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22/10/2007 | FRANCE | N°C3625

France | France, Tribunal des conflits, 22 octobre 2007, C3625


Vu, enregistrée à son secrétariat le 15 janvier 2007, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'une part Mlle A...B...et la Mutuelle des étudiants, d'autre part le département des Bouches-du-Rhône,

Vu le déclinatoire de compétence, présenté le 5 octobre 2005 par le préfet des Bouches-du-Rhône, qui tend à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente par les motifs que l'accident s'est produit dans une grotte appartenant au domaine dép

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Vu, enregistrée à son secrétariat le 15 janvier 2007, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'une part Mlle A...B...et la Mutuelle des étudiants, d'autre part le département des Bouches-du-Rhône,

Vu le déclinatoire de compétence, présenté le 5 octobre 2005 par le préfet des Bouches-du-Rhône, qui tend à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente par les motifs que l'accident s'est produit dans une grotte appartenant au domaine départemental de Roques Hautes ; que ce site a été aménagé et ouvert au public en application des dispositions des articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme ; qu'il fait l'objet d'actes de protection, de conservation et d'aménagement ; que des aménagements spéciaux y ont été réalisés ; que la réglementation et les décisions qui s'y sont appliquées sont constitutives à la fois d'une mission de service public de protection et d'une mission d'ouverture au public ; que le lieu d'accident a, dès lors, le caractère d'une dépendance du domaine public ; que l'action en responsabilité de la victime de l'accident ne peut être engagée que devant le juge administratif ;

Vu l'arrêt en date du 23 novembre 2006 par laquelle la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, d'une part, rejeté le déclinatoire de compétence présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône, d'autre part sursis à statuer ;

Vu l'arrêté du 14 décembre 2006 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a élevé le conflit ;

Vu les observations, enregistrées à la Cour d'appel le 29 décembre 2006, présentées par MlleB... ; elles tendent à l'annulation de l'arrêté de conflit ; Mlle B...soutient que les massifs forestiers n'appartiennent pas au domaine public ; qu'aucun aménagement spécifique n'a été réalisé dans le domaine des Roques Hautes ; qu'en tout état de cause, la grotte où s'est produit l'accident ne relève pas du domaine public ; que le site n'est aucunement affecté à un service public ;

Vu les observations, enregistrées à la Cour d'appel le 2 janvier 2007, présentées par le département des Bouches-du-Rhône ; elles tendent à la confirmation de l'arrêté de conflit ; le département soutient que la Cour n'a pas répondu à l'ensemble des moyens invoqués devant elle ; que l'aménagement spécial nécessaire pour reconnaître le caractère de domanialité publique peut être réalisé de manière diverse et légère ; que le site des Roques Hautes a fait l'objet d'aménagement tant en panneaux qu'en balisage de sentiers ; que le secteur est donc affecté à un service public de caractère touristique ; que des actes de puissance publique interviennent à plusieurs titres pour réglementer le domaine à fin de protection du massif forestier et sont distincts de mesures d'exploitation de celui-ci ;

Vu le mémoire, enregistré au Tribunal le 18 mai 2007, présenté par le ministre délégué aux collectivités territoriales ; il tend à la confirmation de l'arrêté de conflit ; le ministre soutient que le domaine a été aménagé en vue de la promenade et de la randonnée ; que l'établissement des itinéraires de randonnée incombe au département depuis la loi du 22 juillet 1983 ; que la loi a confié aux départements le service public de la protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non ; que, dès lors que le bien en question est lui-même l'objet du service public, il n'y a pas lieu de rechercher s'il a fait l'objet d'aménagements particuliers ; que le site relève, par conséquent, à double titre du régime de la domanialité publique ;

Vu le mémoire, enregistré au Tribunal le 29 juin 2007, présenté pour le département des Bouches-du-Rhône ; il tend à la confirmation de l'arrêté de conflit et à ce que la procédure engagée devant les tribunaux judiciaires par Mlle B...soit déclarée nulle et non avenue ; le département soutient que le site du domaine des Roques Hautes est affecté à l'usage direct du public ; que l'ouverture au public constitue la condition de l'existence juridique de l'espace naturel sensible ; que le site en litige était régi par deux arrêtés préfectoraux à fin de prévention des risques d'incendie et fait l'objet d'un plan intercommunal de débroussaillement et d'aménagement forestier ; que des sentiers y ont été réalisés et balisés et que des panneaux d'information ont été installés ; qu'il est de surcroît affecté aux besoins du service public administratif de protection de l'environnement, en application des articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme ; qu'en effet le site a fait l'objet de nombreuses mesures de protection ; qu'en tout état de cause, même si le terrain de relevait pas du régime de la domanialité publique, l'action en dommages et intérêts imputable à la mise en oeuvre d'une mission de service public relève du juge administratif ; que la responsabilité du département ne peut être éventuellement appréciée qu'au regard d'un défaut d'entretien spécifique aux contraintes du régime forestier auquel est soumis le site ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;

Vu l'ordonnance des 12 et 21 mars 1831 modifiée ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le code du domaine de l'Etat et le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code forestier ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marie Delarue, membre du Tribunal,

- les observations de la SCP Baraduc et Duhamel, avocat du département des Bouches-du-Rhône,

- les conclusions de M. Jacques Duplat, Commissaire du gouvernement

Considérant que le 16 novembre 2000, Mlle B...a été victime d'un grave accident alors qu'elle se trouvait dans une grotte située au lieu-dit Bibémus, dans le domaine des Roques Hautes, massif forestier appartenant au département des Bouches-du-Rhône ; qu'elle a demandé devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence au département des Bouches-du-Rhône de réparer l'intégralité du préjudice résultant pour elle de cet accident ; que, saisie sur appel du département, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté le déclinatoire de compétence qui lui avait été présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône ; que de dernier a, par arrêté en date du 14 décembre 2006, élevé le conflit, au motif que le juge administratif était seul compétent pour connaître de l'action en responsabilité de la victime de l'accident, dès lors qu'il s'était produit dans un domaine départemental présentant le caractère d'un domaine public ;

Considérant que la compétence donnée aux départements par les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles doit faire regarder les mesures prises pour l'application de ces dispositions, au nombre desquelles figure l'acquisition, par le département des Bouches-du-Rhône, en 1987, du massif des Roques Hautes, comme la mise en oeuvre d'un service public de protection de l'environnement par ces collectivités territoriales ; qu'ainsi, le massif forestier où s'est produit l'accident est affecté aux besoins de ce service ; que si, toutefois, le département y a fait réaliser des aménagements, sous la forme exclusive de panneaux d'information et de balisage de sentiers de promenade ou de randonnée, leur nature et leur importance ne permettent pas de les considérer comme des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public ; que, par suite, le domaine des Roques Hautes, et notamment la grotte qui y est incorporée, dans laquelle s'est produit l'accident dont a été victime MlleB..., ne peut être regardé comme appartenant au domaine public départemental et qu'il se rattache au domaine privé du département des Bouches-du-Rhône ; que les juridictions de l'ordre judiciaire sont, dès lors, seules compétentes pour apprécier la responsabilité du département dans la gestion de son domaine privé ; qu'il y lieu d'annuler l'arrêté de conflit et d'attribuer au juge judiciaire la compétence pour connaître du litige opposant Mlle B...au département des Bouches-du-Rhône ;

D.E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté de conflit du 14 décembre 2006 du préfet du département des Bouches-du-Rhône est annulé.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'assurer son exécution.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C3625
Date de la décision : 22/10/2007
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - DOMAINE - DOMAINE PRIVÉ - MASSIF FORESTIER AFFECTÉ AUX BESOINS DU SERVICE PUBLIC DE PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT - DÉFAUT D'AMÉNAGEMENT SPÉCIAL - CONSÉQUENCE - COMPÉTENCE JUDICIAIRE POUR APPRÉCIER LA RESPONSABILITÉ ENCOURUE PAR LA COLLECTIVITÉ PROPRIÉTAIRE À L'OCCASION DE LA GESTION DE CETTE DÉPENDANCE DE SON DOMAINE PRIVÉ [RJ1].

17-03-02-02-01 La compétence donnée aux départements par les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles doit faire regarder les mesures prises pour l'application de ces dispositions comme la mise en oeuvre d'un service public de protection de l'environnement par ces collectivités territoriales. Figure au nombre de ces mesures l'acquisition, par un département, d'un massif forestier constitutif d'un tel espace naturel sensible, lequel doit ainsi être regardé comme affecté aux besoins du service public en cause. Toutefois, si, en l'espèce, le département y a fait réaliser des aménagements, sous la forme exclusive de panneaux d'information et de balisage de sentiers de promenade ou de randonnée, leur nature et leur importance ne permettent pas de les considérer comme des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public. Par suite, le massif forestier en cause ne peut être regardé comme appartenant au domaine public départemental. Compétence des juridictions judiciaires pour apprécier la responsabilité encourue par le département à l'occasion de la gestion de cette dépendance de son domaine privé.

DOMAINE - DOMAINE PUBLIC - CONSISTANCE ET DÉLIMITATION - DOMAINE PUBLIC ARTIFICIEL - BIENS NE FAISANT PAS PARTIE DU DOMAINE PUBLIC ARTIFICIEL - MASSIF FORESTIER AFFECTÉ AUX BESOINS DU SERVICE PUBLIC DE PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT - DÉFAUT D'AMÉNAGEMENT SPÉCIAL [RJ1].

24-01-01-01-02 La compétence donnée aux départements par les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles doit faire regarder les mesures prises pour l'application de ces dispositions comme la mise en oeuvre d'un service public de protection de l'environnement par ces collectivités territoriales. Figure au nombre de ces mesures l'acquisition, par un département, d'un massif forestier constitutif d'un tel espace naturel sensible, lequel doit ainsi être regardé comme affecté aux besoins du service public en cause. Toutefois, si, en l'espèce, le département y a fait réaliser des aménagements, sous la forme exclusive de panneaux d'information et de balisage de sentiers de promenade ou de randonnée, leur nature et leur importance ne permettent pas de les considérer comme des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public. Par suite, le massif forestier en cause ne peut être regardé comme appartenant au domaine public départemental. Compétence des juridictions judiciaires pour apprécier la responsabilité encourue par le département à l'occasion de la gestion de cette dépendance de son domaine privé.

NATURE ET ENVIRONNEMENT - PROTECTION DE LA NATURE - PROTECTION DES ESPACES NATURELS SENSIBLES DES DÉPARTEMENTS (ART - L - 142-1 ET SUIVANTS DU CODE DE L'URBANISME) - MISSION DE SERVICE PUBLIC - EXISTENCE - CONSÉQUENCE - APPARTENANCE AU DOMAINE PUBLIC D'UN MASSIF FORESTIER AFFECTÉ AUX BESOINS DU SERVICE - ABSENCE - À DÉFAUT D'AMÉNAGEMENT SPÉCIAL [RJ1].

44-01 La compétence donnée aux départements par les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles doit faire regarder les mesures prises pour l'application de ces dispositions comme la mise en oeuvre d'un service public de protection de l'environnement par ces collectivités territoriales. Figure au nombre de ces mesures l'acquisition, par un département, d'un massif forestier constitutif d'un tel espace naturel sensible, lequel doit ainsi être regardé comme affecté aux besoins du service public en cause. Toutefois, si, en l'espèce, le département y a fait réaliser des aménagements, sous la forme exclusive de panneaux d'information et de balisage de sentiers de promenade ou de randonnée, leur nature et leur importance ne permettent pas de les considérer comme des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public. Par suite, le massif forestier en cause ne peut être regardé comme appartenant au domaine public départemental. Compétence des juridictions judiciaires pour apprécier la responsabilité encourue par le département à l'occasion de la gestion de cette dépendance de son domaine privé.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, Section, 28 novembre 1975, Office national des forêts c/ Sieur Abamonte et Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, n° 90772, p. 601 ;

8 février 1989, Leparoux, n° 77771, inédite au Recueil. Comp. CE, 14 juin 1972, Sieur Eidel, n° 84967, p. 442 ;

23 février 1979, Gourdain, n° 04987, p. 78.


Composition du Tribunal
Président : Mme Mazars
Rapporteur ?: M. Jean-Marie Delarue
Rapporteur public ?: M. Duplat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2007:C3625
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