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20/10/2008 | FRANCE | N°T0803695

France | France, Tribunal des conflits, 20 octobre 2008, T0803695


N° 3695

Conflit positif Mme X...
c / Ministre de l'éducation nationale

LE TRIBUNAL DES CONFLITS

Vu la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme X... au ministre de l'éducation nationale devant la cour d'appel de Colmar ;

Vu le déclinatoire, présenté le 13 mars 2006 par le préfet du Haut-Rhin et complété le 19 juin 2007, tendant à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente par les motifs que les conclusions présentées par Mme X..., fondées sur l'arti

cle 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et une lettre interprétative du min...

N° 3695

Conflit positif Mme X...
c / Ministre de l'éducation nationale

LE TRIBUNAL DES CONFLITS

Vu la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme X... au ministre de l'éducation nationale devant la cour d'appel de Colmar ;

Vu le déclinatoire, présenté le 13 mars 2006 par le préfet du Haut-Rhin et complété le 19 juin 2007, tendant à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente par les motifs que les conclusions présentées par Mme X..., fondées sur l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et une lettre interprétative du ministre de la fonction publique du 10 août 2004, tendant à l'annulation du refus d'enquêter sur sa demande de reconnaissance du harcèlement qu'elle affirme avoir subi depuis 15 ans induisent une application rétroactive de cet article et étaient irrecevables ; que ses conclusions indemnitaires ont été rejetées par jugements du tribunal administratif de Strasbourg du 11 janvier 2005 ; que ses conclusions aux fins de reprise du versement de son traitement ont été rejetées par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 juin 2005 ; que Mme X..., qui estime sa radiation constitutive d'une voie de fait, a été rayée des cadres pour abandon de poste par arrêté du 14 juin 2004 ; que le jugement du 28 juin 2005 du tribunal administratif de Strasbourg a annulé pour vice de procédure la décision de radiation des cadres de Mme X... ; que Mme X... n'a pas repris ses fonctions et a fait l'objet d'une nouvelle radiation par arrêté du 19 septembre 2005 ; que Mme X... a interjeté appel de tous ces jugements devant la cour administrative d'appel de Nancy, ces instances étant pendantes ; que dans ces conditions, le refus d'enquêter ne constitue pas une voie de fait ; que les procédures intentées par Mme X... afin de voir qualifier sa radiation voie de fait sont en réalité dilatoires ; que faire droit à sa demande d'enquêter sur les faits qu'elle dénonce et les pièces qu'elle produit devant la cour administrative d'appel de Nancy interfèrerait avec des procédures relevant du juge administratif ; que des procédures de référés devant le juge administratif sont prévues par le code de justice administrative ; qu'il appartient à la seule juridiction administrative de connaître des litiges concernant des agents publics de l'Etat ; que, par ordonnance du 10 janvier 2006, le tribunal de grande instance de Colmar a écarté les moyens avancés par Mme X... relatifs à de prétendues voies de fait et s'est déclaré incompétent pour connaître des instances introduites par celle-ci, lesquelles concernent des décisions qui se rattachent aux pouvoirs de l'administration et relèvent de la compétence du juge administratif ; qu'en conséquence, la cour d'appel de Colmar méconnaîtrait le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires si elle se reconnaissait compétente pour statuer sur le litige concernant la radiation pour abandon de poste de la requérante, le refus de diligenter une enquête et la réintégration de la requérante, liquider les astreintes demandées et mettre la somme de 800 euros à la charge du ministre de l'éducation nationale en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi que les frais et dépens ;
Vu l'arrêt du 27 mars 2008 par lequel la cour d'appel de Colmar a partiellement infirmé l'ordonnance d'incompétence rendue par le tribunal de grande instance de Colmar le 10 janvier 2006 à la suite du déclinatoire de compétence du préfet du Haut-Rhin en date du 17 novembre 2005, et statué au fond ;
Vu l'arrêté du 10 avril 2008 par lequel le préfet du Haut-Rhin a élevé le conflit ;
Vu le mémoire présenté par Mme X..., demeurant (...) ; Mme X... demande au Tribunal de déclarer l'arrêté de conflit recevable et fondé en ce qui concerne la forme de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 27 mars 2006 statuant à tort par une décision unique sur la compétence et le fond ; de débouter en revanche le préfet s'agissant de la compétence judiciaire après détermination en l'espèce de l'étendue de la voie de fait et de la réparation qu'elle exige ; elle soutient que la cour d'appel était tenue de statuer par deux décisions distinctes, l'une sur la compétence, l'autre sur le fond ; que constitue une voie de fait toute violation des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, qui sont d'ordre public, et non uniquement de l'obligation d'enquête qui est une disposition non écrite ; que la cour d'appel de Colmar n'a distingué parmi les dispositions de cet article qu'afin de tenir compte de la chose jugée par la juridiction administrative pourtant incompétente pour statuer sur l'existence d'une voie de fait en dépit du sursis à statuer qu'elle avait demandé ; que tant le refus d'enquête que la suspension de son traitement et sa radiation constituent une violation de la protection à laquelle elle pouvait prétendre en vertu de l'article 6 quinquies ; que la cour d'appel de Colmar, en soulignant que la cour administrative d'appel de Nancy avait jugé réguliers suspension de traitement et arrêté de radiation pour récuser la qualification de voie de fait, l'a privée de ses droits à réparation et réintégration ; que le préfet du Haut-Rhin n'a pas relevé qu'elle avait droit à la protection énoncée à l'article 6 quinquies alors qu'il cite une circulaire interprétative du ministre de l'éducation nationale ; que le préfet ne cite pas la jurisprudence pertinente du Tribunal des conflits sur les pouvoirs du ministre de l'éducation nationale sur ses agents et cite sans l'appliquer l'article 26 de la Charte sociale européenne sur le droit au respect de la dignité des travailleurs ; que les conclusions du procureur général près la cour d'appel de Colmar réduisent le présent litige à un cas d'abandon de poste alors qu'il s'agit d'un cas de harcèlement d'un fonctionnaire par sa hiérarchie ; que si le Tribunal des conflits venait à estimer que la violation des dispositions écrites ou non de l'article 6 quinquies ne constituent pas une voie de fait, elle serait privée d'accès au juge et la transposition en droit français des directives européennes ne serait pas assurée ;
Vu le mémoire présenté par le ministre de l'éducation nationale tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que le présent litige ne concerne que le refus de procéder à l'enquête demandée par Mme X... ; qu'une telle décision rendue sur demande présentée par un fonctionnaire invoquant des faits de harcèlement au travail ne constitue pas une voie de fait ; que ni l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ni la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 ne confèrent caractère obligatoire à cette enquête ; que, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, il n'y a de voie de fait fondant une exception à la répartition des compétences entre autorités administratives et judiciaires que dans le cas où l'administration a procédé à l'exécution forcée dans des conditions irrégulières d'une décision portant atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale ou bien lorsque l'administration a pris une décision ayant l'un de ces effets et que cette décision est insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative ; qu'un refus d'enquêter n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, manifestement insusceptible de se rattacher à un tel pouvoir ; que dans son arrêt du 25 janvier 2007, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nancy a considéré que Mme X... n'établissait pas l'existence d'un harcèlement moral constitutif d'une faute de l'Etat qui engagerait sa responsabilité ; que le présent litige se rattache à l'interprétation de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 en ce qui concerne un agent de l'Etat et relève à l'évidence de la compétence du juge administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la loi 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Serge Daël, membre du Tribunal,- les conclusions de M. André Gariazzo, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X... a saisi la cour d'appel de Colmar de conclusions tendant à ce qu'elle déclare constitutifs de voie de fait d'une part les refus du recteur de l'académie de Strasbourg et du ministre de l'éducation nationale d'ordonner une enquête sur des faits de harcèlement moral et sexuel dont elle estimait avoir été victime, d'autre part les mesures de suspension de traitement et, après sommation, de radiation pour abandon de poste prises à son encontre et enfin la succession d'irrégularités dont ces mesures étaient à ses yeux entachées ; que par un arrêt du 27 mars 2008 la cour d'appel de Colmar, saisie d'un déclinatoire de compétence du préfet du Haut-Rhin, y a fait droit sauf en ce qui concerne les conclusions de Mme X... relatives au refus de l'administration de donner suite à sa demande d'enquête ; que sur ces conclusions la cour a écarté le déclinatoire de compétence et par la même décision a statué au fond ; que le préfet du Haut-Rhin a pris le 10 avril 2008 un arrêté de conflit ;
Sur la régularité de la procédure :
Considérant qu'il résulte des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence doit surseoir à statuer pendant le délai laissé au préfet en vertu de l'ordonnance du 18 décembre 1822, pour, s'il l'estime opportun, élever le conflit ; qu'il s'ensuit que l'arrêt du 27 mars 2008 de la cour d'appel de Colmar, en tant qu'il statue au fond sur les conclusions de Mme X... relatives au refus de donner suite à sa demande d'enquête par la décision même qui écarte sur ce seul point le déclinatoire de compétence, doit dans cette limite être déclaré nul et non avenu ; que toutefois, cette irrégularité n'affecte pas l'arrêté de conflit pris le 10 avril 2008 par le préfet du Haut-Rhin, dans le délai légal de quinze jours suivant la notification du rejet du déclinatoire de compétence ;
Sur la compétence :
Considérant qu'il n'y a voie de fait justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition toutefois que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;
Considérant que l'administration, investie du pouvoir disciplinaire qui s'attache à l'autorité hiérarchique, agit dans le cadre de ses pouvoirs lorsqu'elle apprécie s'il y a lieu, compte tenu des faits portés à sa connaissance, de procéder à des investigations ; qu'ainsi en refusant de faire droit à la demande d'enquête de Mme X..., le recteur de l'académie de Strasbourg et le ministre de l'éducation nationale ont agi dans l'exercice de leur pouvoir ; que, par suite, c'est à bon droit que le conflit a été élevé ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 10 avril 2008 par le préfet du Haut-Rhin est confirmé.
Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par Mme X... devant la cour d'appel de Colmar en tant qu'elle concerne le refus du recteur de l'académie de Strasbourg et du ministre de l'éducation nationale de prescrire une enquête et l'arrêt de cette cour en date du 27 mars 2008 en tant qu'il a déclaré la juridiction judiciaire compétente pour en connaître et qu'il a statué au fond sur ce chef de demande.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.


Synthèse
Numéro d'arrêt : T0803695
Date de la décision : 20/10/2008

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Domaine d'application - Contentieux de la voie de fait - Voie de fait - Définition - Acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration - Exclusion - Cas

L'administration, investie du pouvoir disciplinaire qui s'attache à l'autorité hiérarchique, agit dans le cadre de ses pouvoirs lorsqu'elle apprécie s'il y a lieu, compte tenu des faits portés à sa connaissance, de procéder à des investigations. Par conséquent, le refus d'un recteur d'académie de prescrire une enquête à la demande d'une enseignante qui se plaint d'avoir été victime de faits de harcèlement moral et sexuel ne constitue pas une voie de fait relevant de la compétence du juge judiciaire


Références :

Loi des 16-24 août 1790

Décret du 16 fructidor an III

Loi du 26 octobre 1849

Loi du 24 mai 1872

Ordonnance du 1er juin 1828 modifiée

Ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée

Décret du 26 octobre 1849 modifié

Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 27 mars 2006


Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Avocat général : M. Gariazzo (commissaire du gouvernement)
Rapporteur ?: M. Daël

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2008:T0803695
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