La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2009 | FRANCE | N°05/05992

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Ct0045, 10 novembre 2009, 05/05992


COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 10 NOVEMBRE 2009

(Rédacteur : Monsieur Robert MIORI, Président,)

IT

N° de rôle : 05/05992

Madame Barbara X... épouse Y...

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2005/015539 du 06/10/2005 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

L' ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG AQUITAINE-LIMOUSIN

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

SA COMPAGNIE AXA COURTAGE

Madame Bénédicte Z.

.. veuve A...

Monsieur Mathieu A...

Madame Lucie A... épouse B...

Mademoiselle Claire A...

Monsieur Dominique A...

Mademoiselle Cléme...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 10 NOVEMBRE 2009

(Rédacteur : Monsieur Robert MIORI, Président,)

IT

N° de rôle : 05/05992

Madame Barbara X... épouse Y...

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2005/015539 du 06/10/2005 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

L' ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG AQUITAINE-LIMOUSIN

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

SA COMPAGNIE AXA COURTAGE

Madame Bénédicte Z... veuve A...

Monsieur Mathieu A...

Madame Lucie A... épouse B...

Mademoiselle Claire A...

Monsieur Dominique A...

Mademoiselle Clémence A...

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avouésDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 janvier 2001 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6 R.G. ) suivant déclaration d'appel du 09 février 2001

APPELANTE :

Madame Barbara X... épouse Y... née le 07 Novembre 1962 à PARIS

de nationalité française demeurant ... SUR YEVRE

Représentée par la SCP GAUTIER et FONROUGE, avoués à la Cour assistée de Maître Raymond C... avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG AQUITAINE-LIMOUSIN agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social place Amélie Raba Léon 33000 BORDEAUX

Représenté par la SCP FOURNIER, avoués à la Cour assisté de Maître D... avocat au barreau de BORDEAUX

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social ...

Représentée par la SCP BOYREAU et MONROUX, avoués à la Cour assistée de la SCP FAVREAU et CIVILISE avocats au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTS :

SA COMPAGNIE AXA COURTAGE agissant en la personne de son

représentant légal domicilié en cette qualité au siège social ...

Madame Bénédicte Z... veuve A... agissant en qualité d'héritière de Monsieur Lucien A...

née le 18 Mai 1948 à CAUDERAN

de nationalité française demeurant ...

Monsieur Mathieu A... agissant en qualité d'héritier de Monsieur Lucien A...

né le 16 Juillet 1977 à BORDEAUX (33000)

de nationalité française demeurant ...

Madame Lucie A... épouse B... agissant en qualité d'héritière de Monsieur Lucien A...

née le 15 Décembre 1978 à BORDEAUX (33000)

de nationalité française demeurant ... apt 3 SERBROOKE CANADA

E... Claire JAUBERTagissant en qualité d'héritière de monsieur Lucien A...

née le 02 Août 1982 à BORDEAUX (33000)

de nationalité française demeurant 5215 Victoria MONTREAL CANADA

Monsieur Doinique A... agissant en qualité d'héritier de Monsieur Lucien A...

né le 28 Juillet 1984 à BORDEAUX (33000)

de nationalité française demeurant ...

Mademoiselle F... JAUBERTagissant en qualité d'héritière de Monsieur Lucien A...

née le 09 Juin 1987 à BORDEAUX (33000)

de nationalité française demeurant ...

Représentés par la SCP CASTEJA-CLERMONTEL et A..., avoués à la Cour assistés de Maître G... loco de Maître H... avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 septembre 2009 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Robert MIORI, Président,

Monsieur Bernard ORS, Conseiller,

Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

OBJET DU LITIGE :

1- Madame Barbara Y... a été hospitalisée du 20 juillet au 23 juillet 1988 dans le service du Docteur I... pour suspicion de grossesse extra-utérine.

Le 2 août 1988, le Docteur A..., gynécologue, a infirmé ce diagnostic.

Suite à de fortes douleurs réapparues du 28 au 29 août 1988, une laparotomie a dû être effectuée en urgence par le Docteur A... et le Docteur J... pour grossesse extra-utérine rompue. Un hémopéritoine d'environ deux litres a été découvert et évacué lors de cette intervention et a nécessité le transfert en urgence de la malade à l'hôpital Pellegrin, où elle a été transfusée.

Un diagnostic d'hépatite C a été établi en 1992.

Postérieurement aux interventions de 1988, sont apparus de nombreuses adhérences dans la cavité abdominale et des kystes ovariens qui ont nécessité plusieurs opérations.

2- Par ordonnance en date du 8 juillet 1996, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a désigné les Docteurs K... et L... en qualité d'experts.

Le rapport d'expertise définitif a été remis le 24 novembre 1997.

3- Par acte d'huissier en date du 21 octobre 1998, Madame Y... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux le Docteur A..., son assureur l'U.A.P, devenu Axa Courtage, et le Centre Régional de Transfusion Sanguine de Bordeaux (C.R.T.S) aux fins de voir retenir la responsabilité du Docteur A... pour les dommages causés dans le domaine gynécologique et retenir les responsabilités contractuelles solidaires du C.R.T.S et du Docteur A... en ce qui concerne les conséquences de l'hépatite C.

Par acte d'huissier en date du 19 novembre 1999, Madame Y... a également appelé à la cause les Caisses Primaires d'Assurances Maladie de la Gironde et du Var. Seule cette dernière a constitué avocat.

Par jugement en date du 9 janvier 2001, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- déclaré le Docteur A... entièrement responsable des conséquences de l'intervention gynécologique pratiquée sur la personne de Madame Y...,

- condamné in solidum le Docteur A... et la compagnie Axa Courtage, venant aux droits de l'U.A.P., à payer à Madame Y... la somme de 150 000 francs en réparation de son préjudice,

- débouté Madame Y... de ses demandes en ce qui concerne sa contamination par le virus de l'hépatite C,

- débouté la C.P.A.M du Var de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum le Docteur A... et la Compagnie Axa Courtage à payer à Mme Y... la somme de 4 000 francs sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

4- Par déclaration en date du 9 février 2001, Madame Y... a relevé appel de cette décision à l'encontre uniquement de l'EFS et de la CPAM du Var.

L'EFS a dénoncé cet appel à Monsieur Lucien A... et à la compagnie Axa Courtage qui ont constitué avoué.

5- Par arrêt avant-dire-droit en date du 23 mars 2004, la cour d'appel de Bordeaux a ordonné une nouvelle expertise médicale de Madame Y... et a désigné les Professeurs Gromb et Quinton pour y procéder.

Une ordonnance en remplacement d'expert, désignant le Docteur M..., est intervenue le 23 mars 2006.

Madame Bénédicte Z..., veuve de Monsieur Lucien A..., Monsieur Mathieu A..., Madame Lucie A... épouse B..., Mademoiselle Claire A..., Monsieur Dominique A... et Mademoiselle Clémence A..., agissant en qualité d'héritiers de Monsieur Lucien A... décédé le 11 février 2007, ont signifié le 12 juin 2007 un acte de reprise d'instance après décès.

Le rapport d'expertise du Docteur M... a été déposé le 9 août 2007.

6- L'enquête transfusionnelle étant incomplète, la cour d'appel de Bordeaux, par arrêt avant-dire droit en date du 29 octobre 2008, a ordonné un complément d'expertise afin de rechercher la sérologie du donneur manquant et a commis le Professeur Bernard M... pour y procéder.

7- Par courrier en date du 19 mai 2009, le Professeur M... a informé le conseiller de la mise en état de ce que le dernier donneur n'avait pas souhaité répondre aux demandes de contrôles sanguins qui lui ont été proposées et que, l'EFS n'étant pas en mesure de contraindre ce donneur à procéder au test, il n'était pas possible d'aller plus loin dans le cadre de l'expertise.

Dans ses conclusions déposées le 11 septembre 2009, Mme Y... demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel,

- faire application de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002,

- condamner l'EFS à payer sur le fondement de l'article 1157 et des articles 1147 et suivants du code civil les sommes de :

- 68 602, 06 € au titre du préjudice spécifique de contamination,

- 30 000 € au titre du préjudice d'agrément,

- 15 000 € au titre de l'IPP,

- 4 573, 47 € au titre de l'ITT,

- 12 195, 92 € au titre du pretium doloris,

- condamner l'EFS à une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur la réclamation de la C.P.A.M. du Var.

Dans ses conclusions déposées le 12 août 2009, l'EFS demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter Madame Y... et partant la CPAM du Var de l'ensemble de leurs demandes dirigées contre l'EFSAL ès qualité,

- à titre subsidiaire, réduire les demandes formulées par Madame Y...,

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que le Docteur A... et la compagnie Axa Courtage ès qualités doivent être condamnés in solidum à le relever indemne de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de Madame Y... et de la CPAM du Var.

Par ses conclusions déposées le 9 janvier 2008,la CPAM du Var a demandé la condamnation de l'EFS à lui verser :

-la somme de 28 413,53 euros au titre des dépenses de santé actuelles exposées pour le compte de Madame Y....

-les dépenses de santé futures au fur et à mesure qu'elles seront exposées à moins qu'il ne préfère se libérer par le paiement immédiat du capital représentatif d'un montant de 1384,56 euros.

-une indemnité forfaitaire de 926 euros en application de l'article 376-1 du code de la sécurité sociale et une indemnité de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions déposées le 9 septembre 2009, la compagnie Axa Courtage et les héritiers de Monsieur A... demandent à la cour de :

- déclarer l'appel principal de Madame Y... mal fondé et de confirmer la décision entreprise,

- rejeter l'appel provoqué du CRTS à leur encontre,

- débouter le CRTS de ses demandes à leur encontre.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 septembre 2009.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Les parties ne remettent pas en cause la décision attaquée en ce qu'elle a statué sur la responsabilité du docteur A... et condamné ce dernier avec son assureur ,la compagnie Axa Courtage à indemniser le préjudice de Madame Y... au titre des réparations des conséquences de l'intervention gynécologique pratiquée sur elle.

Il convient donc uniquement de statuer sur la responsabilité de l'EFS au titre du préjudice de contamination et éventuellement sur l'indemnisation du préjudice qui en est résulté pour Madame Y... et sur le recours formé par l'EFS contre les consorts A... et leur assureur.

I / Sur l'imputabilité de la contamination:

L'EFS soutient que :

- l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 impose au demandeur d'apporter un faisceau de présomptions conférant à l'hypothèse d'une contamination d'origine transfusionnelle, un degré suffisamment élevé de vraisemblance (Conseil d'Etat EFS/Tato 10 octobre 2003);

- sur la base de cette jurisprudence, il a été jugé que la responsabilité du fournisseur de produits sanguins ne pouvait être retenue par le seul fait que l'enquête transfusionnelle demeurait incomplète et que la preuve de l'innocuité de tous les produits n'était pas rapportée,

- la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juillet 2005, a jugé, en retenant l'absence d'élément permettant de présumer l'origine transfusionnelle de la contamination, que le demandeur ne peut se prévaloir de l'existence d'un doute au sens de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002,

- la jurisprudence considère qu'un risque minime de contamination transfusionnelle (jusqu'à 6 %) ne peut constituer le faisceau de présomption requis,

- selon la jurisprudence, les dispositions de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ne trouvent pas à s'appliquer pour établir la preuve de la matérialité de la transfusion et que dans ce cadre, c'est le droit commun de la preuve en matière administrative qui s'applique,

- c'est à bon droit que le tribunal a débouté Madame Y... de ses demandes puisque l'enquête transfusionnelle n'a pas permis d'établir que des produits contaminés lui ont été administrés,

- dans le cadre de la première expertise, les donneurs retrouvés ont été testés négatifs et que parmi les produits transfusés, il n'y avait aucun plasma sec cryodesséché dont la composition fait présumer l'effet contaminant,

- le tribunal a relevé qu'il existait un doute sur la contamination par la transfusion alors que les experts n'étaient pas en mesure de donner des éléments de probabilités entre la contamination d'origine transfusionnelle et les autres formes de contamination,

- il ne faut pas confondre présomption de responsabilité et présomption d'imputabilité,

- dans le premier rapport d'expertise, les experts avaient conclu à l'existence d'un doute sur l'origine de la contamination de Madame Y... au regard du passé médical, chirurgical et hospitalier de celle-ci qui comporte un certain nombre d'hospitalisations, d'opérations et d'examens invasifs qui sont tous des facteurs possibles et importants de contamination par le virus de l'hépatite C,

- dans le cadre de la seconde expertise, le Professeur M... a relevé que sur 38 donneurs, 37 ont pu être contrôlés HCV négatifs,

- il a pris contact avec le dernier donneur qui a confirmé ne pas être atteint du virus de l'hépatite C,

- Madame Y... ayant été transfusée au mois d'août 1988, le taux de probabilité d'une contamination d'origine transfusionnelle, compte tenu du caractère incomplet de l'enquête, est plafonné à 0,1 %,

- en présence d'un enquête transfusionnelle incomplète, s'il rapporte la preuve d'une exposition de la victime à d'autres sources de contamination, sa responsabilité ne peut être retenue.

La compagnie Axa Courtage et les héritiers du Docteur A... font valoir à ce titre que:

- le rapport d'expertise établit que Madame Y... a subi de nombreuses interventions chirurgicales et notamment des examens invasifs qui constituent des facteurs de contamination possible par le virus de l'hépatite C,

- les conclusions des experts excluent la certitude d'un lien entre la transfusion et la contamination,

- Madame Y... confond présomption de responsabilité et présomption d'imputabilité et qu'elle ne verse aux débats aucun élément médical susceptible d'infirmer les conclusions du rapport d'expertise,

- l'enquête transfusionnelle n'a pas permis d'établir l'origine transfusionnelle de la contamination en lien avec l'intervention du Docteur A....

Madame Y... demande l'application de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 et fait valoir à l'appui de sa demande que:

- il ressort des éléments de l'espèce qu'il existe une présomption d'imputabilité de la contamination par le virus de l'hépatite C ayant pour origine la transfusion de produits sanguins,

- les objections faites par l'EFS ne sont pas de nature à lever cette présomption et qu'en tout état de cause, le doute profite au demandeur,

- l'existence d'un tel doute est établie par le jugement du tribunal qui en fait état et qu'il n'a pas été levé par l'expertise du Docteur M...,

- l'élément statistique ne peut pas être retenu pour l'analyse scientifique puisqu'il suffit d'un seul donneur positif au VHC pour que le virus soit transmis,

- l'EFS tente de revenir sur l'arrêt avant-dire-droit de la cour en date du 29 octobre 2008 dans lequel elle a tranché la question de la présomption,

- seul reste à appliquer ou non le bénéfice du doute,

- en l'absence de sérologie du dernier donneur, s'il n'y a pas de preuve manifeste, il existe néanmoins un doute qui doit lui bénéficier.

Il résulte des dispositions de l'article 102 de la loi du 4mars 2002, qu'en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C, le demandeur apporte les éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang, et qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Ce texte ajoute que le doute profite au demandeur.

En l'espèce il résulte tout d'abord du rapport d'expertise établi le 15 octobre 1997 par le docteur L... et par le professeur K... que:

- Madame Y... a subi de très nombreuses interventions et que, par conséquent, le risque de transmission transfusionnel, compte tenu, d'une part, du nombre important de donneurs qui étaient négatifs par rapport à ceux qui n'ont pas été trouvés, et d'autre part, aux nombreuses interventions qu'a subies cette patiente sur le plan gynécologique entre autres, fait planer un doute sur la contamination par les transfusions qui ont été faites;

- la contamination par la coelioscopie, avec ou sans biopsie, pouvait conduire à une contamination virale, en raison d'une insuffisance de stérilisation de la sonde et que l'examen par gastroscopie même sans biopsie était un facteur de risque d'hépatite chronique C avec transmission possible ;

- Madame Y... pouvait avoir d'autres sources de contamination que les transfusions sanguines, que si le nombre de produits transfusés qui n'a pas été reconnu est très mineur par rapport au nombre de transfusions sanguines, on ne peut absolument pas éliminer la contamination par un seul de ces produits non reconnu puisque cela suffirait à lui transmettre l'hépatite C, et qu'il persiste un doute sur la contamination par la transfusion.

Le rapport d'expertise déposé le 9 août 2007 par le professeur M... commis par arrêt avant dire droit de cette cour fait pour sa part apparaître que :

- le diagnostic de l'hépatite C a été posé en 1990 soit deux ans après l'opération en raison d'une asthénie et de nausées qui ont entraîné un bilan biologique lequel a objectivé une élévation des transaminases puis des anticorps antivirus C positifs,

-en ce qui concerne le diagnostic différentiel, il n'y a pas d'autre cause d'hépatopathie :

- pas d'alcool,

- pas d'autre médicament,

- pas de toxicomanie,

- pas de pratique médicale à risque en dehors des interventions,

- pas de tatouage, - à signaler un simple piercing auriculaire fait chez un bijoutier.

- l'enquête transfusionnelle n'est pas exhaustive puisque sur 38 donneurs, 37 ont pu être revus et contrôlés HCV négatifs et qu'en l'état actuel de l'expertise, il faut attendre la confirmation du statut du dernier donneur. S'il est négatif, la contamination n'est pas de nature transfusionnelle. S'il est positif, il faudra comparer les deux génotypes.

C'est en considération de ces constatations médicales que la cour, par arrêt du 29 octobre 2008, a ordonné un complément d'expertise et désigné à nouveau le docteur M... pour y procéder avec notamment pour mission de rechercher la sérologie du dernier donneur des dix dons de fibrogène 87 F 613 et de procéder à la comparaison des génotypes pour déterminer si la contamination de Mme Y... est ou non d'origine transfusionnelle.

Le dernier donneur n'ayant pas souhaité répondre aux demandes de contrôle sanguin qui lui ont été proposées, le complément d'expertise n'a pu être réalisé.

Les expertises effectuées ont clairement fait apparaître qu'une transfusion de produits sanguins est bien intervenue au mois d'août 1988 à l'occasion de la rupture de grossesse extra-utérine de Madame Y... et que l'hépatite C a été découverte en 1990. La preuve de la matérialité de la transfusion est donc établie.

Même si Madame Y... a subi diverses interventions antérieurement à la transfusion intervenue au mois d'août 1988, il n'est pas établi ni même démontré que l'intéressée était contaminée avant cette période.

Aucune transfusion n'a en outre eu lieu entre le mois d'août 1988 et la découverte de l'hépatite C en 1990.

Les investigations réalisées n'ont pas, par ailleurs, permis de mettre en évidence un comportement personnel de Madame Y... l'exposant à un risque de contamination.

Il doit dans ces conditions être retenu qu'il existe des éléments et un faisceau de présomptions permettant de présumer que la contamination a pour origine la transfusion sus indiquée.

Les rapports d'expertise révèlent que s'il existe d'autres causes possibles de contamination, la contamination par un seul des produits non reconnu ne peut être éliminée. Quel que soit le taux de probabilité de la contamination par la transfusion, cette cause ne saurait dés lors être supprimée que s'il est démontré qu'aucun des donneurs n'était porteur du virus. Les déclarations qu'auraient pu faire la personne concernée sont, à ce titre, dépourvues de force probante, seul un contrôle effectif permettant d'exclure la contamination par l'intéressé.

L'expertise ordonnée par la cour n'ayant pas permis d'éliminer le doute existant sur ce point, il convient de faire bénéficier Madame Y... de celui-ci et de retenir que l'EFS est responsable de la contamination.

II / Sur le préjudice de Madame Y...:

Dans son rapport daté du 3 août 2007,le professeur M... retient :

-que l'état de santé de Madame Y... doit être considéré comme stabilisé,

-que l'ITT correspond à la durée des hospitalisations,

-que l'IPP se situe entre 5 et 10 %,

-que le pretium doloris est de 1,5 dans une échelle de 1 à 7.

Madame Y... fait valoir que :

- au vu de son état de santé, l'éventualité d'une guérison ou d'une stabilisation de son état est exclue,

- au vu des dernières analyses médicales, son état de santé s'aggrave,

- au vu de son état de santé préoccupant et précaire, elle a subi un préjudice moral et un préjudice d'agrément très importants,

- les premiers experts ont retenu un taux d'IPP de 5 %, que le Professeur M... a évalué entre 5 et 10 %,

- elle a subi une ITT pendant le durée du traitement par interféron (6 mois à compter du 5 septembre 1988) augmentée des durées d'hospitalisations,

- son pretium doloris a été évalué à 1,5/7.

L'EFS soutient à ce titre que:

- les demandes formulées par Mme Y... sont excessives,

- ses demandes au titre du DFP et du pretium doloris doivent être réduites,

- elle doit être déboutée de ses demandes au titre de l'ITT, du préjudice d'agrément et du préjudice de contamination,

- seules les périodes d'hospitalisations doivent être prises en compte au titre de l'ITT, ce qui réduit celle-ci à quelques jours et non 6 mois,

- la victime doit justifier de la pratique d'une activité spécifique pour être indemnisée au titre du préjudice d'agrément,

- le préjudice spécifique de contamination n'est destiné à réparer que les maladies incurables susceptibles d'évoluer ce qui n'est pas le cas de Mme Y... compte de la stabilisation de la maladie et des chances de succès d'un éventuel nouveau traitement.

Sur le préjudice de contamination:

Madame Y... réclame 68 602,06 euros à ce titre.

Le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour la victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène ,qui comporte par sa nature le risque à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le processus vital.

Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport d'expertise, que Madame Y... est atteinte d'une hépatite de stade F1, qu'elle a subi deux traitements, l'un par interféron en monothérapie en 1995 qui s‘est soldé par un échec, l'autre par Interféron et Ribavérine en 2002 qui a dû être stoppé au bout de 6 mois en raison des effets secondaires avec toujours le même profil de non-réponse, qu'elle est toujours atteinte de la maladie puisque des examens réalisés le 8 septembre 2006 ont confirmé la présence d'anticorps anti VHC.

Dans son rapport, l'expert précise en page 4, qu'au jour de l'expertise:

“- la patiente a toujours le virus C.

- sur le plan clinique, Mme Y... garde une asthénie et des troubles dyspeptiques ... .

- sur le plan biologique, les transaminases oscillent entre 1 et 2 fois la normale ... .

- sur le plan virologique, la virémie est positive. Il s'agit d'un génotype 1. ... ”.

Il ajoute en page 7 que :

“Les répercussions psychologiques sont considérables.

- préjudice moral énorme ... ”.

Compte tenu de ces constatations médicales et de ce que Madame Y... a eu connaissance de sa contamination depuis 1990, il convient de lui allouer la somme de 50 000 euros à ce titre.

Sur le préjudice d'agrément:

Il s'agit d'indemniser la victime au regard de ses activités sportives, ludiques ou culturelles auxquelles elle ne peut plus se livrer en raison des séquelles qu'elle a subies.

A compter de la consolidation, ce préjudice est inclus dans le déficit fonctionnel permanent.

En l'absence de toute justification faisant ressortir que Madame Y... a été privée de la possibilité de se livrer à des activités auxquelles elle s'adonnait avant la découverte de sa contamination, aucune indemnité ne lui sera accordée de ce chef.

Sur le déficit fonctionnel permanent :

Compte tenu des constatations médicales qui font ressortir une incapacité de 5 à 10%, de l'âge de la victime à la date de la consolidation (45 ans), il y a lieu d'allouer à ce titre à Madame Y... une indemnité de 8 000 euros.

Sur le déficit fonctionnel temporaire:

Madame Y... demande à ce titre une indemnité de 4 573,47 euros au titre de la durée du traitement par interféron (6 mois) augmentée des durées d'hospitalisation.

Ce préjudice est constitué par la gène dans les actes de la vie courante subie par la victime jusqu'à la consolidation. Il n'a pas été indemnisé par le jugement attaqué ce qui exclut tout risque de double indemnisation.

Compte tenu des effets secondaires produits par l'interféron qui n'ont cependant suscité qu'une incapacité partielle pendant une durée de 6 mois et de ce qu'il n'est pas discuté que la durée des hospitalisations n'a été que de quelques jours ainsi que le relève l'EFS, il convient d'allouer de ce chef à Madame Y... une indemnité de 1 500 euros.

Sur les souffrances endurées:

En considération de leur évaluation à 1,5 sur une échelle de 1 à 7, il sera attribué à ce titre à la victime une indemnité de 2 300 euros.

Il revient donc à Madame Y... la somme suivante 50 000 + 8 000 + 1 500 + 2 300 soit un total de 61 800 euros.

Sur les dépenses de santé actuelles et les dépenses de santé futures :

Les créances invoquées par la CPAM du Var au titre de ces deux chefs ne sont pas

discutées.

Il sera en conséquence fait droit aux demandes qu'elle a formulées à ce titre .

Il sera attribué à la CPAM l'indemnité forfaitaire de 926 euros dont elle sollicite le versement en vertu de l'article 376-1 du code de la sécurité sociale.

Il ne sera par contre pas fait application à son profit des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

III / Sur la responsabilité du Docteur A...:

L'EFS fait valoir que :

- il résulte du rapport d'expertise que c'est uniquement à cause de l'erreur de diagnostic du Docteur A... que les interventions chirurgicales de 1988 ont eu lieu et que sans cette erreur, celles-ci ainsi que les transfusions sanguines qui les ont accompagnées ne se seraient pas produites et que Madame Y... n'aurait pas été contaminée par le virus de l'hépatite C,

- dans les rapports entre co-obligés fautifs, le co-obligé non fautif dispose d'un recours intégral à l'encontre du co-obligé fautif,

- il repose sur lui une obligation de sécurité-résultat, que seul un manquement à cette obligation peut permettre d'engager sa responsabilité et qu'en l'espèce, aucune faute ne peut lui être opposée si sa responsabilité était retenue, au contraire du Docteur A....

La compagnie Axa Courtage et les héritiers du Docteur A... soutiennent pour leur part que :

- l'EFS est soumis à une obligation de résultat dont il ne peut s'exonérer que par la preuve d'un cas de force majeure,

- l'action récursoire d'un co-obligé fautif contre le conducteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut s'exercer que dans les conditions prévues par les articles 1147, 1382 et 1251 du code civil, la contribution à la dette ayant lieu en proportion des fautes respectives (CA Bordeaux, 2 juillet 2008),

- les fautes reprochées au Docteur A... et au CRTS sont distinctes : erreur de diagnostic d'une part et sang vicié d'autre part,

- si les fautes du Docteur A... ont entraîné la nécessité de transfusions, la contamination n'est intervenue qu'en raison de la livraison de sang vicié par la CRTS,

- la cause de la contamination est étrangère aux fautes commises par le Docteur A....

En sa qualité de fournisseur de produits sanguins, l'EFS est tenu à une obligation de sécurité de résultat de livrer des produits exempts de vices. Faute d'avoir respecté celle-ci, l'EFS a commis à l'égard de la victime une faute délictuelle. Son recours contre les héritiers de Monsieur Lucien A... et contre la compagnie d'assurance qui garantit le dommage ne peut donc en toute hypothèse intervenir pour la totalité du préjudice.

L'action récursoire d'un coobligé fautif contre le médecin ayant commis une erreur de diagnostic qui a entraîné l'intervention puis les transfusions ne peut s'exercer que dans les conditions prévues par l'article 1382 du code civil, c'est à dire à proportion des fautes respectives des intéressés.

Le docteur A... a commis une erreur de diagnostic en ne pratiquant pas une coelioscopie alors qu'elle était indispensable puisque, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, elle aurait permis d'établir formellement le diagnostic de grossesse extra utérine et d'éviter une “Rupture cataclysmique au cours de laquelle Madame Y... est passée très près de la mort”. Cette faute ne peut être considérée comme étrangère à la contamination alors qu'elle est à l'origine de l'état de la victime qui a dû de ce fait être opérée et en tout cas être transfusée. Il existe donc bien un lien entre cette faute et le dommage.

Il apparaît cependant que cette faute est moins grave que celle commise par l'EFS qui est directement à l'origine de la contamination puisque c'est le produit qu'il a livré qui a causé cette dernière.

Ces circonstances commandent de faire supporter la charge de la réparation à hauteur de 75 % par l'EFS et à hauteur de 25 % par les consorts A... et par leur compagnie d'assurance.

Il sera attribué à Madame Y... une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant dans les limites de l'appel :

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame Y... de sa demande d'indemnisation de son préjudice de contamination.

Statuant à nouveau de ce chef :

Déclare l'Etablissement Français du Sang responsable de la contamination subie par Mme Y....

Le condamne en réparation du préjudice qu'elle a subi de ce chef à lui verser une indemnité de 61 800 euros à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le condamne à payer à la CPAM du Var:

- la somme de 28 413, 53 € au titre des dépenses de santé actuelles exposées pour le compte de Madame Y...,

- les dépenses de santé futures au fur et à mesure qu'elles seront exposées à moins qu'il ne préfère se libérer par le paiement immédiat du capital représentatif d'un montant de 1 384, 56 €,

- une indemnité forfaitaire de 926 € en application de l'article 376-1 du code de la sécurité sociale.

Condamne in solidum les consorts A... venant aux droits du docteur A... et la compagnie Axa Courtage à garantir l'EFS à hauteur de 25 % des condamnations prononcées à son encontre.

Condamne l'Etablissement Français du Sang aux dépens et dit que les consorts A... et la compagnie Axa Courtage devront le garantir à hauteur de 25 %.

Dit que les dépens seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert MIORI, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

Hervé GOUDOT Robert MIORI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Ct0045
Numéro d'arrêt : 05/05992
Date de la décision : 10/11/2009

Analyses

SANTE PUBLIQUE - Transfusion sanguine - Responsabilité - /JDF

L'action récursoire d'un co-obligé fautif contre le médecin ayant commis une erreur de diagnostic qui a entraîné l'intervention chirurgicale puis les transfusions sanguines ne peut s'exercer que dans les conditions prévues par l'article 1382 du code civil, c'est-à-dire à proportion des fautes des intéressés. La faute du médecin, qui a commis une erreur de diagnostic en ne pratiquant pas un acte médical qui était indispensable, ne peut être considéré comme étrangère à la contamination alors qu'elle est à l'origine de l'état de la victime qui a dû de ce fait être opérée et en tout cas transfusée. Cependant, cette faute est moins grave que celle commise par le fournisseur de produits sanguins qui est tenu à une obligation de sécurité de résultat de livrer des produits exempts de vices, lesquels sont directement à l'origine de la contamination. Ces circonstances commandent donc de faire supporter la charge de la réparation à hauteur de 75 % par le fournisseur de produits sanguins et de 25 % par les héritiers du médecin et leur assureur.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2009-11-10;05.05992 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award