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03/02/1986 | FRANCE | N°43224

France | France, Conseil d'État, 8 / 7 ssr, 03 février 1986, 43224


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 juin 1982 et 11 octobre 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Y..., demeurant à "La Pierre X..." à Manissieux Rhône , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- réforme le jugement en date du 12 avril 1982 en ce que le tribunal administratif de Lyon y rejette sa demande en réduction de suppléments d'impôt sur le revenu, d'une part, de majorations exceptionnelles du même impôt, d'autre part, auxquels il a été assujetti dans les rôles de la commune de Manissieux, en

totalité pour ce qui concerne celles de ces cotisations qui sont établ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 juin 1982 et 11 octobre 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Y..., demeurant à "La Pierre X..." à Manissieux Rhône , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1- réforme le jugement en date du 12 avril 1982 en ce que le tribunal administratif de Lyon y rejette sa demande en réduction de suppléments d'impôt sur le revenu, d'une part, de majorations exceptionnelles du même impôt, d'autre part, auxquels il a été assujetti dans les rôles de la commune de Manissieux, en totalité pour ce qui concerne celles de ces cotisations qui sont établies au titre de 1972, 1973 et 1975, en partie en ce qui concerne la cotisation de 1974 ;
2- lui accorde les réductions demandées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Vu la loi du 29 décembre 1983, portant loi de finances pour 1984, notamment son article 93-II ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Quandalle, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Martin Martinière, Ricard, avocat de M. René Y...,
- les conclusions de M. Chahid-Nouraï, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration a, d'une part, redressé le montant des revenus fonciers perçus par M. Y... au titre des années 1972 à 1975 à raison des droits qu'il détenait dans la société civile immobilière Rocha, dont il était l'un des associés et, d'autre part, ajouté aux revenus de l'intéressé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des années 1972, 1973 et 1974 les sommes que la société anonyme Socome avait versées à M. Y..., son président-directeur général et son principal actionnaire, et qui correspondaient aux produits de l'indexation d'un prêt qu'il avait consenti à cette société ; que les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu dont M. Y... était redevable au titre des années 1972 à 1975 ont été rehaussées en conséquence ; que par jugement en date du 22 avril 1982, le tribunal administratif de Lyon a retranché du montant du revenu imposé au titre de l'année 1974 la somme résultant du rehaussement des revenus de capitaux mobiliers prononcé dans les conditions ci-dessus exposées, a alloué la réduction d'impôt sur le revenu corrélative, et a rejeté les surplus des conclusions dont il était saisi ; que M. Y... et, par voie de recours incident, le ministre délégué, chargé du budget, font appel de ce jugement ;
En ce qui concerne la requête de M. Y... :
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que dans sa requête introductive d'instance, M. Y... s'est borné à contester le bien-fondé des impositions en litige ; que c'est seulement dans un mémoire ampliatif, présenté après l'expiration de délai d'appel, qu'il a soulevé le moyen selon lequel le tribnal administratif n'avait pas suffisamment motivé son jugement ; qu'il a ainsi émis une prétention fondée sur une cause juridique distincte constituant une demande nouvelle qui, ayant été présentée tardivement, n'est pas recevable ;

Mais considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision en date du 6 septembre 1979, postérieure à l'enregistrement de la demande devant le tribunal administratif, le directeur des services fiscaux de la région Rhône-Alpes a réduit les cotisations supplémentaires, d'une part, d'impôt sur le revenu, mises à la charge de M. Y... au titre de 1972, 1973, 1974 et 1975 des sommes respectives de 25 440 F, 21 840 F, 13 740 F, 8 520 F, d'autre part de la majoration exceptionnelle du même impôt au titre des années 1973 et 1975 pour des montants respectifs de 3 727 F et de 681 F ; qu'à concurrence de ces sommes, la demande de M. Y... était devenue sans objet ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'annuler sur ce point le jugement attaqué, d'évoquer les conclusions de la demande ainsi devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de décider qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
Au fond :
Sur les revenus fonciers :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années d'imposition la société Rocha a donné à la société Socome, la jouissance de deux terrains sis à Lyon, ayant ensemble une surface de 3890 m2 et qu'elle a perçu en contrepartie une somme de 500 F en 1972 et 1973, et 900 F en 1974 et 1975 ; qu'elle a également laissé à la même société la jouissance d'un autre terrain sis à Saint-Priest Rhône , d'une superficie de 28 510 m2 moyennant un versement annuel de 400 F jusqu'au 25 octobre 1973, date à laquelle, en vertu d'un bail à construction passé le même jour, ce versement a été porté à 10 000 F ; qu'enfin, en 1972, la société Rocha a laissé à la société Fermar, société civile dont M. Y... est le principal associé, la jouissance gratuite pendant cette année, d'un terrain de 51 090 m2, également situé à Saint-Priest, moyennant un loyer annuel de 1 000 F, à partir de 1973 ; que si, pour la détermination des revenus fonciers de la société Rocha, l'administration a admis au titre des années 1974 et 1975 le montant susmentionné de 10 000 F du loyer versé par la société Socome, elle a, en revanche, regardé les autres loyers comme sous-estimés et en a porté le montant à celui de la valeur locative attribuée à chacun des terrains concernés ; que M. Y... ayant contesté ces évaluations dans le délai prévu à l'article 1649 quinquies A du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'espèce, il appartient à l'administration de justifier le bien-fondé des estimations qu'elle a retenues ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que, dans chaque cas, les valeurs locatives retenues par l'administration sont inférieures à 5 % de la valeur vénale des terrains dont il s'agit, elle-même déterminée en se référant à des transactions effectuées au cours des années en litige ;
Considérant, d'autre part, que si M. Y... soutient qu'aux termes des contrats passés avec la Société FERMAR et, pour les terrains de Lyon, avec la Société Socome, la société Rocha devenait propriétaire des constructions élevées par ces dernières et que la modicité des versements dont elle se satisfaisait avait cet avantage pour contre-partie, il ne produit pas ces contrats et, par suite, ne justifie pas cette allégation ; que la longue durée du bail consenti à la société Fermar n'est pas davantage de nature à justifier par elle-même un loyer minoré ; que, si le bail, en date du 25 octobre 1973, afférent à la location à la société Socome du terrain de 28 510 m2 de Saint-Priest, en faisait rétroagir l'effet au 1er janvier 1966, il ne résulte pas de cette stipulation que le loyer annuel de 10 000 F prévu par le bail et dont l'administration a admis le montant pour les années 1974 et 1975, corresponde pour les années 1972 et 1973 à la valeur locative réelle de ce terrain et qu'ainsi soit réfutée l'évaluation différente que l'administration a retenue au titre de ces deux dernières années ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à soutenir que l'administration n'a pas justifié le montant des revenus fonciers de la société Rocha à partir desquels il l'a imposé ;
Sur les revenus de capitaux mobiliers :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que par une convention approuvée le 18 juillet 1966 par le conseil d'administration de la société Socome, M. Y... a accepté de transformer en un prêt, à concurrence de 850 000 F, le crédit dont il disposait sur deux comptes courants ouverts dans les écritures de ladite société ; qu'expressément stipulé comme non productif d'intérêts, le capital prêté était en revanche indexé pour une moitié sur le prix du cuivre, pour l'autre sur celui de la main-d'oeuvre ; que ce contrat, initialement conclu pour une période de trois ans, ultérieurement réduite à deux ans et renouvelable par tacite reconduction à chaque échéance est venu à expiration le 31 décembre 1974 ; que sans attendre cette date, la société a mis à la disposition de M. Y... le 31 décembre de chacune des années 1972 et 1973, par inscription au compte courant de celui-ci dans les écritures de la société, la somme correspondant au jeu de l'indexation au cours de l'année écoulée, et a porté ladite somme dans ses charges d'exploitation ; que l'administration, estimant que ces sommes n'étaient pas une charge imputable sur le résultat de la société et constituaient au sens des articles 109-1-1° et 110 du code général des impôts des distributions de revenus, en a réintégré le montant à concurrence de 11 347 F en 1972 et 68 000 F en 1973 à l'assiette de l'impôt sur le revenu de M. Y... au titre de chacune de ces années ; que le requérant conteste cette réintégration dont le ministre délégué chargé du budget demande le maintien en soutenant, dans le dernier état de ses conclusions, que ces versements doivent être regardés comme correspondant aux produits perçus par M. Y... de la créance qu'il détenait sur la société Socome ;

Considérant qu'aux termes de l'article 124 du code général des impôts : "Sont considérés comme revenus au sens du présent article... les intérêts, arrérages et tous autres produits... : 1° Des créances hypothécaires, privilégiées et chirographaires... 2° Des dépôts de sommes d'argent à vue ou à échéance fixe, quel que soit le dépositaire et quelle que soit l'affectation du dépôt... 4° Des comptes courants" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que toute somme versée conformément aux prévisions d'un contrat de prêt d'une somme d'argent et qui ne correspond pas à un remboursement partiel ou total du capital prêté est un produit de créance imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; que dans le cas où à défaut de stipulation d'intérêt, un contrat de prêt, est, comme en l'espèce, assorti, dans des conditions conformes à la législation applicable en la matière, d'une clause d'indexation, le profit résultant du jeu de cette clause en cas de hausse de l'indice ne peut être regardé comme un gain en capital qu'à la condition que le montant en soit évalué et le paiement effectué à l'échéance prévue par le contrat pour le remboursement du capital ; qu'en revanche, dans le cas où, conformément à la commune intention des parties, l'évaluation et le paiement du produit éventuel de l'indexation sont effectués à une échéance antérieure à celle fixée par le contrat pour le remboursement du prêt, la clause d'indexation n'a plus d'autre effet que de permettre, en cas de hausse de l'indice, une rétribution périodique du capital emprunté sous une modalité particulière ; que la somme correpondante qui, malgré son caractère aléatoire, n'est pas alors d'une nature différente de celle de tout autre produit de créance, est passible de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 124 du code ;

Considérant qu'il résulte clairement des stipulations de la convention susvisée en date du 18 juillet 1966, régulièrement intervenue entre la société Socome et M. Y... ainsi que des avenants qui l'ont modifiée ou complétée, que le remboursement du capital prêté n'était exigible ni au 31 décembre 1972, ni au 31 décembre 1973 ; qu'il suit de là que les sommes versées à chacune de ces échéances à M. Y... doivent être regardées comme des produits de la créance de ce dernier sur la société Socome, et soumises à l'impôt sur le revenu sur le fondement des dispositions précitées de l'article 124 ; que, par suite, M. Y... n'est pas fondé à critiquer l'inclusion de ces produits dans ses bases d'imposition au titre des années susmentionnées ;
En ce qui concerne le recours incident du ministre :
Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que lorsque le paiement de sommes correspondant au produit d'une indexation est échelonné, même pour partie, sur d'autres dates que celles des échéances finales ou partielles du prêt, chacun des réglements fractionnés constitue un revenu au sens des dispositions ci-dessus rappelées de l'article 124 du code ; qu'ainsi, dès lors que la somme prêtée a, comme en l'espèce, été en fait rémunérée, pendant toute la durée du contrat, au moyen de versements à échéances annuelles, la seule circonstance que le dernier des versements annuels a été effectué à la date contractuelle, fixée en l'espèce au 31 décembre 1974, pour le remboursement du capital prêté n'a pas pour effet de conférer audit versement une nature différente de celle des versements qui l'ont précédé en application de la même clause d'indexation ; que, par suite, le ministre est fondé par la voie du recours incident à demander sur le fondement des dispositions précitées de l'article 124 du code, que le montant du versement dont a bénéficié, dans les conditions susexposées, M. Y... le 31 décembre 1974 soit réintégré dans les bases taxables de ce dernier à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre de l'année 1974 et que soit annulé le jugement attaqué du tribunal administratif en tant qu'il a distrait cette somme desdites bases ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 22 avril 1982 est annulé en tant qu'il statue à concurrence, respectivement, de 25 440 F en 1972, 25 567 F en 1973, 13 740 F en 1974, 9 201 F en 1975 sur les conclusions de la demande de M. Y... tendant à la réduction de l'impôt sur le revenu mis à la charge de celui-ci au titre desdites années et de la majoration exceptionnelle au titre des années 1973 et 1975.

Article 2 : A concurrence des sommes mentionnées à l'article 1erci-dessus, au titre respectivement des années d'imposition 1972, 1973, 1974, 1975 il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. Y... devant le tribunal administratif.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Y... est rejeté.

Article 4 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif deLyon en date du 22 avril 1982 est annulé.

Article 5 : M. Y... est rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu, mis en recouvrement à Minissieux Rhône au titre de 1974, sous réserve du dégrèvement que le directeur des services fiscaux de la région Rhône-Alpes lui a alloué par sa décision du 6 septembre 1979.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Y... et au ministre de l'économie, des finances et du budget.


Synthèse
Formation : 8 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 43224
Date de la décision : 03/02/1986
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-02-03,RJ1 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES -Généralités - Produits de l'indexation d'un prêt lorsque l'évaluation et le paiement sont effectués à une échéance antérieure à celle fixée par le contrat pour le remboursement du prêt [1] - Constituent des revenus de capitaux mobiliers.

19-04-02-03 En vertu de l'article 124 du C.G.I., toute somme versée conformément aux prévisions d'un contrat de prêt d'une somme d'argent et qui ne correspond pas à un remboursement partiel ou total du capital prêté est un produit de créance imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Dans le cas où, à défaut de stipulations d'intérêt, un contrat de prêt est assorti, dans des conditions conformes à la législation applicable en la matière, d'une clause d'indexation, le profit résultant du jeu de cette clause en cas de hausse de l'indice ne peut être regardé comme un gain en capital qu'à la condition que le montant en soit évalué et le paiement effectué à l'échéance prévue par le contrat pour le remboursement du capital. En revanche, dans le cas où, conformément à la commune intention des parties, l'évaluation et le paiement du produit éventuel de l'indexation sont effectués à une échéance antérieure à celle fixée par le contrat pour le remboursement du prêt, la clause d'indexation n'a plus d'autre effet que de permettre, en cas de hausse de l'indice, une rétribution périodique du capital emprunté selon une modalité particulière. La somme correspondante qui, malgré son caractère aléatoire, n'est pas alors d'une nature différente de celle de tout autre produit de créance, est passible de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement de l'article 124 du code [1].


Références :

CGI 1649 quinquiès A, 124

1.

Cf. Plénière, 1981-05-08, 8295


Publications
Proposition de citation : CE, 03 fév. 1986, n° 43224
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. M. Bernard
Rapporteur ?: M. Quandalle
Rapporteur public ?: M. Chahid-Nouraï

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1986:43224.19860203
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