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30/04/2024 | FRANCE | N°21/08702

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 1ère section, 30 avril 2024, 21/08702


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:



9ème chambre 1ère section

N° RG 21/08702

N° Portalis 352J-W-B7F-CUWWD

N° MINUTE : 4

Contradictoire

Assignation du :
24 juin 2021






JUGEMENT
rendu le 30 avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [S] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Me Anne BERNARD-DUSSAULX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0806


DÉFENDERESSE

S.A. SOCIETE GENERALE
[A

dresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0077



COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécil...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre 1ère section

N° RG 21/08702

N° Portalis 352J-W-B7F-CUWWD

N° MINUTE : 4

Contradictoire

Assignation du :
24 juin 2021

JUGEMENT
rendu le 30 avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [S] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Me Anne BERNARD-DUSSAULX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0806

DÉFENDERESSE

S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0077

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente,
Monsieur Patrick NAVARRI,Vice-président,
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente,

assistés de Madame Sandrine BREARD, greffière.

Décision du 30 Avril 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 21/08702 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUWWD

DÉBATS

A l’audience du 27 Février 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Patrick NAVARRI, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

 
EXPOSÉ DU LITIGE
 
M. [S] [I] a ouvert un compte dans les livres de la SOCIETE GENERALE.
 
L’intéressé a par l’intermédiaire de la société Man Investments effectué plusieurs placements financiers sur une plate-forme de cryptomonnaie.
 
Son compte de dépôt a été débité d’une somme totale de 58.888,47 €, en exécution des 7 ordres de virement émanant de M. [S] [I], à destination de l’Espagne, du Royaume-Uni et de la Hongrie, énoncés ci-après :
 
Dates       Débits    Sociétés bénéficiaires    Pays destinataires
 
13/11/2019  500 € ALPHA CONSULT SP ZOO         Royaume-Uni
13/02/2020 4.388,47 €  WRLP GLOBAL KFT             Hongrie
17/04/2020  4.500 €        ALPHA CONNECT CLICK          Espagne
17/04/2020  12.500 €       ALPHA CONNECT CLICK          Espagne
17/04/2020 12.500 €       ALPHA CONNECT CLICK          Espagne
17/04/2020  14.500 €       ALPHA CONNECT CLICK Espagne
05/05/2020 10.000 € ALPHA CONNECT CLICK Espagne
 
Les fonds ayant été investis en pure perte, par acte d’huissier du 24 juin 2021, M. [S] [I] a fait assigner devant la présente juridiction la SOCIETE GENERALE aux fins de la voir condamner à l’indemniser des préjudices subis.

 
Dans ses dernières conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 26 juin 2023, M. [S] [I] demande au tribunal, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, de :

 ➢ A titre principal :

- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [S] [I] la somme de 58.588,47 euros, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice financier ;

➢ A titre subsidiaire :
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [S] [I] la somme de 46.870,78 euros (80% de la totalité des fonds investis soit 58.888,47 euros), outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice né de la perte de chance ;

➢ En tout état de cause :
- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [S] [I] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [S] [I] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anne BERNARD-DUSSAULX, Avocat au Barreau de Paris.

M. [S] [I] déclare tout d’abord avoir été démarché par téléphone par une personne en vue d’investir des fonds. Des gains importants lui ayant été promis, il indique avoir investi la somme totale de 58.588,47 €. Il déclare avoir perçu une rémunération de ces fonds pour le mettre en confiance puis il a perdu l’intégralité des fonds investis et a déposé plainte le 17 juillet 2020. Il souligne également qu’il s’est opposé au refus de la banque de procéder au remboursement des sommes litigieuses.
 
M. [I] fait ensuite observer qu’un devoir général de vigilance est mis à la charge des banques puisque ces dernières ne doivent pas fournir à autrui des moyens de commettre des infractions au détriment des tiers. Il affirme que la banque a manqué à son égard à son obligation de vigilance dans la mesure où les mouvements de fonds observés sur son compte étaient manifestement anormaux au regard de sa pratique habituelle, de la courte période de temps querellée, du nombre et du montant unitaire des virements, des noms des bénéficiaires et des pays de destination des fonds. Il fait observer que la banque ne pouvait ignorer l’existence d’escroqueries sur ces marchés et que les sommes querellées ont été transférées sur des comptes détenus à l’étranger.
 
M. [S] [I] estime que la banque a manqué à son devoir de vigilance, en exécutant les ordres de virement en cause sans qu’aucune vérification ne soit faite, contribuant ainsi au préjudice subi.
Décision du 30 Avril 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 21/08702 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUWWD

 
Il déclare qu’en sus de ce devoir général de vigilance, les établissements de crédit et les prestataires de services de paiement sont astreints à une obligation contractuelle de vigilance vis-à-vis de leurs clients avant l’entrée en relation d’affaires et au cours de celle-ci et à cette fin doivent identifier leurs clients et les conseiller dans l‘exécution de leurs opérations. Le demandeur en conclut que le manquement à ces obligations a pour effet d’engager la responsabilité des établissements concernés.
 
Par conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 20 septembre 2023, la SOCIETE GENERALE demande au tribunal de débouter M. [I] de toutes ses demandes et de le condamner à verser une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
 
La SOCIETE GENERALE décline toute responsabilité vis-à-vis de M. [S] [I]. Elle soutient que l’établissement teneur de compte est soumis à un principe de non-ingérence lui interdisant de s’immiscer dans les affaires de son client tout en lui déniant toute possibilité de refuser à son client la libre disposition des fonds disponibles si bien que M. [S] [I] ne peut invoquer le caractère anormal des opérations qu’il a lui-même effectuées sur les conseils d’un prétendu courtier qui l’a contacté téléphoniquement, pour tenter d’imputer une faute à la banque.
 
De plus, elle fait observer que les virements ont été effectués au bénéfice de banques situées en Europe et qu’aucune société en faveur desquelles les sommes ont été versées n'est inscrite sur la liste noire de l'AMF. Elle note que les sommes litigieuses ont été virées volontairement par [S] [I] si bien qu’il s’agit d’opérations autorisées. Elle relève au surplus, que toutes ces opérations ne présentaient aucune anomalie matérielle ou intellectuelle apparente.
 
La défenderesse note par ailleurs que M. [S] [I] n’a fait preuve d’aucune prudence en donnant instruction à la SOCIETE GENERALE d’effectuer les virements litigieux.
 
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l’exposé complet des moyens et arguments respectifs des parties.
 
L’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire est intervenue le 23 janvier 2024.

MOTIFS
 
Sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque
 
L’article L. 133-6 du code monétaire et financier dispose qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte.
 
Ainsi, dans l’hypothèse d’un virement autorisé, le banquier demeure tenu de contrôler la régularité de l’ordre de virement, afin de déceler toute anomalie tant matérielle qu'intellectuelle susceptible de l’affecter.
 
S’il ne lui appartient pas, sauf à porter atteinte à la vie privée du dépositaire des fonds, d’effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause, sont régulières, opportunes et exemptes de danger, il doit néanmoins déceler le caractère manifestement anormal de mouvements de fonds par référence au fonctionnement habituel du compte ou en considération de leur bénéficiaire.
 
Le banquier, gestionnaire de compte et établissement de paiement, n’est pas tenu à une obligation d’information et de conseil à l’égard de son client, sauf convention contraire.
 
En application de l’article 9 du code de procédure civile, il appartient au demandeur d’établir le bien-fondé de ses demandes, en fournissant, conformément aux règles de droit, les preuves nécessaires au succès de ses prétentions.
 
Il est constant que la SOCIETE GENERALE est étrangère aux opérations financières querellées qui ont été présentées et proposées à M. [I] par un tiers se présentant comme un courtier travaillant pour le compte de la société Man Investments.
 
En outre, il n’est pas contesté que les sociétés ALPHA CONNECT CLICK, ALPHA CONSULT SP ZOO et WRLP GLOBAL KFT au bénéfice desquelles les sommes ont été versées ne sont pas inscrites sur la liste noire de l’AMF.
 
De plus, il n’est pas contesté que M. [S] [I] ne faisait l’objet, au moment des faits, d’aucune mesure judiciaire de protection.
 
Par ailleurs, il est établi par les éléments du dossier que :
- sur la période allant du 13 novembre 2019 au 5 mai 2020, M. [S] [I] a effectué 7 ordres de virement à destination de comptes ouverts dans les livres de banques situées hors du territoire français, à savoir la Hongrie, le royaume-Uni et l'Espagne,
- la somme mentionnée sur chaque ordre de virement a été portée au débit de son compte de dépôt,
- M. [S] [I] ne conteste pas l’authenticité des ordres de virement,
- les différentes opérations effectuées ne mentionnent pas l’achat de crypto-monnaie,
- l’exécution de ces ordres de virement SEPA n’a pas eu pour effet de placer le compte de dépôt en position débitrice,
- si la plainte déposée le 17 juillet 2020 du chef d’escroquerie est versée aux débats en revanche M. [I] ne produit aucune pièce sur les suites de cette plainte.
 
Il en ressort que chaque ordre de virement tant dans son principe que dans son quantum a été validé par M. [S] [I] qui n’en conteste pas l’exactitude. Les 7 virements internationaux querellés ont donc été effectués sur instruction expresse de la part de M. [S] [I]. Or, dans la mesure où l’obligation de l’établissement bancaire consiste en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus, la SOCIETE GENERALE qui n’a ni proposé ni suivi cet investissement, n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité des destinataires ni à conseiller ses clients, en dehors des instructions reçues de ceux-ci, ce d’autant qu’il n’y a pas de motif anormal renseigné. Il appartenait à M. [I] de se renseigner préalablement à la réalisation de ces investissements. M. [S] [I] est mal fondé à reprocher à la banque de ne pas avoir tenu compte des nombreuses escroqueries aux investissements qui avaient cours à cette époque compte tenu des alertes diffusées par l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’organisme TRACFIN (acronyme de «Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins »).
 
En revanche, au vu des relevés de compte produits aux débats, il y a lieu de souligner que concernant le motif de ces virements le nom de la société Man Investments apparait dans les virements réalisés les 13 novembre 2019 et 13 février 2020. Les autres virements ont comme motif « épargne » ou « SCI ». La société Man Investments a été inscrite sur la liste noire de l’AMF le 3 février 2020. Si la banque ne pouvait pas avoir connaissance de cette information en ce qui concerne le virement en date du 13 novembre 2019 en revanche en ce qui concerne le virement en date du 13 février 2020 au bénéfice de la société WRLP GLOBAL KFT, qui possédait un compte bancaire en Hongrie et qui n’est concernée que par cette seule opération litigieuse, la banque connaissait cette information.

Or la mention existante sur l'ordre de virement d'un bénéficiaire, dûment répertorié par l'autorité de régulation comme non agréé voire frauduleux, constitue une anomalie apparente justifiant que la Société Générale satisfasse à son obligation de vigilance, à tout le moins, en alertant son client sur cette circonstance. En n’alertant pas M. [I] la banque a commis une faute.

En conséquence il y a lieu de condamner la SOCIETE GENERALE à rembourser à M. [I] la somme de 4.388,47 € en réparation de son préjudice financier avec les intérêts au taux légal à compter de l’assignation soit du 24 juin 2021, à défaut de l’accusé de de réception de la lettre de mise en demeure en date du 17 mai 2021.

M.[I] n’établissant pas avoir subi un préjudice moral, sa demande d’indemnisation sera rejetée sur ce chef de préjudice.

 
Sur les demandes accessoires
 
Partie perdante, la SOCIETE GENERALE sera condamnée aux dépens, avec distraction au bénéfice de Maître Anne-Bernard-Dussaux.
 
L’équité commande de condamner la SOCIETE GENERALE à payer à M. [I] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La demande présentée par la banque au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

L’exécution provisoire est de droit dans la présente affaire, conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.
 
PAR CES MOTIFS
 
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et publiquement par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE à rembourser à M. [S] [I] la somme de 4.388,47 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2021 ;
 
DÉBOUTE M. [S] [I] du surplus de sa demande de dommages et intérêts en réparation des préjudices financier et moral ;

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE à payer à M. [S] [I] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SOCIETE GENERALE de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE aux dépens dont distraction au bénéfice de Maître Anne-Bernard-Dussaux ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à Paris le 30 avril 2024.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/08702
Date de la décision : 30/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-30;21.08702 ?
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