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20/03/2024 | FRANCE | N°52400320

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 20 mars 2024, 52400320


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


JL10






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 20 mars 2024








Cassation




Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 320 F-D


Pourvoi n° A 22-13.129








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 MARS 2024


M. [D] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-13.129 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-e...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 mars 2024

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 320 F-D

Pourvoi n° A 22-13.129

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 MARS 2024

M. [D] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-13.129 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société Milee, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Adrexo, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [U], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Milee, anciennement dénommée société Adrexo, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 janvier 2022), M. [U] a été engagé, en qualité de distributeur de journaux, le 6 janvier 2001 par la société Adrexo, désormais dénommée la société Milee. Par avenant du 20 juin 2005, il a été prévu un temps partiel modulé, avec une durée indicative mensuelle moyenne de travail variable selon un planning de 52 heures.

2. Le salarié a été élu délégué du personnel en mai 2016 pour une durée de quatre ans.

3. Un accord d'entreprise, signé le 4 juillet 2016, a prévu la mise en place d'un système d'enregistrement et de contrôle du temps de travail des distributeurs par géolocalisation.

4. Le salarié a refusé de signer l'avenant à son contrat de travail destiné à la mise en oeuvre de cet accord.

5. Par lettre du 22 septembre 2017, il a été dispensé d'activité, avec maintien de sa rémunération, et convoqué à un entretien préalable. Par lettre du 15 décembre 2017, l'employeur a indiqué qu'il mettait fin à la procédure disciplinaire et a invité le salarié à reprendre le travail. Par lettre du 9 janvier 2018, l'employeur a mis en demeure le salarié, qui n'avait pas repris son activité, de la reprendre en respectant la nouvelle organisation de contrôle du temps de travail de distribution.

6. Le 10 janvier 2018, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat puis a saisi la juridiction prud'homale en lui demandant de juger que cette prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt d'analyser sa prise d'acte en une démission et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché ; que l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, le salarié faisait valoir que la mise en place d'un système de géolocalisation n'était pas le seul moyen possible, pour l'employeur, de contrôler le temps de travail des distributeurs puisque, depuis toujours, la société Adrexo exigeait de ses distributeurs des comptes rendus d'activité et leur remettait des feuilles de route à cet effet ; qu'en jugeant que le système Mobibox était licite, sans caractériser que le système de géolocalisation mis en oeuvre par l'employeur était le seul moyen permettant d'assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :

8. Selon ce texte, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

9. Il en résulte que l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace, et n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail.

10. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt énonce que l'accord d'entreprise conclu pour fixer les modalités d'enregistrement et de contrôle du temps de travail des distributeurs, prévoit que chacun de ceux-ci dispose d'un boîtier portatif destiné à enregistrer pendant sa tournée, son temps de distribution ainsi que les coordonnées GPS de chacune de ses actions sur le dispositif (démarrage ; mise en pause ; reprise ; fin).

11. Il relève ensuite, d'une part, que selon son contrat de travail, le salarié est soumis à un temps partiel modulé avec une durée indicative mensuelle moyenne de travail variable selon le planning de 52 heures, de sorte que la durée du travail est contractuellement convenue et ne relève pas de la seule volonté du salarié, et, d'autre part, que l'accord d'entreprise prévoit que les distributeurs fixent librement leurs horaires de travail à l'intérieur des jours habituels de distribution et du délai maximum alloué pour la réalisation de la prestation, sans lui imposer d'accomplir des horaires de travail, de sorte que le salarié dispose d'une liberté relative consistant à fixer ses horaires pendant les temps de distribution, préalablement définis par l'employeur.
12. L'arrêt retient enfin que le salarié demeure donc libre d'organiser ses heures de travail comme il le souhaite, dans le respect des règles légales et des délais de distribution, dès lors que le salarié ne déclenche le boîtier que par une action volontaire, et uniquement pendant ses phases de distribution, qu'il peut l'éteindre à tout moment, qu'une fois désactivé durant les phases non travaillées, le boîtier ne capte ni n'émet aucun signal, et que l'exploitation de ses données est systématiquement différée et transmise à la société au plus tôt le lendemain du jour de distribution et d'enregistrement.

13. Il en déduit que le système de géolocalisation, utilisé uniquement pour la phase de distribution, n'est pas incompatible avec l'autonomie relative du distributeur et ne contrevient pas à la libre organisation de son temps de travail.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le système de géolocalisation mis en oeuvre par l'employeur était le seul moyen permettant d'assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

15. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'employeur ne peut tenter d'imposer par voie de pressions et d'intimidations aucune modification du contrat de travail ni aucun changement des conditions de travail d'un salarié protégé ; qu'il doit recueillir l'autorisation de l'inspecteur du travail ; qu'en l'espèce, il était constant que le salarié avait été élu délégué du personnel au mois de mai 2016 pour une durée de quatre ans ; qu'il était tout aussi constant que la société Adrexo, après lui avoir remis en octobre 2016 un avenant à son contrat de travail en vue de recueillir son acceptation quant à l'utilisation d'un boîtier mobile intégrant un système de géolocalisation, de surcroît de nature à impacter sa rémunération, ce qu'il avait refusé, avait réitéré sa demande d'accord, qui s'était heurtée à un nouveau refus, avait menacé le salarié de poursuites disciplinaires en août 2017, qu'après qu'il avait de nouveau maintenu sa position, la société avait ensuite engagé une procédure de licenciement en septembre 2017, ultérieurement abandonnée, n'avait jamais sollicité l'autorisation de l'inspection du travail en dépit des refus réitérés du salarié d'accepter de signer un avenant, mais avait persisté à vouloir lui imposer la mise en place de ce nouveau système de contrôle de son temps de travail et de son activité, outre une baisse de sa rémunération, en le mettant formellement en demeure, le 9 janvier 2018, de reprendre son poste en respectant la mise en place, et ses conséquences financières, du système de géolocalisation en question ; qu'en se bornant à relever que l'accord d'entreprise du 4 juillet 2016, en application duquel l'employeur avait sollicité l'accord du salarié pour l'utilisation d'un système de géolocalisation, était valable, et que la baisse de sa rémunération en découlant était minime, sans à aucun moment rechercher, comme elle y était invitée, si les circonstances ayant précédé la prise d'acte ne caractérisaient pas des menaces et des pressions de l'employeur pour échapper au contrôle de l'inspection du travail et, partant, n'étaient pas de nature à justifier la rupture du contrat de travail par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1104 du code civil et des articles L. 2411-1 et suivants du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2411-1, L. 2411-3 et L. 2411-8 du code du travail :

16. Il résulte de ces textes qu'aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un représentant du personnel et qu'il incombe à l'employeur, en cas de refus du salarié d'accepter la modification ou le changement litigieux, d'obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail de rompre le contrat de travail.

17. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient d'abord que l'employeur est fondé à mettre en place le système de géolocalisation destiné à contrôler la durée du travail, prévu par l'accord d'entreprise du 4 juillet 2016, qui s'applique à tous les distributeurs, en sorte que le manquement allégué par le salarié de ce chef n'est pas établi.

18.Il relève ensuite que la baisse de sa rémunération, par la suppression d'un prime de 5 euros, eu égard à la modicité des sommes en jeu, n'est pas suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

19. Il en déduit que la prise d'acte produit les effets d'une démission.

20. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, suite aux refus du salarié de signer l'avenant à son contrat de travail prévoyant la remise du matériel de géolocalisation, au motif qu'il portait atteinte à sa personne et à ses libertés, l'employeur avait convoqué celui-ci à un entretien préalable, en le dispensant d'activité avec maintien de sa rémunération, avant de renoncer à cette procédure disciplinaire, puis l'avait mis en demeure de reprendre son poste et de respecter la nouvelle organisation de contrôle du temps de travail de distribution, sans rechercher, comme il lui était demandé, si ces circonstances ne caractérisaient pas des pressions de l'employeur en vue d'échapper à l'intervention de l'inspection du travail et n'étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Milee, anciennement dénommée société Adrexo, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Milee, anciennement dénommée société Adrexo, et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400320
Date de la décision : 20/03/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 13 janvier 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 20 mar. 2024, pourvoi n°52400320


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400320
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