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12/07/2022 | FRANCE | N°21/03921

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 3ème chambre famille, 12 juillet 2022, 21/03921


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



TROISIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 12 JUILLET 2022









N° RG 21/03921 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGPO









[H] [E] épouse [X]



c/



[W] [E] épouse [D]



















Nature de la décision : AU FOND







28A



Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision défÃ

©rée à la Cour : jugement rendu le 29 juin 2017 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (RG n° 15/03295) suivant déclaration d'appel du 07 juillet 2021





APPELANTE :



[H] [E] épouse [X]

née le 06 Avril 1958 à ALGER

de nationalité Française,

demeurant 11 Impa...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 12 JUILLET 2022

N° RG 21/03921 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGPO

[H] [E] épouse [X]

c/

[W] [E] épouse [D]

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 juin 2017 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (RG n° 15/03295) suivant déclaration d'appel du 07 juillet 2021

APPELANTE :

[H] [E] épouse [X]

née le 06 Avril 1958 à ALGER

de nationalité Française,

demeurant 11 Impasse Villenouvelle - 31270 CUGNAUX

Représentée par Me Victoire DEFOS DU RAU de la SCP CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX et par Me Isabelle ISSALY, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

[W] [E] épouse [D]

née le 03 Juillet 1962 à ALES (30100) (30100)

de nationalité Française,

demeurant 16 rue de Cante Coucut - 33160 SAINT MEDARD EN JALLES

Représentée par Me Bertrand GABORIAU de la SELARL B.G.A., avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 mai 2022 hors la présence du public, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Clémentine JORDAN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.

Du mariage de M.[F] [E] avec Mme [J], lesquels ont adopté le régime de la communauté des meubles et acquêts, sont issues deux filles:

- [H] [E] épouse [X], née en 1958, exerçant la profession de chirurgien-dentiste en région toulousaine,

- [W] [E] épouse [D], née en 1962 résidant en Gironde et travaillant comme psychomotricienne.

Par acte du 2 avril 1999, les époux [E] ont donné à titre de partage anticipé à Mme [H] [E] épouse [X] la nue-propriété d'un appartement (ancien domicile conjugal) situé Résidence Godard au Bouscat, et à Mme [W] [E] épouse [D] la nue-propriété d'un appartement situé Résidence Océanie 1 à Lacanau.

La valeur en pleine propriété de ces deux immeubles avait été évaluée à 68 602,06 euros chacun et celle en nue-propriété à 61 741,85 euros.

Mme [O] [E] est décédée au Bouscat courant août 2001.

M. [F] [E] est décédé le 7 septembre 2013, étant observé que l'intéressé a vécu après son veuvage avec une compagne jusqu'à fin janvier 2008.

M. [E] s'est rendu chez sa fille aînée, Mme [X], au cours de l'été 2007 pour un séjour, a visité avec elle une maison de retraite de la région toulousaine et lui a donné une procuration sur un compte AGIPI en l'autorisant à domicilier ce compte à l'agence de Toulouse.

De retour en Gironde, où il résidait ainsi que sa fille [W] [D], il a été victime au début de l'année 2008 d'un malaise postprandial ayant causé une lourde chute et a du être hospitalisé. A sa sortie, il a été transféré pour un accueil temporaire à la maison de retraite 'Douceur de France' à Gradignan, sa compagne avec qui il partageait le quotidien suite au décés de son épouse l'ayant quitté car trouvant la charge trop lourde. Ne pouvant revenir à son domicile, il a été pris en charge courant février 2008, il a été dirigé vers la maison de retraite 'La Rose d'Aliénor' à Parempuyre, étant suivi médicalement à l'hôpital suburbain du Bouscat.

Sa fille cadette, Mme [W] [D] l'a alors aidé à partir de cette date dans la gestion de ses biens jusqu'au jugement en date du 29 avril 2010 le plaçant sous le régime de la tutelle, confiée à une mandataire judiciaire, Mme [K].

Au cours de la période écoulée depuis début 2008, M. [E] a consenti les actes principaux suivants :

- par acte du 31 octobre 2008, il a donné avec dispense de rapport à sa succession, la somme de 200 000 euros à sa fille [W] [D].

- selon testament authentique du 12 novembre 2008, il a légué à chacun de ses trois petits enfants, nés de ses deux filles, [T] et [C] [D] et [V] [X], la somme de 30 000 euros chacun à prélever sur son contrat d'assurance-vie souscrit auprès d'AGIPI, a confirmé que le surplus serait réparti entre ses deux filles, a légué la quotité disponible à sa fille [W] [D] et a révoqué toutes dispositions antérieures, notamment un testament olographe du 18 septembre 2008.

Outre ces donations notariées, M. [F] [E] a indiqué en date du 9 avril 2010 par une attestation dactylographiée et portant sa signature, avoir donné en juillet 2007 divers objets mobiliers à sa fille [H] [X] dont il a estimé la valeur à la somme de 9 683 euros.

Par jugement du 29 avril 2010, M.[F] [E] a été placé sous tutelle.

Il est décédé le 7 septembre 2013 laissant pour lui succéder ses deux filles, [W] [E] épouse [D] et [H] [E] épouse [X].

Maître [P] [Z], notaire, a, à la demande de Mme [W] [E] épouse [D], dressé un projet d'état liquidatif qui n'a pas reçu l'agrément de Mme [H] [E] épouse [X].

Par acte d'huissier du 24 mars 2015, Mme [W] [D] a fait assigner sa soeur en liquidation et partage de la succession de leur père.

Par jugement du 29 juin 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a, pour l'essentiel :

- Ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [F] [E],

- Désigné pour y procéder le Président de la Chambre des notaires de la Gironde, avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l'exception de ceux faisant partie de l'étude de Maître [P] [Z]

- Commis le juge de la mise en état de la 1 ère Chambre Civile

- débouté Mme [H] [E] épouse [X] de sa demande tendant à la nullité de l'ensemble des actes et libéralités établis par M. [F] [E] au profit de sa fille [W] [E] épouse [D],

- dit que Mme [H] [E] épouse [X] devra rapporter à la succession de M. [F] [E] la somme de 9 683 euros au titre de la donation de divers biens et objets mobiliers dont elle a bénéficié au mois de juillet 2007,

- condamné Mme [H] [E] épouse [X] à payer à Mme [W] [E] épouse [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation et partage de la succession de M. [F] [E],

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- rejeté toutes autres demandes comme non fondées.

Procédure d'appel

Par déclaration du 7 août 2017, Mme [H] [E] épouse [X] a relevé appel non limité de ce jugement.

Par premier arrêt du 18 décembre 2018, la cour a principalement infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M.[F] [E], décédé le 7 septembre 2013 et la désignation pour y procéder du président de la chambre départementale des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre à l'exception de ceux faisant partie de l'étude de Maître [P] [Z], notaire à Saint Médard en Jalles et statuant à nouveau a :

- dit qu'à partir de septembre 2008, M. [E] avait son discernement gravement altéré,

- dit que le courrier dactylographié du 9 avril 2010 et signé par M. [F] [E] est dénué de toute valeur,

- dit qu'il n'y a pas lieu à rapport de la part de Mme [X] de la somme de 9 683 euros,

Avant dire droit pour le surplus de la demande, la cour a ordonné l'établissement par Mme [X] de la liste des actes souscrits par son père dont elle entendait solliciter l'annulation, ce dans la limite de sa demande initiale et les conséquences dont elle entendait se prévaloir dans les opérations de liquidation et partage de la succession.

Par second arrêt mixte en date du 2 mai 2019, cette cour a ordonné l'annulation des actes suivants :

- l'acte du 5 septembre 2008 qui a modifié les bénéficiaires de l'assurance-vie LCL,

- le testament olographe du 18 septembre 2008,

- la lettre dactylographiée en date du 20 septembre 2008 relative la fiscalité DSK,

- le rachat des parts AGIPI le 9 octobre 2008 à hauteur de la somme de 250 000 euros,

- la donation du 31 octobre 2008 de la somme de 200 000 euros Mme [E] épouse [D],

- le testament du 12 novembre 2008,

- dit en conséquence, qu'en l'absence de dispositions testamentaires :

* les petits enfants seront dépourvus de tous droits dans la succession du défunt,

* le solde du contrat AGIPI sera partagé par moitié entre les deux s'urs conformément à leurs écritures concordantes sur ce point,

* l'ensemble de la succession de M. [E] sera dévolue, conformément à la volonté commune des parties, tant pour la réserve que pour la quotité disponible, entre ses deux filles hauteur de la moitié chacune,

- dit que Mme [E] épouse [D] doit restituer Mme [E] épouse [X] la somme de 27 450,19 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2013, date à laquelle elle a perçu l'entier bénéfice du contrat d'assurance-vie Lyon Progression et avant dire droit sur les autres demandes, ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties d'apporter à la cour tout éclaircissement de droit ou de fait sur le moyen tiré des règles sur la restitution et dit que Mme [E] épouse [D], (et à défaut la partie la plus diligente) devra produire le solde réel actuel du contrat d'assurance-vie AGIPI ou le cas échéant de justifier des sommes perçues à la date de l'éventuelle clôture du-dit contrat.

Un nouvel appel est interjeté par Mme [E] épouse [X] concernant l'organisme AGIPI qui refuserait de coopérer. Elle demande donc à la Cour d'appel de Bordeaux d'enjoindre l'organisme AGIPI via l'autorisation qui serait donnée par elle au notaire chargé de la liquidation, d'obtenir les information et les calculs permettant la reconstitution du capital en neutralisant les effets de toutes les modifications qui ont été apportées à partir de septembre 2008.

Par un troisième et dernier arrêt en date du 10 septembre 2019, la Cour d'appel de Bordeaux a :

- dit que Mme [W] [E] épouse [D] doit restituer à Mme [H] [E] épouse [X] la moitié de la différence entre le solde théorique actuel du contrat d'assurance AGIPI et le solde réel actuel de ce même contrat, soit la somme de 166 298,16 euros, les intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2008 sur la somme de 200 000 euros (donation annulée),

- dit que Mme [E] épouse [D] doit restituer à la succession de M. [E] la somme de 9 737 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2008 au titre des frais de donation du 31 octobre 2008,

- dit que Mme [E] épouse [D] et Mme [E] sont chacune bénéficiaire de la moitié du contrat d'assurance-vie AGIPI n° 0000942724, et qu'elles pourront faire valoir leurs droits directement auprès de la compagnie d'assurance sus-visée,

- condamné Mme [E] épouse [D] à payer à Mme [E] épouse [X] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné Mme [E] épouse [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- dit que Maître [N] [M] pourra recouvrer les dépens qu'il a exposés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Trois pourvois en cassation ont été formés par Mme [D] contre les arrêts successifs de la Cour d'appel de Bordeaux.

Par arrêt du 26 mai 2021, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé en toutes ses dispositions les arrêts rendus le 18 décembre 2018, le 2 mai 2019 et le 10 septembre 2019, entre les parties, par la Cour d'appel de Bordeaux,

- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée,

- condamné Mme [E] épouse [X] aux dépens,

- rejeté la demande de Mme [E] épouse [X] et l'a condamnée à payer à Mme [E] épouse [D] la somme de 3000 euros en application de l'article 300 du code de procédure civile,

- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, l'arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés.

En application de l'article 1032 du code de procédure civile, Mme [B] [Y] [E] épouse [X] a déclaré saisir la Cour d'appel de Bordeaux afin de statuer sur l'appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 29 juin 2017, ensuite de la cassation des arrêts rendus les 18 décembre 2018, 2 mai 2019 et le 10 septembre 2019 par la cour d'appel de Bordeaux.

En substance, l'appel a pour objet de réformer la décision de première instance en ce qu'elle a : débouté Mme [H] [E] de sa demande tendant la nullité de l'ensemble des actes et libéralités établis par M. [E] au profit de sa fille Mme [W] [E] épouse [D], dit que Mme [E] épouse [X] devra rapporter à la succession de M. [E] la somme de 9 683 euros au titre de la donation de divers biens et objets mobiliers dont elle a bénéficié au mois de juillet 2007 et condamné Mme [E] épouse [X] à payer Mme [E] épouse [D] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 8 juillet 2021, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 10 mai 2022 avec clôture de la procédure 2 jours avant cette date.

Selon dernières conclusions en date du 9 mars 2022, Mme [E] épouse [X] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de M. [E], décédé le 7 septembre 2013,

- réformer le jugement entrepris,

- dire et juger que l'ensemble des actes et libéralités établis par M. [E] au profit de Mme [E] épouse [D] sont nuls et de nul effet, soit :

* l'acte du 5 septembre 2008 ayant modifié les bénéficiaires de l'assurance vie LCL Lyon Progession,

*le testament olographe du 18 septembre 2008,

*la lettre dactylographiée du 20 septembre 2008 relative à la fiscalité DSK,

*le rachat des parts AGIPI le 9 octobre 2008 à hauteur de 250 000 euros,

*la donation du 31 octobre 2008 de la somme de 200 000 euros,

*le testament du 12 novembre 2008,

- dire et juger nul de nul effet le document établi le 9 avril 2010,

- en conséquence, dire qu'il n'y a pas lieu à rappel de la part de Mme épouse [X] la somme de 9 683 euros ou titre de la donation de divers biens et objets mobiliers dont elle a bénéficié au mois de juillet 2007,

- dire qu'il y a lieu de tirer toutes les conséquences de ces nullités dont les opérations de liquidation et partage de la succession,

- au regard de la nullité des actes visés plus haut, condamner [E] épouse [D] au paiement des sommes suivantes au titre du rapport à la succession :

* 200 000 euros au titre de la donation du 3l octobre 2008, assortie des intérêts jusqu'où jour du partage,

* 9 538 euros au titre des frais de donation payés indûment, assortie des intérêts jusqu'au jour du partage,

* 6 157 euros au titre des frais de prélèvements sociaux,

* 1767 euros au titre des frais de réorientation du contrat AGIPI assortie des intérêts au taux légal jusqu'au jour du partage,

- condamner Mme [E] épouse [D] à rapporter à la succession la somme résultant de la différence entre le solde théorique du contrat AGIPI et le solde actuel du contrat, inconnu à ce jour, soit 166.298,l6 euros, somme à parfaire, outre les intérêts au taux légal,

- condamner Mme [E] épouse [D] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux en tiers dépens.

L'appelante fait valoir en substance que suite à son accident de santé début 2008, l'état de santé de son père n'a cessé de se dégrader durant les années 2008-2009, celui-ci souffrant de pathologies déréglant ses facultés de discernement de sorte que tous les actes accomplis au cours de cette période doivent être dits entachés de nullité au sens des articles 414-1 et 901 du code civil. Elle soutient par ailleurs qu'ils ont été accomplis à l'initiative de sa soeur, Mme [E] épouse [D], qui par l'emprise exercée sur leur père l'a convaincu de réaliser les actes contestés qui ont favorisé une de ses filles au détriment de l'autre.

Selon dernières conclusions en date du 10 février 2022 Mme [W] [E] épouse [D] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bordeaux le 29 juin 2017,

- Condamner Mme [X] à lui verser la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

L'intimée fait valoir que le diagnostic de démence de feu M. [E] n'a été posé que le 26 novembre 2009 et qu'une mesure de protection n'a été adoptée que le 19 avril 2010. Avant cette date, elle considère donc qu'il était en mesure d'exprimer sa volonté et qu'en tout état de cause il n'est pas démontré que celui-ci aurait été atteint d'un quelconque trouble mental au moment où les actes litigieux ont été réalisés, soit entre septembre et octobre 2008. Elle affirme par ailleurs que les libéralités dont elle a bénéficié sont causées, étant venues récompenser une présence en fin de vie que sa soeur n'a pas pu ou su apporter à leur père.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

SUR QUOI, LA COUR

Sur les demandes en nullité formées par Mme [B] [Y] [I] épouse [X]

Au termes de l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

Aux termes des anciens articles 489 et 489-1 du code civil, applicables en la cause, ' Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. Mais c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte'.

'Du vivant de l'individu, l'action en nullité ne peut être exercée que par lui, ou par son tuteur ou curateur, s'il lui en a été ensuite nommé un. Elle s'éteint par le délai prévu à l'article 1304" (article 489)

' Après sa mort, les actes faits par un individu, autres que la donation entre vifs ou le testament, ne pourront être attaqués pour la cause prévue à l'article précédent que dans les cas ci-dessous énumérés :

1 Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;

2 S'il a été fait dans un temps où l'individu était placé sous la sauvegarde de justice;

3 Si une action avait été introduite avant le décès aux fins de faire ouvrir la tutelle ou la curatelle ' (article 489-1).

Il est constant que M. [E] n'a été placé sous régime de protection civile, sous forme de tutelle, que par jugement du 29 avril 2010. Aucune mesure de sauvegarde de justice n'avait été prise antérieurement.

Il y a donc lieu d'apprécier la validité des actes et libéralités effectuées par le de cujus et contestées par l'intimée qu'à l'aune de l'existence ou non d'un trouble mental ayant pu altérer son discernement.

Des éléments produits tels que visés dans les bordereaux de pièces communiquées par les parties, il s'établit que :

Le 4 mars 2008, le Docteur [U] [G], médecin gériatre de l'hôpital suburbain du Bouscat où avait été admis M. [E] après son malaise postprandial au mois de février, a diagnostiqué chez lui un déficit cognitif léger, qu'elle a dit probablement lié à un état dépressif, sur un terrain vasculaire (pièce 8 bis de l'intimée).

Ce médecin n'a alors pas relevé de déficit mnésique réel mais plutôt un déficit d'attention, précisant toutefois que le patient était capable de prendre ses médicaments une fois préparés et qu'il se refusait à un passage infirmier pour une aide partielle à la toilette et la surveillance des médicaments. Il refusait par ailleurs tout suivi psychologique.

Un second bilan va être effectué plus d'un an plus tard, le 24 avril 2009, lequel va conclure à un déficit cognitif isolé, évoluant vers un trouble de type MCI aggravé par l'état dépressif dont l'évolution était à surveiller (pièce 36 intimée, compte rendu médical).

Dans le cadre d'un bilan et d'une rééducation orthophonique réalisée à la même date, le praticien officiant, Mme [KG], a pu indiquer que ' M. [E] s'est montré coopérant et intéressé par ses résultats, bien que se disant indifférent à une éventuelle prise en charge. Sa compréhension semble correcte et sa conversation spontanée cohérente'.

A cette date, soit six mois après les actes critiqués par Mme [X] aucun diagnostic de démence sénile n'avait été donc posé.

Au mois de novembre 2009, le docteur [R] mandaté pour examiner M. [E] dans le cadre d'une procédure de mise sous protection civile, a posé un diagnostic de 'syndrome démentiel associé à des troubles thymiques, altérant ses facultés mentales au point d'empêcher l'expression de sa volonté', et a préconisé une mesure de tutelle en précisant que cette altération n'était pas susceptible de s'améliorer.

Dans un certificat du 16 décembre 2009, le docteur [G] qui suivait toujours M. [E] à l'hôpital suburbain, a confirmé ce diagnostic et préconisé elle aussi une mesure de tutelle au motif que celui-ci était dans l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison de :

- l'altération de ses facultés mentales et la perturbation de ses capacités de jugement dans le cadre d'une démence de type mixte vasculaire et dégénératif à un stade débutant, associant une désorientation temporelle, un déficit mnésique, des troubles du langage et des fonctions exécutives, le déficit cognitif étant aggravé par un comportement apathique et une tendance à s'isoler ;

- l'altération de ses capacités fonctionnelles, avec une importante pathologie vasculaire (diabéte de type 2 et hypertension arterielle) associée à un ralentissement idéomoteur global, une incontinence débutante et nocturne et surtout, sur le plan locomoteur, une position debout et à la marche avec un risque de chutes ;

- la perte de son autonomie pour tous les actes de la vie quotidienne nécessitant une prise en charge pour les repas et un passage IDE biquotidien pour la toilette.

Il est donc acquis qu'à la fin de l'année 2009, M. [E] souffrait d'une détérioration de ses facultés mentales lui interdisant tout type de gestion de ses fonds et altérant le gouvernement de sa personne. Son placement sous tutelle interviendra d'ailleurs quatre mois plus tard.

En revanche, compte tenu de l'évolution de son état de santé tel que constaté tant par les professionnels qui le prenaient en charge, preuve n'est pas apportée qu'aux jours où il a réalisé les principaux actes contestés, soit entre septembre et novembre 2008, il ne disposait plus de toutes ses facultés de discernement. Si un phénomène de 'glissement' a pu être relevé suite à son accident de février 2008, pour autant un quelconque trouble mental ayant pu altérer le discernement du de cujus au jour des actes à la validité contestée n'a pas été établi.

Il est à souligner que le Docteur [G], médecin gériatre qui a suivi médicalement dés le début de l'année 2008 M. [E], n'a pas jugé nécessaire d'alerter qui de droit sur une quelconque perte de sens de la part de son patient avant la fin de l'année 2009.

L'appelante se fait cependant forte d'une expertise sur pièces, effectuée à sa demande par le Docteur [ON], médecin expert auprès de la cour d'appel de Toulouse trois années après le décès de son père, le 14 avril 2016, pour affirmer l'incapacité de son père à pourvoir à ses intérêts aux dates des actes en litige. L'intimée produit toutefois en réplique un rapport établi par le docteur [S], également expert psychiatre, mais auprès de la cour d'appel de Bordeaux qui vient mettre à mal le diagnostic posé par son confrère.

De ces deux pièces en opposition il ressort que : Le Docteur [ON] après avoir rappelé les termes du compte rendu du 4 mars 2008 et notamment souligné qu'il n'était constaté chez M. [E] 'aucun trouble praxique mais un ralentissement idéo-moteur important (') des difficultés à la marche ... pas de déficit amnésique réel mais plutôt un déficit attentionnel ... un état dépressif ... un déficit cognitif léger probablement lié principalement à un état dépressif majeur ', en a tiré comme conséquence que ' les fonctions intellectuelles étaient gravement atteintes '.

Cette appréciation doit être considérée comme toute personnelle alors qu'il reconnaissait lui-même dans son rapport qu'il est ' très difficile au début de faire le diagnostic différentiel entre un syndrome dépressif et un début de détérioration mentale'.

Or le seul état dépressif du défunt constaté en 2008, en l'absence de diagnostic posé d'une quelconque démence ou perte des fonctions cognitives, ne saurait justifier l'annulation des actes effectués par le de cujus dès lors que les articles 414-1 et 901 du Code Civil imposent à celui qui agit en nullité de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

Au delà de son caractère personnel, l'appréciation faite par le Docteur [L] est mise à mal par celle du Docteur [S] qui a conclu pour sa part que M. [E] 'ne souffrait d'aucun déficit cognitif sévère et invalidant en 2008". Il a affirmé que ce n'est qu'à partir de la fin de l'année 2009 qu'il a été constaté une perturbation des fonctions cognitives et intellectuelles avec la mise en place d'une mesure de protection décidée par le Juge des Tutelles en avril 2010 et a donc affirmé que ' jusqu'à cette date on doit considérer que M. [F] [E] avait la capacité à pouvoir exprimer sa volonté'.

En raison de l'opposition d'analyses des deux médecins experts, faute d'autres éléments permettant d'être éclairé sur l'évolution de la santé mentale du défunt au cours de l'année 2008, et alors même que dans ses conclusions (page 24), l'appelante affirme que si son père était affecté de troubles de plus en plus fréquents 'il conservait cependant des moments de lucidité', c'est par de justes motifs que le tribunal de grande instance sur la base des certificats médicaux établis au cours de la période en litige a considéré que la preuve de l'insanité d'esprit de M. [E] au cours de l'année 2008 ,et précisément aux dates où ont été établis les actes à la validité contestée n'était pas rapportée.

C'est par ailleurs vainement que l'appelante entend tirer d'un certain nombre d'éléments de circonstances entourant la réalisation des actes litigieux, la preuve d'une mise sous influence de son père qui l'aurait conduit à gratifier une de ses filles au détriment de l'autre. S'agissant d'une éventuelle emprise de Mme [D] sur son père qui serait à l'origine des actes en litige, les dires et les pièces produites en ce sens par l'appelante échouent à la caractériser. Ainsi, l'appelante ne peut valablement affirmer que sa soeur aurait choisi seule de placer leur père en maison de retraite alors qu'elle indique elle même dans ses conclusions (page 5) que celui-ci avait déjà envisagé de s'installer dans un tel établissement au cours de l'année 2007, et s'était proposé d'en visiter à Tournefeuille, en région toulousaine en 2007 lorsqu'il était encore au domicile de sa fille aînée.

L'appelante se livre ensuite à une série de critiques sur l'aide apportée par sa soeur à la gestion des biens de leur père de 2008 à son placement sus tutelle, mais c'est sans compter sur cette mesure de protection et l'intervention de Mme [ZE] [ZZ] qui n'a pas entendu remettre en cause les actes effectués avant son intervention. Mme [X] ne manquera d'ailleurs pas de critiquer la gestion faite par celle-ci, n'hésitant pas à interpeller le juge de tutelles sur ce point et à faire intervenir une connaissance du monde judiciaire pour avoir plus d'information, au risque de vouloir peser sur l'office du juge.

En tout état de cause l'appelante expose elle même avoir déposé plainte contre X en 2012 auprès du procureur de la République de Bordeaux pour des faits d'abus de faiblesse sur la période considérée, plainte qui après enquête a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. Ce classement affaiblit d'autant sa crainte émise d'une mise sous influence de son père.

Par suite, c'est à bon droit et par des motifs pertinents que la juridiction du premier degré a dit qu'il y avait lieu de débouter Mme [H] [E] épouse [X] de sa demande de nullité de l'ensemble des actes et libéralités établis par feu M. [F] [E] au profit de sa fille [W] [E] épouse [D].

La décision est confirmée.

Sur les autres demandes

- Sur le rapport d'une somme de 9683 euros par Mme [X].

En application de l'article 843 du code civil, la décision entreprise a dit que Mme [H] [E] épouse [X] devra rapporter à la succession de M. [F] [E] la somme de 9 683 euros au titre de la donation de divers biens et objets mobiliers dont elle a bénéficié au mois de juillet 2007 sur la base d'un document dactylographié, à la date du 9 avril 2010, signé par M. [E]. Celui-ci y affirme avoir cédé par don manuel à sa fille [A] des meubles meublants, une ménagère en argent massif, des bijoux et de la vaisselle pour une somme qu'il évalue à 9.683 euros.

Aux termes de ses conclusions, Mme [X] conteste la validité de l'attestation établie par son père à une date où il était en passe d'être placé sous le régime de protection de la tutelle, soulignant qu'à cette époque, lors de tests sur ses capacités cognitives, il était dans l'incapacité de distinguer un ours d'un éléphant (sic).

Il est constant que la somme à rapporter ne repose que sur ce seul document. Mais alors que l'état de démence de M. [E] avait été diagnostiqué fin novembre 2009 par le docteur [R], que cet état a été confirmé le 16 décembre 2009 par le Docteur [G] et qu'il a été placé sous mesure de protection par jugement du 29 avril 2010, on peut s'étonner qu'il ait pu faire un inventaire précis de biens donnés à une de ses filles et en fixer la valeur. Si l'intimée affirme qu'il avait alors en sa possession des documents pouvant l'aider dans l'inventaire et l'estimation des biens dont s'agit, aucune pièce n'est produite en ce sens.

Il convient donc d'ôter au document dont s'agit toute force probante quant à la démonstration d'un don manuel qui aurait été effectué par le de cujus au profit de l'appelante, ou tout au moins quant à la consistance de celui-ci et, en l'absence d'autres éléments permettant d'établir la consistance du don manuel contesté, il convient d'infirmer le jugement et de dire que Mme [H] [E] épouse [X] ne sera pas tenue à rapporter à la succession la somme de 9.683 euros.

Sur les frais et dépens

Échouant pour l'essentiel, Mme [H] [E] épouse [X] sera condamnée à verser à Mme [W] [E] épouse [D] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 29 juin 2017 par le tribunal de grande instance de Bordeaux sauf en ce qui concerne le rapport de la somme de 9.683 euros par Mme [X] ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [W] [E] épouse [D] de sa demande de rapport par Mme [H] [E] épouse [X] de la somme de 9.683 euros.

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] [E] épouse [X] à verser à Mme [W] [E] épouse [D] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Signé par Hélène MORNET, Présidente de chambre et par Clémentine JORDAN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 21/03921
Date de la décision : 12/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-12;21.03921 ?
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