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01/04/2005 | FRANCE | N°04-CRD-039

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 01 avril 2005, 04-CRD-039


IRRECEVABILITE du recours incident de M. X... et REJET du recours formé par l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 31 mars 2004 qui a alloué à M. Jean-Bernard X... une indemnité de 275 630,32 euros en réparation de son préjudice matériel, corporel et moral sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par décision du 31 mars 2004, le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à M. X..., en réparation

du préjudice qu'il a subi à raison d'une détention provisoire de sept mois ...

IRRECEVABILITE du recours incident de M. X... et REJET du recours formé par l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 31 mars 2004 qui a alloué à M. Jean-Bernard X... une indemnité de 275 630,32 euros en réparation de son préjudice matériel, corporel et moral sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par décision du 31 mars 2004, le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à M. X..., en réparation du préjudice qu'il a subi à raison d'une détention provisoire de sept mois (deux cent dix jours), effectuée du 16 février 1991 au 16 septembre 1991, les sommes de 255 630,32 euros au titre de son préjudice matériel, 10 000 euros au titre de son préjudice corporel et 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a régulièrement formé le 16 avril 2004 un recours contre cette décision pour obtenir une réduction des indemnités allouées en réparation des préjudices matériel et moral et le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice corporel ;

Attendu que M. X..., qui n'a pas formé de recours, demande à la Commission de lui allouer les sommes qu'il avait réclamées devant le premier président soit 1 431 000 euros au titre de son préjudice économique et 150 000 euros au titre de ses préjudices moral et corporel ;

Attendu que M. X... n'a pas saisi la Commission d'un recours personnel dans le délai imposé par l'article 149-3 du Code de procédure pénale et dans les formes exigées par l'article 40-4 du même Code ; que, par suite, les demandes formées par l'intéressé, dans l'instance introduite par le seul recours de l'agent judiciaire du Trésor, sont irrecevables ;

Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;

Sur le préjudice économique :

Attendu qu'après avoir constaté que, du fait de son incarcération, le requérant avait développé un état dépressif et une hyperthyroïdie basedowienne qui l'avaient empêché de reprendre son activité professionnelle de chirurgien et qu'il avait été reconnu invalide à compter du 13 mai 1994, le premier président a alloué à M. X... en réparation de son préjudice économique une indemnité de 255 630,32 euros correspondant, après déduction des revenus de substitution qu'il a perçus, au montant de salaires nets qu'il aurait gagnés jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans auquel il aurait pu prendre sa retraite ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor estime que l'indemnité allouée est trop importante alors, en premier lieu, que la détention provisoire n'est pas à elle seule à l'origine des affections ayant empêché M. X... de reprendre une activité professionnelle, en second lieu, que rien n'établit que M. X..., qui a d'ailleurs pris sa retraite en 1999, aurait pu maintenir ses revenus professionnels jusqu'en 2004, en troisième lieu, que le revenu pris en compte était supérieur à celui effectivement perçu par M. X... et, enfin, que le premier président n'a déduit de l'indemnité allouée ni les impôts que l'intéressé aurait dû acquitter ni l'indemnité qu'il a perçue de sa compagnie d'assurance au titre de son incapacité de travail ;

Attendu que M. X... soutient d'abord que le lien de causalité entre les affections invalidantes qu'il présente et la détention est établi par les pièces médicales versées aux débats, ensuite que le mode de calcul du préjudice adopté par le premier président n'est pas critiquable et enfin que l'indemnité contractuelle garantissant le paiement des frais professionnels en cas d'incapacité, versée par la compagnie d'assurance en contrepartie des primes n'avait pas à être déduite ;

Attendu qu'il résulte d'une expertise judiciaire réalisée en 1993 par le professeur J.. que M. X... présentait un état dépressif et une hyperthyroïdie basedowienne consécutifs au stress de son incarcération ; que cet expert a certes estimé que M. X... pouvait reprendre une activité professionnelle à temps partiel en mars 1993 mais que la Caisse autonome des médecins français, qui l'a fait examiné par la suite a estimé que l'intéressé devait être placé en invalidité à partir du mois de mai 1994 ; que c'est donc à bon droit que le premier président a retenu que le lien de causalité entre l'invalidité totale de M. X... et l'incarcération était établi, peu important l'incidence éventuelle sur son état de santé de la longueur de la procédure d'instruction clôturée en 2002 par une ordonnance de non-lieu ;

Attendu qu'il est certes établi que M. X..., né le 24 avril 1939, a bénéficié d'une pension de retraite en 1999 à l'âge de soixante ans, mais qu'eu égard au montant de la pension de retraite, supérieur à celui de la pension d'invalidité et compte tenu de l'activité professionnelle de chirurgien orthopédiste qu'il exerçait et des usages en vigueur dans cette profession, le premier président a pu admettre que l'intéressé aurait pu poursuivre son activité jusqu'en 2004 ; qu'en tout cas du fait des séquelles de sa maladie contractée à la suite de son incarcération il a perdu une chance certaine de pouvoir percevoir jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans des revenus professionnels dont les montants ne pouvaient qu'être supérieurs à ceux perçus en 1990 ;

Attendu que c'est par une juste appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que le premier président, prenant en compte les revenus déclarés par M. X... au cours des trois années précédant son incarcération, mais également le redressement fiscal dont il avait fait l'objet, a évalué à 22 000 francs (3 353,88 euros) par mois pendant toute la période de treize ans indemnisée, sans revalorisation, le revenu net mensuel perçu par l'intéressé et qu'après déduction des indemnités journalières perçues pendant la période d'incapacité temporaire, de la pension d'invalidité perçue à partir du 13 mai 1994 et de la pension de retraite perçue à compter du 1er juillet 1999, il a fixé à 255 630,32 euros le montant de son préjudice économique ; que c'est également à juste titre qu'il n'a pas déduit de ce montant, d'une part, les impôts éventuellement dûs par M. X... après perception de l'indemnité et, d'autre part, les sommes versées par la compagnie d'assurance Médicale de France, en contrepartie des primes payées, au titre du contrat d'assurance de personne garantissant le paiement de diverses sommes pendant la période d'interruption totale de l'activité professionnelle, qui n'ont pas un caractère indemnitaire ;

Sur le préjudice corporel :

Attendu que le premier président a retenu que les affections dont souffre M. X... avaient provoqué un préjudice corporel qu'il a évalué à 10 000 euros en se fondant sur le rapport d'expertise du professeur J.. ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor estime que ce rapport d'expertise est insuffisant pour démontrer que les maladies apparues pendant la détention provisoire ont été à l'origine d'un préjudice particulier, distinct du préjudice économique ;

Attendu que M. X... soutient que les manifestations des affections dont il est atteint, décrites dans le rapport d'expertise, établissent incontestablement l'existence d'un préjudice corporel ;

Attendu qu'il résulte du certificat médical du 20 septembre 2004 du docteur Y..., neuropsychiatre et psychanalyste, que l'état anxio-dépressif mélancoliforme dont M. X... est atteint a laissé comme séquelles une altération régressive de la personnalité avec chute de l'état vital, vécu péjoratif de l'existence, tendance à l'auto-dévaluation, hypothéquant gravement son engagement dans la vie familiale et socioprofessionnelle ; que ces difficultés d'adaptation à la vie sociale avaient déjà été relevées par l'expert J.. en 1993 ;

Attendu qu'il existe bien un état séquellaire, constitutif d'une atteinte permanente et définitive à l'intégrité psychique de M. X..., qui a justement été indemnisé pour un montant de 10 000 euros par le premier président ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que, pour fixer à 10 000 euros l'indemnité réparatrice du préjudice moral, le premier président a notamment retenu le retentissement dans la presse locale de l'incarcération du requérant qui exerçait la profession du chirurgien orthopédiste et se livrait à des activités politiques et le fait qu'il n'avait jamais été incarcéré précédemment ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor soutient que c'est à tort que la décision attaquée a tenu compte du retentissement médiatique de cette affaire, en faisant en outre observer que M. X... avait lui-même recouru aux médias ;

Attendu que M. X... soutient qu'abstraction faite de la prise en compte de l'impact médiatique de l'incarcération, le préjudice moral qu'il a subi est très important, eu égard, notamment, à la souffrance psychologique et physique qu'il a endurée en étant incarcéré dans des conditions matérielles d'inconfort pour une accusation extrêmement grave ;

Attendu que l'article 149 du Code de procédure pénale ne répare que le préjudice moral et matériel causé par la détention ; qu'il s'ensuit que n'entrent pas dans le champ d'application de ces dispositions spécifiques les dommages résultant de la publication d'articles de presse mettant en cause le demandeur, même s'ils relatent son arrestation, sa mise en détention et son incarcération ;

Attendu que, compte tenu de l'âge de l'intéressé (cinquante-deux ans) au moment de son incarcération, de la durée de sa détention (sept mois), des conditions éprouvantes de celle-ci, liées aux troubles de santé, aggravés par son incarcération et ayant notamment entraîné une perte de poids de 15 kg, du retentissement de celle-ci sur sa réputation professionnelle, le montant de l'indemnité fixée par le premier président est de nature à réparer l'intégralité du préjudice moral qu'il a subi ;

Par ces motifs :

DECLARE le recours incident de M. Jean-Bernard X... irrecevable ;

REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 04-CRD-039
Date de la décision : 01/04/2005
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité et rejet

Analyses

1° REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Réparation - Préjudice économique - Perte de salaires due à l'impossibilité de reprendre un travail à la suite d'une maladie contractée pendant la détention.

1° REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Réparation - Préjudice corporel - Atteinte permanente et définitive à l'intégrité psychique due à une maladie contractée pendant la détention.

1° L'impossibilité de reprendre un travail à la suite de maladie contractée pendant une détention provisoire doit être indemnisée au titre du préjudice économique en cas de perte de salaire, et au titre du préjudice corporel s'il subsiste une atteinte permanente et définitive à l'intégrité psychique.

2° REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Evaluation - Déduction de sommes à caractère non indemnitaire versées par une compagnie d'assurance (non).

2° Les sommes n'ayant pas un caractère indemnitaire qui sont payées par une compagnie d'assurance en contrepartie de primes versées au titre d'un contrat d'assurance de personnes n'ont pas à être déduites de l'indemnité allouée en réparation du préjudice économique.


Références :

Code de procédure pénale 149, 150

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 31 mars 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 01 avr. 2005, pourvoi n°04-CRD-039, Bull. civ. criminel 2005 CNRD N° 4 p. 11
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2005 CNRD N° 4 p. 11

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Canivet
Avocat général : Avocat général : M. Finielz.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Gueudet.
Avocat(s) : Avocats : Me Couturier-Heller, Me Chatelain.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.CRD.039
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