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03/06/2009 | FRANCE | N°06/01812

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 03 juin 2009, 06/01812


BR/ RVM/ BR

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4o chambre sociale

ARRÊT DU 03 Juin 2009

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/ 06324

ARRÊT no

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 JUIN 2008 CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE MONTPELLIER
No RG06/ 01812

APPELANTE :

SARL KALIOP
représentée par son gérant Pierre X... Directeur Général
222 Place Ernest Granier
34000 MONTPELLIER
Représentant : Me POQUILLON de la SELARL PVB CONSULTANTS (avocats au barreau de MONTPELLIER)

INTIMES :

Monsieur

Baptiste Y... (connu sous le nom de Clarisse Y...)...

34400 LUNEL
Comparant et Assisté par la SCP KIRKYACHARIAN-YEHEZKIELY (avocats ...

BR/ RVM/ BR

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4o chambre sociale

ARRÊT DU 03 Juin 2009

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/ 06324

ARRÊT no

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 JUIN 2008 CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE MONTPELLIER
No RG06/ 01812

APPELANTE :

SARL KALIOP
représentée par son gérant Pierre X... Directeur Général
222 Place Ernest Granier
34000 MONTPELLIER
Représentant : Me POQUILLON de la SELARL PVB CONSULTANTS (avocats au barreau de MONTPELLIER)

INTIMES :

Monsieur Baptiste Y... (connu sous le nom de Clarisse Y...)...

34400 LUNEL
Comparant et Assisté par la SCP KIRKYACHARIAN-YEHEZKIELY (avocats au barreau de MONTPELLIER)

INTERVENANT VOLONTAIRE :

HALDE (HAUTE AUTORITE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'EGALITE)
11, rue Saint Georges
75009 PARIS
Représentant : Me MESSONNIER-CAYEZ (avocats au barreau de MONTPELLIER)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 AVRIL 2009, en audience publique, Monsieur Régis VOUAUX-MASSEL, Président ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :

Monsieur Régis VOUAUX-MASSEL, Président
Madame Myriam GREGORI, Conseiller
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Brigitte ROGER

ARRÊT :

- Contradictoire.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;

- signé par Monsieur Régis VOUAUX-MASSEL, Président, et par Mme Brigitte ROGER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*
* *

EXPOSE DU LITIGE

La société KALIOP qui est une entreprise d'ingénierie spécialisée dans l'environnement et les nouvelles économies solidaires, a engagé, suivant contrat à durée indéterminée en date du 30 juin 2005, M. Baptiste Y... en qualité de Directeur du développement et Directeur administratif et financier, position 3. 3 au coefficient 270, moyennant une rémunération brute de 3. 738 €, outre primes sur objectifs.

Alors que M. Y... était convoqué le 16 octobre 2006 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire, celui-ci prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur suivant courrier en date du 20 octobre 2006. A l'issue de la procédure de licenciement, la société KALIOP notifiait à M. Y... son licenciement par lettre en date du 14 novembre 2006, dans laquelle étaient invoquées des erreurs dans la gestion des dossiers qu'un audit effectué par un cabinet d'expertise-comptable aurait révélées.

Le salarié saisissait le Conseil de prud'hommes de MONTPELLIER aux fins de voir annuler son licenciement, en se prévalant de ce que la décision de l'employeur de le licencier avait en réalité été prise à la suite de l'annonce par le salarié de sa transidentité et de son choix de changer d'apparence physique et de genre, et de ce qu'il s'agissait dès lors d'un licenciement fondé sur un motif purement discriminatoire. Le salarié sollicitait par ailleurs le paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires et accessoires.

Après avoir reçu la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (la HALDE) en son intervention, le Conseil de prud'hommes a, suivant jugement en date du 9 juin 2008, dit que le licenciement était nul en application des articles L 122-45 et L 123-1 (anciens) du Code du travail et a condamné la société KALIOP à verser à M. Baptiste Y..., connu sous le nom de Clarisse Y... les sommes de 25. 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, de 32. 440, 38 € à titre de rappel de salaire et de 850 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Le salarié était débouté du surplus de ses demandes.
La société KALIOP a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Dans des écritures développées oralement à l'audience et auxquelles la Cour renvoie expressément pour un exposé complet de ses moyens, la société KALIOP conclut à l'infirmation du jugement, de sorte qu'à titre principal, le salarié soit débouté de l'intégralité de ses demandes et qu'à titre infiniment subsidiaire, le montant des condamnations au titre du rappel de salaire soit limité à la somme de 26. 140, 91 € brut. La société KALIOP sollicite par ailleurs l'allocation d'une indemnité de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La société KALIOP soutient notamment que la prise d'acte de rupture par le salarié, antérieure à la notification de son licenciement, doit s'analyser en une démission, dès lors que les faits allégués par le salarié ne sont nullement avérés et que la société KALIOP s'est toujours inscrit en faux contre les propos tenus par celui-ci, l'employeur n'ayant jamais souhaité se séparer de l'intéressé en raison de sa conversion sexuelle. Concernant le rappel de salaire, la société KALIOP soutient que le salarié savait pertinemment que le salaire convenu entre les parties ne correspondait pas au coefficient 270 figurant sur ses bulletins de paie et qu'il avait profité de sa position dans l'entreprise pour que lui soit affecté un tel coefficient. La société KALLIOP soutient que les autres demandes formées au titre de primes ou encore de remboursement de frais ne sont nullement justifiées.

Dans des conclusions développées à l'audience et auxquelles la Cour fait expressément références, le salarié soutient notamment que l'employeur a voulu l'évincer dès son « coming out » et que sa prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement nul et pas seulement abusif, dès lors qu'elle est justifiée tant par le fait que pour des motifs discriminatoires, son employeur ne voulait plus le voir sur son lieu de travail que par le fait que celui-ci avait modifié son coefficient hiérarchique de manière unilatérale et ne lui avait pas réglé diverses sommes à titre de salaires et accessoires.

Le salarié sollicite en conséquence la condamnation de la société KALIOP à lui verser les sommes de :
-127. 656 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
-32. 440, 38 € à titre de rappel de salaire sur coefficient applicable et incidence des congés payés ;
-21. 550 € à titre de paiement des primes contractualisées, ainsi que les congés payés y afférents, soit 2. 155 € ;
-1. 757 € à titre de solde de congés payés ;
-1. 800 € au titre des remboursements du forfait de frais ;
-6. 506 € à titre de remboursement des frais avancés par le salarié pour le compte de son employeur et du remboursement du DIF ;
-2. 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses observations écrites développées oralement à l'audience, la HALDE expose que la concomitance entre la révélation par le salarié de son transexualisme et la procédure engagée par l'employeur, établie par l'enquête à laquelle elle a procédé, révèle que l'attitude de l'employeur et son choix d'évincer le salarié, ne sont fondés que sur son changement de sexe ; que les arguments soulevés par la société KALIOP concernant les faits reprochés à son salarié ne permettent pas de justifier le licenciement par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Elle conclut que le licenciement doit être déclaré nul en application des articles L 1132-1 et L 1142-1 du Code du travail, tout en indiquant avoir pris note que le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre antérieure à la notification de son licenciement du fait des agissements discriminatoires de la société KALIOP à son égard.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de rappel de salaire

Le salarié revendique un salaire qui ne soit pas inférieur aux minima conventionnels correspondant au coefficient 270 et sollicite en conséquence le paiement d'un rappel de salaire pour toute la période d'exécution du contrat de travail, ainsi qu'un complément d'indemnité de préavis.

Le contrat de travail stipule que M. Y... est engagé en qualité de Directeur du développement et Directeur administratif et financier, position 3. 3 au coefficient 270, que cet emploi relève de la catégorie Cadre et que le contrat est régi par les dispositions de la convention collective des Bureaux d'Etudes Techniques (3018).

C'est la même position Cadre 3. 3 et le même coefficient 270 qui apparaissent sur les bulletins de paie du salarié jusqu'au mois d'août 2006 compris. Il n'est pas contesté que c'est unilatéralement, sans l'accord du salarié, que l'employeur a ensuite porté, à compter du 1er septembre 2006, le coefficient 202 sur les bulletins de paie, bien que ce coefficient ne soit pas prévu dans la convention collective et que la position 3. 3 (correspondant normalement au coefficient 270) continue à figurer sur les fiches de paie.
L'employeur ne peut sérieusement soutenir que, de par sa position, le salarié lui aurait imposé le coefficient 270, alors que ce coefficient résulte du contrat de travail lui-même, lequel par hypothèse a été négocié à un moment où M. Y... n'était que candidat au poste, étant d'ailleurs précisé que l'employeur ne dément pas l'indication apportée par le salarié selon laquelle l'employeur était alors assisté d'un cabinet d'avocat dont il cite le nom (lequel cabinet a conseillé l'employeur et assuré la rédaction du contrat).

L'employeur a encore soutenu que le coefficient 270 ne correspondrait pas aux responsabilités exercées par le salarié dans l'entreprise.

Or, à cet égard, l'Annexe II de la Classification des Ingénieurs et Cadres de la Convention Collective Nationale des BUREAUX d'ETUDES TECHNIQUES (3018) du 15 décembre 1987 énonce :
Position 3 :
Coefficients hiérarchiques : 170.
3. 1. Ingénieurs ou cadres placés généralement sous les ordres d'un chef de service et qui exercent des fonctions dans lesquelles ils mettent en oeuvre, non seulement des connaissances équivalant à celles sanctionnées par un diplôme, mais aussi des connaissances pratiques étendues sans assurer, toutefois, dans leurs fonctions, une responsabilité complète et permanente qui revient en fait à leur chef.
Coefficients hiérarchiques : 210.
3. 2. Ingénieurs ou cadres ayant à prendre, dans l'accomplissement de leurs fonctions, les initiatives et les responsabilités qui en découlent, en suscitant, orientant et contrôlant le travail de leurs subordonnés. Cette position implique un commandement sur des collaborateurs et cadres de toute nature.
Coefficients hiérarchiques : 270.
3. 3. L'occupation de ce poste, qui entraîne de très larges initiatives et responsabilités et la nécessité d'une coordination entre plusieurs services, exige une grande valeur technique ou administrative.

M. Y... ayant été engagé comme Directeur du Développement et Directeur Administratif et Financier, avec cette précision que dans la pratique il exerçait également les fonctions d'un Directeur des ressources humaines, celui-ci avait nécessairement des fonctions transversales, devant assurer la coordination de plusieurs services. Ses responsabilités étaient importantes puisque le contrat de travail rappelait, en préambule, qu'il « a, par nature, une fonction d'engagement et de prises d'initiatives pour accompagner la société KALIOP dans son développement et sa croissance ». Comme Directeur du développement, il devait « encadrer l'élaboration et la mise en œ uvre de la stratégie de développement de la société ». Comme Directeur administratif et financier, ses missions étaient très étendues, au nombre desquelles il convient de citer : « l'élaboration du plan des investissements de l'entreprise, les relations avec les banques et les différents partenaires financiers, le contrôle de la comptabilité de l'entreprise et de sa situation fiscale, les relations avec les pouvoirs publics, l'élaboration des dossiers de financement et la recherche d'aides publics ou privés … »

Le coefficient et la position qui lui ont été attribués par son contrat de travail correspondent donc bien aux responsabilités qu'il exerçait dans l'entreprise.

Aussi le salarié est-il fondé à solliciter l'adéquation de son salaire avec les minima conventionnels correspondant à ce coefficient et à cette position.

La demande de rappel de salaire est fondée en son principe. Un décompte conforme a été produit par l'employeur pour toute la période concernée, soit du 1er juin 2005 au 15 février 2007, date d'expiration du préavis (y compris maintien du salaire à 100 % pendant la période d'arrêt maladie du 21. 9 06 au 15. 10. 06), soit un rappel de salaire de 26. 140, 91 € bruts (en ce compris l'indemnité compensatrice de congés payés).

Sur la demande en paiement de primes d'objectifs

Le contrat de travail en son article 7 « objectifs et prime sur objectifs » prévoyait qu'« à compter de l'exercice 2006/ 2007, il sera mis en place un dispositif rémunérant le dépassement d'objectif qui sera négocié en fonction des résultats comptables de l'exercice précédent, ainsi que pour la deuxième année uniquement, en fonction des outils de gestion mis en place au cours de la première année, le tout sur les bases financières déterminées dans le tableau annexé au présent contrat ». Une annexe 1, intitulée « Rémunération variable » était effectivement joint au contrat sous forme de tableau.

Le salarié qui sollicite au titre de sa rémunération variable une somme de 9. 670 € pour l'exercice 2005/ 2006 et une somme de 11. 880 € pour l'exercice 2006/ 2007, ne peut toutefois prétendre à une quelconque prime sur objectif au titre de l'exercice 2005/ 2006 dès lors que le contrat ne prévoit la mise en place d'un tel dispositif de rémunération des dépassements d'objectifs qu'à compter de l'exercice 2006/ 2007.

Concernant la prime afférente à cet exercice 2006/ 2007, le salarié a produit aux débats, pour en justifier, un tableau se référant aux bases de calculs figurant dans l'annexe 1 du contrat de travail précitée et duquel il ressort un dépassement effectif des objectifs. L'employeur qui ne peut contester le caractère contractuel de cette rémunération variable, se borne à dénier toute valeur au calcul produit, sans apporter aucun démenti justifié quant aux chiffres avancés par le salarié ou quant à la méthode de calcul utilisée. Il convient en conséquence de faire droit à la demande du salarié en paiement de la somme de 11. 880 € au titre de la prime sur objectifs contractuellement due pour l'exercice 2006/ 2007.

Sur la demande de remboursement de frais forfaitaire

Il est justifié par la production des relevés bancaires du salarié du virement par la société KALIOP de « frais contractuels » d'un montant forfaitaire de 300 € par mois jusqu'au mois d'août 2006 inclus. Cela correspond dans la pratique de l'entreprise à l'alinéa 1 de l'article 8 du contrat de travail prévoyant la remise au salarié d'une carte de crédit affaire plafonné à 300 €. L'employeur n'apporte aucune justification à la cessation à compter du 1er septembre 2006 de ce règlement forfaitaire mensuel. Il convient dès lors de faire droit à la demande de rappel formée par le salarié jusqu'à la fin du contrat de travail, soit la somme de (300x5, 5) 1. 650 €.

Sur le remboursement de frais exposés à l'occasion de formations professionnelles

Si des actions de formation professionnelle ont effectivement été suivies par le salarié, lesquelles ont été, ainsi qu'il en est justifié, réglées par l'employeur, le salarié ne produit par contre nullement la justification des frais qu'il aurait personnellement exposés. Il convient en conséquence de le débouter de ce chef de demande.

Sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Le contrat étant rompu dès la prise d'acte, peu importe qu'un licenciement intervienne ultérieurement, celui-ci devant alors être considéré comme non avenu.

En l'espèce, il est constant que si la société KALIOP a, le 16 octobre 2006, adressé à son salarié une lettre de convocation à un entretien préalable, ce dernier notifiait à son employeur dès le 20 octobre 2006 une lettre recommandée ainsi libellée : « Vous ne souhaitez plus me voir sur mon lieu de travail. Je prends en conséquence acte de la rupture ».

La rupture du contrat de travail était dès lors consommée et définitive dès le 20 octobre 2006, peu importe que par la suite l'employeur ait effectivement notifié à son salarié un licenciement par lettre du 14 novembre 2006 à la suite d'un entretien préalable qui s'est tenu le 27 octobre 2006. Le premier juge ne pouvait donc ignorer cette rupture, pour ne se livrer qu'à l'examen de la légitimité du licenciement.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail à raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, le salarié incrimine, en premier lieu, le fait que son employeur ne souhaitait plus le voir sur son lieu de travail à raison de motifs discriminatoires et, d'une façon générale, incrimine le comportement que l'employeur a adopté à l'annonce par le salarié de son changement d'apparence physique et de genre. Il fait également grief à son employeur d'avoir modifié son coefficient hiérarchique de manière unilatérale et enfin le fait que son employeur a commis d'autres manquements salariaux, tels que le défaut de paiement de frais et de primes contractuelles, dont il demande par ailleurs le règlement dans le cadre de la présente instance.

Aux termes de l'article L 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi no2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son origine, de son sexe, de ses m œ urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L 1134-1 dudit Code énonce que, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi no2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il est constant, en l'espèce, qu'à l'issue de ses congés annuels et alors qu'il devait reprendre le travail le 11 septembre 2006, le salarié sollicitait par téléphone une entrevue avec son employeur en la personne du gérant, M. X.... Il n'est pas contesté non plus qu'au cours de cet entretien qui se déroulait à l'extérieur de l'entreprise, le salarié annonçait à son employeur sa transidentité et son choix de vivre désormais en accord avec le genre correspondant à son ressenti intérieur, à savoir une identité féminine.

S'il n'est pas formellement établi que le gérant de la société KALIOP ait expressément demandé à son salarié de prendre des congés et de rester chez lui, comme le soutient le salarié (notamment dans un courriel adressé à ses collègues le 19 septembre 2006), il est constant par contre que tous les entretiens qui se sont déroulés les 13, 16 et 18 septembre 2006, certains en la présence de l'associé du gérant, M. Z..., se sont tenus à l'extérieur de l'entreprise. Il ne peut être contesté non plus qu'un départ négocié a été envisagé au cours de ces entretiens, même si chacune des parties en impute à l'autre l'initiative, le salarié indiquant que le gérant, sous le choc, lui avait annoncé sa décision de rompre son contrat de travail (cf. courriel du 19 septembre 2006), tandis que l'employeur indique dans ses écritures que le salarié lui aurait dit vouloir « retrouver un nouveau job sous son apparence féminine ».

Il est constant toutefois que les tractations en vue d'un départ négocié n'ont pas abouti, puisque, d'une part, l'employeur adressait à son salarié une lettre recommandée datée du 19 septembre 2006 le mettant en demeure de justifier de son absence depuis le 11 septembre ou de reprendre son travail et que, d'autre part, alors qu'il ne devait recevoir qu'ultérieurement ce courrier, le salarié se présentait spontanément sur son lieu de travail le 20 septembre au matin.

Or il résulte des débats que ce jour-là, alors que le salarié arrivait dans l'entreprise et qu'il se trouvait encore dans le hall de l'immeuble abritant la société, un échange verbal avait lieu avec le gérant, M. X..., venu à sa rencontre. Le salarié indiquera, comme il l'a relaté dans une déclaration au Commissariat de police, dont l'extrait de la main courante est versé aux débats, que M. X... qui, prévenu de son arrivée, était descendu à sa rencontre, s'est littéralement rué sur lui, et lui a hurlé « … dégage ! tire-toi » et l'a poussé avec violence dans la rue. L'employeur, de son côté, contestera tout acte de violence. La seule personne qui a pu être témoin des faits, à savoir M. Z... associé du gérant, atteste, en substance, qu'elle était suffisamment près pour affirmer que « la description des faits par M. Y... est très exagérée » et qu'elle était trop loin pour « entendre la teneur de la discussion ». Il est pour le moins curieux, en tout cas, que la conversation qui aurait dû normalement avoir pour thème la reprise de travail du salarié ne se soit pas déroulée dans le bureau du gérant ou dans celui du salarié, mais, dès son arrivée, dans le hall de l'immeuble sans qu'il puisse préalablement accéder à son lieu habituel de travail.

Il est constant, ainsi que cela résulte d'un procès-verbal de constat, que c'est accompagné d'un huissier de Justice qu'une ou deux heures plus tard, le salarié pourra rejoindre son poste de travail. Le salarié constatera toutefois qu'il ne peut accéder à tous les outils et à toutes les informations habituellement mis à sa disposition, plusieurs codes ayant été changés. L'employeur invoquera dans ses écritures, s'agissant du code d'accès aux comptes bancaires, un changement trimestriel pour des raisons de sécurité, sans indiquer pourquoi celui-ci, eu égard à sa position et à ses responsabilités de Directeur du Développement et de Directeur administratif et financier ne s'est pas vu immédiatement communiquer les codes modifiés à son retour dans l'entreprise.

Il est constant que le 21 septembre 2006, le salarié fut placé en arrêt de travail pour « syndrome dépressif réactionnel » par son médecin traitant jusqu'au 29 septembre 2006, arrêt ensuite prolongé jusqu'au 15 octobre 2006.

Au jour prévu pour la reprise, soit le 16 octobre 2006, le salarié se voyait remettre une lettre de convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire à compter du même jour.

Cette lettre portait la date du « 18 septembre 2006 ». Si l'employeur invoque une erreur de plume, force est néanmoins de constater que le motif figurant en « objet », à savoir « Votre absence depuis le 11 septembre 2006 » était d'actualité le 18 septembre 2006, mais ne l'était plus lors de la remise de cette lettre le 16 octobre 2006, puisque, entre-temps, le salarié avait repris le travail le 20 septembre 2006 et se trouvait régulièrement en arrêt de travail médicalement justifié depuis le 21 septembre 2006.

Ce n'est qu'ultérieurement, après avoir reçu la lettre de prise d'acte de rupture du salarié du 20 octobre 2006, que l'employeur, dans un courrier du 26 octobre 2006, entendra expliquer que la convocation à l'entretien fixé au lendemain 27 octobre 2006 était motivée par des fautes de gestion révélées par l'audit d'un cabinet d'expertise-comptable.

En tout cas, la mise à pied à titre conservatoire infligée le 16 octobre 2006, si elle ne peut manifestement pas se justifier par l'absence depuis le 11 septembre mentionnée en objet du courrier, ne l'est pas davantage par les erreurs de gestion qui seront invoquées par la suite. Force est de constater en effet que le salarié ne sera pas licencié pour « faute grave » nécessitant l'éviction immédiate du salarié, sans préavis, mais uniquement à raison d'une faute simple (cf. lettre de licenciement notifié le 14 novembre 2006 et règlement de l'indemnité de préavis par l'employeur), de sorte que la mise à pied conservatoire notifiée le 16 octobre 2006 s'est trouvée rétroactivement totalement injustifiée. Par ailleurs, et sans qu'il y ait lieu pour autant à analyser les griefs contenus dans cette lettre de licenciement, sa formulation même amoindrit considérablement le sérieux que les manquements invoqués pouvaient représenter dans l'esprit de l'employeur lui-même, puisqu'il énonce : « Lors de notre entretien du 27 octobre dernier, auquel vous vous êtes présenté accompagné de M. Olivier A..., conseiller du salarié, nous vous avons fait part des motifs du licenciement que nous envisagions. Entre temps, vous avez reçu une convocation devant le médecin du travail pour le 31 octobre 2006, qui vous a déclaré apte, ce qu'il nous a confirmé dans un courrier du 3 novembre 2006. En raison de cette aptitude, nous avons à nouveau réfléchi aux motifs du licenciement envisagé … ».

Dans ces conditions, la mise à pied conservatoire qui est infligée le jour même où le salarié devait reprendre le travail, ne pouvait s'expliquer, à la lumière du comportement précédemment adopté par l'employeur notamment au cours de la journée du 20 septembre relatée plus haut, que par la volonté de l'employeur de s'opposer à ce que le salarié puisse accéder à nouveau à son poste de travail.

En tout cas, l'employeur ne rapporte pas la preuve, au sens de l'article 1134-1 du Code du travail, que cette sanction et le comportement général qu'il a adopté à l'égard du salarié, desquels il est résulté l'impossibilité pour ce dernier de reprendre normalement son travail, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, alors qu'il est constant que le salarié avait à la mi-septembre 2006 officiellement annoncé à son employeur sa transidentité et son choix de changer d'apparence physique et de genre.

Il s'ensuit que la prise d'acte de rupture fondée sur de tels actes et comportement discriminatoires de la part de l'employeur, était justifiée. La prise d'acte de rupture était également justifiée, dès lors que le salarié a pu, à juste raison, comme cela a été indiqué plus haut, faire le reproche à son employeur d'avoir modifié unilatéralement son coefficient hiérarchique lequel constitue un élément de sa rémunération et de l'avoir rémunéré en dessous des minima conventionnels. Cette prise d'acte de rupture, dès lors qu'elle est motivée au moins en partie, par des agissements discriminatoires de la part de l'employeur, produit les effets d'un licenciement nul, par application des dispositions de l'article 1132-4 du Code du travail.

Alors qu'aucune réintégration n'est demandée et que le salarié a au contraire notifié par la prise d'acte de rupture l'impossibilité dans laquelle il était placé de poursuivre le travail, il convient de l'indemniser de son préjudice, lequel, quand bien même le salarié n'avait pas deux ans d'ancienneté au jours de la rupture (17 mois), ne peut être inférieur à l'indemnité prévue à l'article L1235-3 du Code du travail, soit aux salaires des six derniers mois. La rémunération mensuelle du salarié s'établissant à 4. 765, 50 € (correspondant à son coefficient hiérarchique 270), la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la rupture de son contrat de travail à la somme de 30. 000 €

Il est équitable au sens de l'article 700 du Code de procédure civile d'allouer au salarié une indemnité à titre de participation aux frais, non compris dans les dépens, qu'il a dû exposer pour assurer sa défense.

La société KALIOP qui succombe à l'instance, sera déboutée de la demande d'indemnité qu'elle a formée sur le même fondement et sera tenue aux dépens.

DECISION

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

Reçoit la HALDE en son intervention volontaire ;

Dit que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par le salarié produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société KALIOP à verser à Baptiste Y..., connu sous le nom de Clarisse Y..., les sommes de :
-30. 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;
-26. 140, 91 € bruts à titre de rappel de salaire et de complément d'indemnité compensatrice de préavis, en ce inclus l'indemnité compensatrice des congés payés y afférents ;
-11. 880 € bruts à titre de rappel de primes d'objectifs
-1. 650 € nets à titre de remboursement forfaitaire de frais ;
-1. 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile (en ce compris l'indemnité déjà allouée par le premier juge sur le même fondement) ;

Déboute Baptiste Y..., connu sous le nom de Clarisse Y... de ses demandes plus amples ou contraires et la société KALIOP de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société KALIOP aux dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Numéro d'arrêt : 06/01812
Date de la décision : 03/06/2009

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Montpellier


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2009-06-03;06.01812 ?
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