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27/02/2024 | FRANCE | N°22VE02167

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 27 février 2024, 22VE02167


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département de l'Essonne a demandé au tribunal administratif de Versailles de prescrire toute mesure d'instruction permettant de déterminer si le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) était passible de la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe professionnelle antérieurement à l'année 2007, ainsi que toute mesure d'instruction de nature à faire connaître les éléments utiles au calcul du préjudice du département, notamm

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de l'Essonne a demandé au tribunal administratif de Versailles de prescrire toute mesure d'instruction permettant de déterminer si le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) était passible de la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe professionnelle antérieurement à l'année 2007, ainsi que toute mesure d'instruction de nature à faire connaître les éléments utiles au calcul du préjudice du département, notamment le cas échéant en ordonnant à l'administration fiscale de fournir l'ensemble des éléments de calcul des bases de ces impositions, et de condamner de l'Etat à l'indemniser du montant des recettes fiscales qu'il aurait perçues si le CEA avait régulièrement été inscrit au rôle de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, au titre des années pour lesquelles il a réalisé des activités de recherche regardées comme productives de revenus ou comme des activités professionnelles non salariées, soit au moins depuis 2007, assorti des intérêts légaux capitalisés.

Par un jugement n° 2001591 du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Versailles a renvoyé le département de l'Essonne devant l'administration fiscale pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité due en raison du défaut d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties du CEA au titre des années 2017 à 2019, selon les bases de calcul exposées au point 28 du jugement, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019, capitalisés à compter du 28 février 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure, et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 septembre 2022, le département de l'Essonne, représenté par Me Seban, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à raison du non-assujettissement du CEA à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et en ce qu'il renvoie à l'administration, sans mesure d'expertise ou d'instruction, le soin de procéder à la liquidation de l'indemnité qui lui est due ;

2°) de prescrire toute mesure d'instruction de nature à faire connaître les éléments utiles au calcul de son préjudice, en ordonnant le cas échéant à l'administration fiscale de fournir l'ensemble des éléments de calcul des bases d'imposition ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le montant des recettes fiscales qui auraient été perçues si le CEA avait régulièrement été inscrit au rôle de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, au titre des années 2017 à 2019 pour ces deux impositions, assorti des intérêts légaux capitalisés ;

4°) d'enjoindre à l'Etat de procéder à son indemnisation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département soutient que :

- le tribunal a entaché sa décision d'une omission à statuer et d'insuffisance de motivation, en ce qu'il n'a pas répondu à sa demande d'instruction visant à contraindre l'administration à produire les éléments nécessaires au calcul de son manque à gagner ; en renvoyant à l'administration le soin de procéder à la liquidation des sommes qui lui sont dues, le tribunal a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la charge de la preuve ne peut lui incomber, dès lors que seule l'administration dispose des éléments permettant d'établir l'insuffisance d'assujettissement du CEA aux impôts locaux ;

- en n'assujettissant pas le CEA à la CVAE à raison de l'ensemble de ses activités de recherche, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; il n'y a pas lieu de distinguer entre les activités de recherche fondamentale et les activités de recherche appliquée ; le CEA doit être soumis à la CVAE dès lors qu'il ne se borne pas à réaliser des opérations non lucratives.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 12 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 décembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazou pour le département de l'Essonne et de Me Boutet-Mangon pour le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Considérant ce qui suit :

1. Le département de l'Essonne a demandé au directeur départemental des finances public de l'Essonne de l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'insuffisance d'imposition du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à la taxe foncière sur les propriétés bâties, depuis au moins 2007, et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, depuis 2010. Par le jugement attaqué du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à l'indemniser de la perte de recettes fiscales résultant du défaut d'imposition du CEA à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2017 à 2019 et rejeté le surplus de la demande. Le département de l'Essonne relève appel de ce jugement en tant que celui n'a pas fait droit à sa demande au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et en ce que le tribunal l'a renvoyé vers l'administration pour liquidation de l'indemnité qui lui est due au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties, sans prescrire aucune mesure d'expertise ou d'instruction.

Sur la régularité du jugement :

2. Le département de l'Essonne soutient qu'en n'examinant pas sa demande tendant à ce qu'il prescrive toute mesure d'instruction permettant de déterminer si le CEA était passible de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe professionnelle antérieurement à l'année 2007, ainsi que toute mesure d'instruction de nature à faire connaître les éléments utiles au calcul du préjudice du département, notamment le cas échéant en ordonnant à l'administration fiscale de fournir l'ensemble des éléments de calcul des bases de ces impositions, le tribunal a omis de statuer sur ces conclusions et entaché sa décision d'une insuffisance de motivation. Ce moyen ne peut qu'être écarté, dès lors les premiers juges n'étaient pas tenus, à peine d'irrégularité de leur jugement, de viser de telles conclusions et d'y répondre expressément.

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. S'il appartient, en principe, à la victime d'un dommage d'établir la réalité du préjudice qu'elle invoque, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter.

4. Il résulte de l'instruction termes de l'article 1586 ter du code général des impôts : " I. - Les personnes physiques ou morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. / II. - 1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies. (...) ". L'article 1586 sexies du même code fixe les modalités de calcul de la valeur ajoutée pour la détermination de l'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

5. La base imposable à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculée, en ce qui concerne les seules activités lucratives, en fonction du chiffre d'affaires généré par ces activités, diminué des charges. Le département requérant soutient que le CEA réalise des activités de recherche qui font l'objet d'une contrepartie financière par des tiers, notamment les entreprises qui financent la recherche tant fondamentale qu'appliquée menée par le CEA, et se prévaut des conclusions d'un rapport de la Cour des comptes sur " La valorisation de la recherche civile du CEA " pour les exercices 2007-2015, dont il ressort que " La part des financements industriels est particulièrement élevée, avec près de 400 millions d'euros par an en moyenne sur la période. (...) Cette appétence pour l'industrie se reflète ainsi avec une recherche financée à près de 20 % en moyenne par les entreprises ". Toutefois, ces considérations générales sur l'activité du CEA dans son ensemble ne portent pas spécifiquement sur les activités du CEA implantées dans le département de l'Essonne, alors que cet établissement public dispose de huit autres implantations et de plateformes technologiques régionales. Il ressort en outre des extraits de ce rapport produits par le ministre, que l'activité liée à l'exploitation de brevets est déficitaire depuis 2009 et que les pertes s'accroissent avec le temps, de sorte que le CEA ne couvre pas ses charges par ses produits, y compris dans son secteur lucratif. Dans ces conditions, la carence fautive de l'Etat n'est pas établie. Il s'ensuit que le département de l'Essonne n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat du fait de l'absence d'assujettissement du CEA à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une mesure d'instruction, que le département de l'Essonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'indemnisation à raison de l'insuffisance d'assujettissement du CEA à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, sa demande d'injonction sous astreinte ne peut qu'être rejetée, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du département de l'Essonne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Essonne, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Copie en sera adressée au commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol présidente,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

Mme Troalen, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 février 2024.

La rapporteure,

O. DORIONLa présidente,

F. VERSOL

La greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

No 22VE02167


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02167
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services économiques. - Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : CABINET SEBAN & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;22ve02167 ?
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