correspondre au paiement d'heures supplémentaires. La circonstance qu'elle ait signé une reconnaissance de dette au profit de son employeur est sans incidence, dès lors que ce document est simultané à l'attestation selon laquelle elle se reconnaît coupable de détournement de fonds et, qu'en tout état de cause, il n'est pas contesté qu'elle a touché, au titre des années d'imposition litigieuses, les sommes imposées. Au vu de ces éléments, l'administration fiscale a, à bon droit, considéré que les détournements de fonds opérés par Mme C... étaient constitutifs d'une activité occulte.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2°, 5° et 6° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l'article L. 169 (...) ". L'article L. 73 de ce même livre dispose : " Peuvent être évalués d'office : 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (...) ". Il résulte du point 3 du présent arrêt que les sommes imposées constituent des bénéfices non commerciaux provenant d'une activité occulte. Par suite, l'administration fiscale a eu régulièrement recours à la procédure de taxation d'office.

5. En deuxième lieu, l'administration fiscale était en droit de mentionner, dans la proposition de rectification du 15 juillet 2015, la reconnaissance de dette signée par Mme C..., sans pour autant prendre en compte ce document en raison de son caractère insuffisamment probant. Elle n'a pas, ce faisant, violé le principe de loyauté.

Sur le bien-fondé des impositions :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ".

7. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 92 du code général des impôts : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. ".

8. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit, les sommes en litige ne peuvent être regardées comme des traitements et salaires. Les revenus retirés de l'activité occulte de détournement de fonds sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a estimé que les sommes litigieuses devaient être considérées comme des bénéfices non commerciaux et non comme des traitements et salaires.

9. En second lieu, Mme C... ne soutient pas utilement que, si la reconnaissance de dette qu'elle a signée est valide, elle devra rembourser les sommes en cause, de sorte qu'elle n'aura finalement perçu aucun revenu, dès lors qu'en vertu du principe d'annualité de l'impôt, les revenus dont le contribuable a disposé au cours d'une année sont imposés au titre de cette année d'imposition et que le chiffre d'affaires de son activité illicite de détournement de fonds reconstitué à partir de ses encaissements bancaires correspond à la mise à disposition d'un revenu.

Sur les pénalités :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ". L'administration fiscale a considéré que les détournements de fonds opérés par Mme C... étaient constitutifs d'une activité occulte et a appliqué la majoration de 80 % mentionnée par les dispositions précitées. Si M. et Mme C... contestent la qualification d'activité occulte et soutiennent que la pénalité infligée méconnaît le principe d'individualisation des peines en invoquant la reconnaissance de dette que Mme C... a signée et le caractère de rémunération des sommes touchées, ces arguments doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 du présent arrêt.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) ". En l'espèce, le moyen avancé par les requérants et tiré de ce que la majoration prévue à l'article 1728 du code général des impôts méconnaîtrait l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas présenté par mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Il est donc irrecevable en application de ces dispositions.

12. En dernier lieu, la majoration de 80 % ne présente pas un caractère confiscatoire, son montant ne pouvant être regardé comme manifestement disproportionné au regard, d'une part, des manquements commis par la requérante, qui s'est livrée à des détournements de fonds et à la production de fausses factures, et, d'autre part, des objectifs poursuivis par le législateur. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente,

M. Tar, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2023.

La rapporteure,

C. PHAM La présidente,

O. DORION

La greffière,

S. LOUISERELa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE01275


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01275
Date de la décision : 11/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Généralités - Amendes - pénalités - majorations.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices non commerciaux - Personnes - profits - activités imposables.


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS ARIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-07-11;21ve01275 ?
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