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20/03/2013 | FRANCE | N°356476

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 20 mars 2013, 356476


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 7 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A...B..., demeurant...,; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 28 octobre 2011 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a prononcé un blâme et une sanction pécuniaire de 150 000 euros à l'encontre de la société Tocqueville Finance ainsi qu'un blâme et une sanction pécuniaire de 250 000 euros à son encontre et a ordonné la publication de sa

décision sur le site internet de l'AMF et dans le recueil des décisions de ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 7 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A...B..., demeurant...,; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 28 octobre 2011 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a prononcé un blâme et une sanction pécuniaire de 150 000 euros à l'encontre de la société Tocqueville Finance ainsi qu'un blâme et une sanction pécuniaire de 250 000 euros à son encontre et a ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF et dans le recueil des décisions de la commission des sanctions sous la forme préservant l'anonymat des personnes non mises en cause ;

2°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6 ;

Vu le code monétaire et financier, notamment son article L. 621-15 modifié par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 ;

Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de M. B... et de la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés financiers,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de M. B...et à la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des mois de juin et d'août 2009, le service de la surveillance des marchés de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a constaté des variations importantes sur le cours du titre ADA, société de location de voitures et de véhicules utilitaires cotée alors sur le marché Euronext Paris ; qu'après l'ouverture, le 1er décembre 2009, d'une enquête portant sur le marché du titre ADA à compter du 1er janvier 2009 et au vu de ses conclusions, qui ont révélé que la société Tocqueville Finance et son directeur général délégué, M.B..., avaient procédé durant cette période à des acquisitions massives sur le marché du titre ADA, le collège de l'AMF a notifié aux intéressés le grief d'avoir procédé à des manipulations de cours ; que, par une décision du 28 octobre 2011, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à l'encontre de M. B... un blâme et une sanction pécuniaire de 250 000 euros et ordonné la publication de sa décision, au motif des manipulations de cours auxquelles celui-ci s'est livré sur le marché ; que M. B...demande l'annulation de cette sanction ainsi que de la décision par laquelle la commission des sanctions en a ordonné la publication ;

Sur la régularité de la décision attaquée :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du troisième alinéa du I de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière : " Un membre du collège, ayant examiné le rapport d'enquête ou de contrôle et pris part à la décision d'ouverture d'une procédure de sanction, est convoqué à l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou représenté par les services de l'Autorité des marchés financiers. Il peut présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une sanction. " ; que la faculté ainsi ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci ; qu'eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la commission des sanctions ainsi qu'à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de s'exprimer en dernier lieu, ni le caractère contradictoire de la procédure ni le principe des droits de la défense rappelés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique, contrairement à ce qui est soutenu, que la proposition de sanction formulée lors de l'audience par le membre du collège fasse l'objet d'un rapport et soit communiquée préalablement aux personnes poursuivies ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de communication au requérant, préalablement à l'audience, des observations du membre du collège, doit être écarté ;

3. Considérant, en second lieu, que si l'obligation de motivation à laquelle sont assujetties les sanctions prononcées par la commission des sanctions implique que celles-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, elle n'impose pas qu'il soit répondu à l'intégralité des arguments invoqués devant la commission ; que, par ailleurs, aucun texte ni aucun principe ne requiert que la décision rendue par cette autorité administrative, qui n'est pas une juridiction au regard du droit interne, analyse expressément, dans ses visas ou dans ses motifs, l'ensemble des arguments présentés en défense ; qu'il suit de là que M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision de la commission des sanctions serait, faute d'y avoir procédé, insuffisamment motivée ;

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

4. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " II.- La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : (...) / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent : / -un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1 admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; / - un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à l'alinéa précédent (...) " ; que pour l'application de ces dispositions, l'article 631-1 du règlement général de l'AMF prévoit que : " (...) Constitue une manipulation de cours : / 1° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres : / a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ou ; / b) Qui fixent, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, / à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ; (...) " ; que l'article 631-2 du même règlement général précise que : " Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l'article 631-1 : / 1° L'importance de la part du volume quotidien des transactions représentée par les ordres émis ou les opérations effectuées sur l'instrument financier concerné, en particulier lorsque ces interventions entraînent une variation sensible du cours de cet instrument ou de l'instrument sous-jacent ; / 2° L'importance de la variation du cours de cet instrument ou de l'instrument sous-jacent ou dérivé correspondant admis à la négociation sur un marché réglementé, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un instrument financier ; (...) " ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions qu'à défaut de preuve matérielle, la manipulation de cours peut être établie par un faisceau d'indices concordants ; qu'une telle manipulation est présumée avérée si la commission des sanctions établit qu'une ou plusieurs interventions inhabituelles sur un marché ont eu pour objet et pour effet de fixer le cours d'instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel ; que, toutefois, cette présomption est susceptible d'être renversée si la personne mise en cause établit la légitimité des raisons de ses interventions sur le marché ; que, contrairement à ce qui est soutenu, aucun texte ni principe n'impose que la manipulation de cours sanctionnée par la loi ne puisse être légalement constituée que lorsque l'action mise en oeuvre afin de parvenir à une variation anormale du cours a pour but un gain immédiat ; que, dans ces conditions, les éléments constitutifs de l'infraction de manipulation de cours, qui sont définis de manière suffisamment claire et précise, ne méconnaissent ni le principe de légalité des délits ni celui de présomption d'innocence ; qu'en se fondant sur la réunion de tels éléments pour caractériser ce manquement, la commission des sanctions n'a donc entaché sa décision d'aucune erreur de droit ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que le 26 juin 2009, M. B...a acquis, pour le compte du fonds commun de placement Ulysse qu'il gérait pour le compte de la société Tocqueville Finance, des titres de la société ADA pour une quantité représentant 99,99 % du volume des transactions effectuées ce jour et correspondant à environ 120 fois la moyenne quotidienne des volumes échangés durant les six mois précédents ; que ces interventions ont été conduites dans un délai très bref selon des modalités permettant tout à la fois de provoquer une forte hausse du cours de l'action, dont la valeur a progressé de 41,25 % par rapport à son cours d'ouverture, tout en évitant artificiellement une suspension de sa cotation ; qu'ainsi, au regard du volume quotidien des transactions représentées par les ordres émis, de l'importance de la variation du cours en ayant résulté sur une seule journée - la circonstance que la valeur moyenne des achats réalisés par la société ne représente qu'une augmentation moyenne de 18 % par rapport au cours d'ouverture étant sans incidence sur ce dernier point - et de la finalité du mode opératoire suivi, la commission des sanctions a pu, à bon droit, estimer que ces agissements avaient eu pour objet et pour effet, en l'absence de toute autre intervention extérieure ou de tout élément objectif relatif à l'évolution de la situation de la société ADA ou à sa communication financière, de fixer le cours du titre à un niveau artificiel et devaient donc être regardés comme de nature à créer une présomption de manipulation de cours ; que la circonstance, invoquée par le requérant, selon laquelle le niveau du cours de l'action se serait maintenu dans les mois suivants est sans incidence sur cette qualification dès lors qu'il résulte de l'instruction que ce maintien temporaire est dû non seulement à la faible liquidité du titre mais également et principalement à de nouvelles interventions sur le marché de la société Tocqueville Finance ou de M. B...en son nom propre dans les mois qui ont suivi ;

7. Considérant que si M. B...fait valoir que les procédés mis en oeuvre le 26 juin 2009 lui auraient permis d'acquérir un fort volume de titres ADA à un prix moyen inférieur à celui auquel le fonds Ulysse avait antérieurement acquis des actions de la même société et relevait d'une stratégie d'investissement à long terme destinée à augmenter la participation du fonds dans des entreprises dont il estimait que la valorisation était sous-cotée, il résulte de l'instruction que la méthode utilisée était, en l'état du marché et au vu de la brièveté de l'opération, incompatible avec la stratégie alléguée mais a, au contraire, conduit à faire supporter à ses clients l'acquisition de titres à un cours manifestement plus élevé que celui auquel de mêmes achats auraient pu être menés sur une période plus longue ; que non seulement, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la méthode d'achats employée avait pour finalité d'éviter une suspension du cours, en méconnaissance de la réglementation du marché concerné, mais qu'en outre, il résulte de l'instruction que les ordres d'achat litigieux ont été passés alors que la société Tocqueville Finance était en pourparlers avec la société G7, actionnaire majoritaire de la société ADA, en vue d'un éventuel rachat des titres détenus par la première ; que, dans ces conditions, les opérations litigieuses ne peuvent être regardées comme ayant été conduites pour des motifs légitimes mais seulement pour obtenir un prix de rachat artificiellement favorable des titres ADA par la société G7 ; que, dès lors, c'est à bon droit que la commission des sanctions a estimé que les opérations effectuées par M. B...étaient constitutives d'une manipulation de cours au sens des dispositions rappelées au point 4 ;

Sur le caractère proportionné de la sanction pécuniaire prononcée :

8. Considérant que s'il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'AMF, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée, il ne résulte pas de l'instruction qu'en infligeant à M. B...un blâme et une sanction pécuniaire de 250 000 euros, la commission des sanctions ait, dans les circonstances de l'espèce, infligé une sanction disproportionnée au regard de la gravité et de la nature des manquements reprochés ainsi que de la situation financière de l'intéressé ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation ni la réformation de la sanction qui lui a été infligée ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité des marchés financiers qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B...la somme de 3 000 euros à verser à l'Autorité des marchés financiers, au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : M. B...versera à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Monsieur A...B..., à l'Autorité des marchés financiers et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 356476
Date de la décision : 20/03/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

13-01-02-01 CAPITAUX, MONNAIE, BANQUES. CAPITAUX. OPÉRATIONS DE BOURSE. AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS. - MANIPULATION DE COURS - RECOURS, PAR LA COMMISSION DES SANCTIONS DE L'AMF, À LA MÉTHODE DU FAISCEAU D'INDICES - LÉGALITÉ - EXISTENCE [RJ1] - POSSIBILITÉ DE RENVERSER CETTE PRÉSOMPTION - EXISTENCE - CONDITIONS.

13-01-02-01 A défaut de preuve matérielle, la manipulation de cours peut être établie par un faisceau d'indices concordants. Une telle manipulation est présumée avérée si la commission des sanctions établit qu'une ou plusieurs interventions inhabituelles sur un marché ont eu pour objet et pour effet de fixer le cours d'instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, aucun texte ni principe n'imposant que la manipulation de cours sanctionnée par la loi ne puisse être légalement constituée que lorsque l'action mise en oeuvre afin de parvenir à une variation anormale du cours a pour but un gain immédiat. Toutefois, cette présomption est susceptible d'être renversée si la personne mise en cause établit la légitimité des raisons de ses interventions sur le marché.


Références :

[RJ1]

Rappr., pour la détention d'une information privilégiée caractérisant un délit d'initié, CE, 30 décembre 2010, Thiriet, n° 326987, p. 548.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2013, n° 356476
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU, BAUER-VIOLAS ; SCP VINCENT, OHL

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:356476.20130320
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