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09/06/2015 | MONACO | N°TS/2014-23

Monaco | Tribunal Suprême, 9 juin 2015, v. ZA c/ État de Monaco, TS/2014-23


Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2014-23

Affaire :

v. ZA.

Contre

Etat de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 2 JUIN 2015

Lecture du 9 juin 2015

Recours en annulation de la décision de refoulement de M. v. ZA., prise le 8 novembre 2001 par le Ministre d'État et notifiée le 12 mai 2014, ensemble la décision du Ministre d'Etat en date du 1er juillet 2014 rejetant le recours gracieux formé par M. v. ZA..

En la cause de :

- Monsieur v. ZA., né le 15 juin 1965 à Bari-Carbonara (Italie) de nationalité it

alienne et domicilié à Roquebrune Cap-Martin, X,

Ayant pour avocat défenseur Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'...

Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2014-23

Affaire :

v. ZA.

Contre

Etat de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 2 JUIN 2015

Lecture du 9 juin 2015

Recours en annulation de la décision de refoulement de M. v. ZA., prise le 8 novembre 2001 par le Ministre d'État et notifiée le 12 mai 2014, ensemble la décision du Ministre d'Etat en date du 1er juillet 2014 rejetant le recours gracieux formé par M. v. ZA..

En la cause de :

- Monsieur v. ZA., né le 15 juin 1965 à Bari-Carbonara (Italie) de nationalité italienne et domicilié à Roquebrune Cap-Martin, X,

Ayant pour avocat défenseur Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur.

Contre :

L'État de Monaco représenté par son Excellence Monsieur le Ministre d'Etat, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPREME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, enregistrée au Greffe Général le 28 août 2014, par laquelle Monsieur v. ZA. demande au Tribunal Suprême l'annulation d'une décision de refoulement prise à son encontre par le Ministre d'État le 8 novembre 2001 et notifiée le 12 mai 2014, ainsi que de la décision du Ministre d'État en date du 1er juillet 2014 rejetant son recours gracieux demandant la suspension ou la révocation de la décision du 8 novembre 2001.

CE FAIRE

Attendu que, selon la requête, Monsieur v. ZA. s'est vu notifier le 12 mai 2014 une décision de refoulement prise à son encontre le 8 novembre 2001 et motivée par ses « antécédents judiciaires relatifs à l'exercice illégal de la profession d'avocat » ; que par lettre du 22 mai 2014, il a formé un recours gracieux auprès du Ministre d'État, lui demandant « de prononcer la suspension » de la décision de refoulement « ou de bien vouloir en considérer la révocation » ; que le 1er juillet 2014, le Ministre d'État a rejeté cette demande, estimant que la présence en Principauté de Monsieur v. ZA. était « de nature à y compromettre la tranquillité et la sécurité publiques ou privées », et qu'il n'y avait donc pas lieu de réviser la mesure de refoulement du 8 novembre 2001 ; que telles sont les décisions attaquées par Monsieur v. ZA. ;

Attendu qu'après avoir indiqué qu'un tel recours, dirigé contre une décision prise le 8 novembre 2001 mais seulement notifié le 12 mai 2014, et contre la décision de rejet du recours gracieux en date du 1er juillet 2014, est bien recevable, Monsieur v. ZA. commence par demander au Tribunal Suprême d'ordonner une mesure d'instruction ; que selon lui, la motivation figurant dans la décision du 8 novembre 2001, de même que celle qui lui a été communiquée lors de la notification de cette décision par les services de la Sûreté publique le 12 mai 2014, ne sont pas suffisantes « pour permettre au Tribunal Suprême d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée », en ce qu'elles n'exposent pas « les circonstances précises de fait et de droit qui ont conduit à son édiction », et en ce qu'elles n'établissent pas « en quoi la présence de Monsieur v. ZA. en Principauté serait de nature à troubler l'ordre public » ; que pour cette raison Monsieur v. ZA. demande au Tribunal Suprême d'enjoindre au Ministre d'État « de produire tous éléments (lui) permettant d'exercer son contrôle » ;

Attendu par ailleurs que les décisions contestées sont entachées d'une illégalité interne résultant d'une erreur manifeste d'appréciation, les faits qui semblent avoir été pris en compte par le Ministre d'État pour prononcer en 2001 la mesure contestée n'étant pas de nature à justifier cette dernière ; que tout d'abord, ladite mesure a été prise sur la base de faits erronés : en l'occurrence, les faits, dénoncés par Madame d. MO., de s'être présenté à elle en qualité d'avocat et d'avoir commis des escroqueries à son encontre en se faisant remettre par elle des sommes d'argent les 27 août et 5 septembre 2001 ; que ces accusations sont fausses, Monsieur v. ZA. ne s'étant jamais présenté à Madame d. MO. comme avocat inscrit au barreau de Rome, mais comme docteur en jurisprudence, et n'ayant par ailleurs commis aucune escroquerie, les sommes évoquées par Madame d. MO. lui ayant été versées à titre d'honoraires, en rémunération d'une intervention ayant permis à cette dernière d'obtenir la restitution de 1,3 milliards de lires italiennes ; que le simple fait que Madame d. MO. ait déposé plainte contre Monsieur v. ZA. en Italie et à Monaco n'était pas de nature à établir que sa présence en Principauté était « de nature à (y) compromettre la tranquillité et la sécurité publiques et privées » ; que le fait que Monsieur v. ZA. ait été condamné par le Tribunal correctionnel de Monaco le 18 mars 2003, expressément évoqué lors de la notification de la mesure de refoulement le 12 mai 2014, ne saurait fonder rétroactivement la mesure de refoulement prise à son encontre le 8 novembre 2001 ; que cette condamnation est intervenue alors que Monsieur v. ZA., se trouvant incarcéré à la maison d'arrêt de Luynes, en France, n'a pu comparaître devant le Tribunal correctionnel de Monaco, qui l'a ainsi condamné par défaut pour escroquerie à trois ans d'emprisonnement sans qu'il ait été en mesure de se défendre ; qu'elle semble d'autant plus contestable que le 7 février 2009, le Tribunal de San Remo, en Italie, saisi des mêmes faits par Madame d. MO., a classé sans suite la plainte de cette dernière en raison de « l'absence de caractère fondé des faits délictueux dénoncés » ; que la mesure de refoulement prise à l'encontre de Monsieur v. ZA. était donc entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il en va de même de la décision de rejet du recours gracieux prise le 1er juillet par le Ministre d'État, laquelle évoque le risque de troubles à la tranquillité et à la sûreté publiques et privées sans prendre en considération le fait que la situation de Monsieur v. ZA. a évolué, puisque celui-ci est inscrit comme avocat aux barreaux de Nice et de Rome, que ses casiers judiciaires français et italiens sont vierges, qu'il demeure à Roquebrune Cap-Martin, et qu'ignorant la mesure de refoulement prise à son encontre, il a eu fréquemment l'occasion de se rendre en Principauté sans jamais y compromettre la tranquillité ni la sécurité publiques ou privées ; que Monsieur v. ZA. demande donc au Tribunal Suprême de déclarer illégales et d'annuler les décisions de refoulement du 8 novembre 2001 et de rejet de son recours gracieux du 1er juillet 2014, ainsi que de condamner l'État de Monaco aux entiers dépens ;

Vu, la contre requête du Ministre d'État enregistrée au Greffe Général le 30 octobre 2014, qui affirme que le moyen unique de la requête, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la mesure de refoulement prise à l'encontre de Monsieur v. ZA. le 8 novembre 2001, n'est pas fondé ;

Attendu que c'est en considération de la situation de fait et de droit existant à la date du 8 novembre 2001 qu'il convient de se placer pour apprécier la légalité de la mesure contestée ; que s'agissant d'une mesure de police administrative dont l'objet est de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, il suffit que les faits retenus révèlent un risque de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publiques ou privées pour être de nature à justifier une décision de refoulement du territoire monégasque ; que Monsieur v. ZA. a bien fait l'objet, à l'automne 2001, d'une plainte de Madame d. MO. pour escroquerie et exercice illégal de la profession d'avocat, ayant donné lieu à des poursuites pénales à l'encontre de Monsieur v. ZA., qui a consécutivement été renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Monaco ; qu'au regard de la jurisprudence du Tribunal suprême, les faits reprochés à Monsieur v. ZA., commis à Monaco en août et en septembre 2011, permettaient à l'administration de considérer sa présence sur le territoire de la Principauté comme présentant un risque de troubles pour la tranquillité et la sécurité publiques ou privées justifiant, à la date où elle est intervenue, la mesure de refoulement du 8 novembre 2001 ; que celle-ci n'était donc pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation à la date de son édiction - sans même qu'il soit besoin de se référer au jugement du Tribunal correctionnel de Monaco en date du 18 mars 2003, condamnant Monsieur v. ZA. à trois ans d'emprisonnement pour les faits d'escroquerie dénoncés par Madame d. MO. ;

Attendu enfin que c'est également à cette date qu'il convient de se placer pour apprécier la légalité de la décision du 1er juillet 2014 rejetant une demande de retrait de la décision de refoulement ; qu'à cet égard, les faits postérieurs invoqués par Monsieur v. ZA. sont donc inopérants ; qu'ainsi, la requête ne pourra qu'être rejetée, et Monsieur v. ZA., condamné aux entiers dépens ;

Vu, la réplique de Monsieur v. ZA. enregistrée au Greffe Général le 28 novembre 2014, qui observe que la mesure de refoulement prise à son encontre le 8 novembre 2001 l'a été en se fondant exclusivement sur la plainte déposée par Madame d. MO. ;

Attendu qu'il s'avère que cette plainte, qui n'était pas produite et qui n'était évoquée que de façon allusive dans la contre requête, n'a été déposé par Madame d. MO. que le 26 octobre 2001 ; que cela qui signifie que la décision de refoulement n'est intervenue que 13 jours après ladite plainte, soit après un délai beaucoup trop bref pour permettre à l'administration d'apprécier valablement la véracité des faits sur lesquels elle prétendait fonder sa décision ; qu'en l'occurrence, l'erreur manifeste d'appréciation résulte donc de la disproportion entre la gravité de la mesure prise, et le caractère hypothétique des faits censés en constituer le fondement, faits hypothétiques puisqu'énoncés dans une simple plainte sans avoir pu être matériellement vérifiés par une information judiciaire qui n'a eu lieu que postérieurement ;

Attendu par ailleurs que la jurisprudence évoquée dans la contre requête en vue de démontrer qu'un refoulement peut être justifié par la seule existence de poursuites pénales ou d'un mandat d'arrêt international n'est en rien comparable au cas particulier de Monsieur v. ZA., d'autant que, dans les différentes hypothèses visées, l'administration a eu amplement le temps d'examiner avec précision la véracité des faits l'ayant conduit à prendre une telle mesure, ce qui n'a pas été le cas pour Monsieur v. ZA. ; que c'est pourquoi celui-ci persiste dans sa demande ;

Vu, la duplique du Ministre d'État enregistrée au Greffe général le 23 décembre 2014, qui commence par souligner que si la légalité d'une décision administrative s'apprécie au jour de son édiction, le juge peut néanmoins prendre en compte des faits postérieurs lorsqu'ils sont en relation directe avec la situation existante à la date de la décision, et qui permettent d'éclairer les conditions dans lesquelles celle-ci a été prise ;

Attendu qu'en l'espèce, si les faits évoqués dans la plainte de Madame d. MO. suffisent à justifier la décision de refoulement, il apparaît que ceux-ci ont été corroborés à la fois par le rapport d'enquête du 15 janvier 2002, et par le renvoi de Monsieur v. ZA. devant le Tribunal correctionnel le 5 décembre suivant ;

Attendu par ailleurs que si la jurisprudence citée dans la contre requête ne porte pas sur des faits identiques à ceux reprochés à Monsieur v. ZA., il n'en demeure pas moins que cette jurisprudence retient qu'une mesure d'éloignement du territoire monégasque trouve son fondement légal dans les poursuites pénales engagées à l'encontre de l'intéressé ;

Attendu que, reposant sur des faits matériellement exacts, la décision de refoulement attaquée est donc exempte de toute erreur manifeste d'appréciation ;

SUR CE

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution du 17 décembre 1962 ;

Vu l'Ordonnance n°2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Principauté ;

Vu l'Ordonnance en date du 8 septembre 2014 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné M. Frédéric ROUVILLOIS en qualité de rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure établi par Madame le Greffier en chef le 18 mars 2015 ;

Vu l'Ordonnance du 20 avril 2015 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 2 juin 2015 ;

Ouï M. Frédéric ROUVILLOIS, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur v. ZA. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Sur la demande de mesure d'instruction

Considérant qu'en l'état des pièces produites et jointes au dossier, il n'y a pas lieu de prescrire la mesure d'instruction sollicitée par M. v. ZA. ;

Sur la légalité

Considérant que la décision de refoulement ayant frappé M. v. ZA. le 8 novembre 2001 a été prise par le Ministre d'État, sur le fondement de l'Ordonnance souveraine n°3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté, au titre de ses pouvoirs de police ;

Considérant que, l'objet des mesures de police administrative étant de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, il suffit que les faits retenus révèlent des risques suffisamment caractérisés de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée pour être de nature à justifier de telles mesures ;

Considérant que les faits énoncés dans la plainte déposée le 26 octobre 2001 contre M. v. ZA. pour escroquerie et exercice illégal de la profession d'avocat suffisaient à faire considérer la présence de ce dernier en Principauté comme présentant un risque de troubles ; qu'il résulte du dossier que ces faits, qui ont d'ailleurs conduit par la suite à la condamnation de M. v. ZA. par le Tribunal correctionnel de Monaco, n'étaient pas manifestement erronés ou inexistants ; qu'ils suffisaient à justifier légalement la mesure de refoulement prise à l'encontre de M. v. ZA. ; que celle-ci n'est donc pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que tel est également le cas de la décision du 1er juillet 2014 par laquelle le ministre d'État a rejeté le recours gracieux de M. v. ZA., tendant à l'abrogation de la mesure de refoulement du 8 novembre 2001.

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er : la requête de M. v. ZA. est rejetée.

Article 2 : les dépens sont mis à sa charge.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État et à M. v. ZA.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de M. Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président, M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, officier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, M. José SAVOYE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, membre titulaire, M. Frédéric ROUVILLOIS, rapporteur, Mme Magali INGALL-MONTAGNIER, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, rapporteur, membres suppléants.

et prononcé le neuf juin deux mille quinze en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef, le Président,

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