La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/03/2024 | FRANCE | N°23VE01573

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 15 mars 2024, 23VE01573


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les arrêtés en date du 12 novembre 2022 par lesquels le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans ainsi que l'arrêté du 16 janvier 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a assigné à résidence pour une duré

e de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2215288-2300693 du 27 janvier 2023, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les arrêtés en date du 12 novembre 2022 par lesquels le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans ainsi que l'arrêté du 16 janvier 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2215288-2300693 du 27 janvier 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 juillet 2023 et 23 février 2024, M. B..., représenté par Me Koszczanski, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces arrêtés ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, de réexaminer sa situation et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, au bénéfice de son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocat renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

M. B... soutient que :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- la décision n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;

- la décision du préfet méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il réside depuis 10 ans en France et établit sa bonne insertion professionnelle ; ses enfants et sa femme résident en France ; cette décision est entachée d'erreur de fait dès lors qu'elle aurait pour effet de le séparer de son épouse et de ses enfants ;

- les articles 3-1 et 16 de la convention internationale des droits de l'enfant ont été méconnus ;

S'agissant de la décision de refus de délai de départ volontaire :

- cette décision est insuffisamment motivée et n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;

- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il présente des garanties de représentation et ne représente aucune menace à l'ordre public ;

-

S'agissant de la décision portant interdiction de retour ;

- elle est insuffisamment motivée et n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;

- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- cette décision ne comprend pas les considérations de fait qui caractérisent sa situation ; elle est insuffisamment motivée et n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;

- cette décision méconnait l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- cette décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant sri-lankais né le 29 juin 1976, serait entré en France en juin 2012 selon ses déclarations. Il a fait l'objet d'une interpellation à Paris pour conduite sans permis le 11 novembre 2022. Par un arrêté, en date du 12 novembre 2022, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et, par un autre arrêté du même jour, lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par un troisième arrêté, du 10 janvier 2023, notifié à l'intéressé le 16 janvier 2023, le préfet du Val-d'Oise l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours et a fixé les modalités de contrôle de cette assignation à résidence. M. B... a demandé au tribunal d'annuler ces trois arrêtés et fait appel du jugement du 27 janvier 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes.

Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions :

2. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, d'écarter les moyens tirés de ce que l'autorité administrative n'aurait pas procédé à un examen particulier et complet de sa situation et d'une motivation insuffisante.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. M. B... soutient qu'il réside depuis dix ans en France, que ses attaches familiales se situent dans ce pays où il réside avec sa femme, en situation régulière contrairement à ce qu'indique le préfet, et ses deux enfants et qu'il est parfaitement intégré professionnellement dès lors qu'il travaille depuis le 1er août 2018, sous couvert d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de barman dans un café-restaurant. Si le requérant soutient que son épouse se trouve en situation régulière, elle n'a été admise au séjour que le temps de l'examen de sa demande d'asile dès lors qu'elle a formé une demande de reconnaissance de la qualité de réfugiée le 4 janvier 2022, qui a fait l'objet d'un rejet par l'office français de protection des réfugiés et apatrides avant qu'elle n'introduise un recours devant la cour nationale du droit d'asile. Enfin, s'il soutient que son fils né le 5 juillet 2009 est scolarisé en classe de cinquième, il n'est pas contesté qu'il n'est entré sur le territoire français qu'en 2021. Par suite, aucun élément ne permet d'établir que son épouse et ses enfants, nés le 5 juillet 2009 et le 28 septembre 2022, ne pourraient l'accompagner dans son pays d'origine, ni que ces derniers ne pourraient y poursuivre leur scolarité, ni qu'il serait séparé de sa famille. Il ne fait par ailleurs état d'aucune insertion particulière dans la société française, autre que son activité de barman pendant une durée de quatre ans. Enfin, il a fait l'objet d'un contrôle de police le 11 novembre 2022 pour conduite d'un véhicule sans permis, ce qui constitue un trouble à l'ordre public. Dans ces conditions, le préfet de police, en prenant l'obligation de quitter le territoire français au motif que le comportement personnel de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public, n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Et aux termes de l'article 16 de cette convention : " 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et sa réputation. L'enfant a le droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ".

6. D'une part, au vu des éléments mentionnés au point 4, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée aurait pour effet de porter atteinte à l'intérêt supérieur des enfants qui ne seraient pas séparés de leurs parents. D'autre part, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'arrêté attaqué constituerait une immixtion arbitraire ou illégale, contraire aux stipulations précitées de la convention de New York, dans la vie privée et familiale des enfants du requérant.

Sur la décision lui refusant un délai de départ volontaire :

7. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".

8. M. B... s'est soustrait à une précédente mesure d'éloignement prise le 20 août 2018. Il entre ainsi, comme l'a retenu à bon droit le tribunal administratif, dans le cas où, en application des dispositions du 5° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet pouvait légalement lui refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire. Enfin, il ne conteste pas avoir déclaré lors de son audition son intention de ne pas se conformer à la mesure d'éloignement susceptible d'être prise à son encontre. Dans ces conditions, et alors même qu'il dispose d'un passeport en cours de validité, le préfet de police, en estimant établi le risque de fuite et en refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire, n'a ni méconnu les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision portant interdiction de retour pour une durée de vingt-quatre mois :

9. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, et pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 4 à 6 du présent arrêt, d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision portant assignation à résidence :

10. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Aux termes de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : /1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".

12. M. B... soutient que la décision portant assignation à résidence revêt un caractère disproportionné au motif qu'il travaille sur la commune de Bobigny et que la mesure l'assignant à résidence dans le Val-d'Oise l'empêche de subvenir aux besoins de sa famille. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à établir que la mesure d'assignation serait disproportionnée dès lors que le requérant s'est soustrait à deux précédentes mesures d'éloignement et qu'il occupe un emploi sans autorisation de travail et enfin que rien ne lui interdit de solliciter auprès du préfet une autorisation de sortir pour l'exercice de son emploi.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés des 12 novembre 2022 et 16 janvier 2023 portant obligation de quitter le territoire français et assignation à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police de Paris et au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 29 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2024.

Le rapporteur,

J-E. PILVENLe président,

P-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE01573002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01573
Date de la décision : 15/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : CABINET KOSZCZANSKI & BERDUGO

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-15;23ve01573 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award