Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 mai 1982 et 25 août 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Marie-France Y..., demeurant chez Mme X... à Labarthe-Rivière, Saint-Gaudens 31800 , et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement en date du 10 mars 1982 en tant que par ledit jugement le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté en date du 22 décembre 1978 par lequel le ministre de l'éducation l'a radiée des cadres pour abandon de poste et d'autre part, à la réparation de divers préjudices que lui ont causés les décisions illégales dont elle a été l'objet ;
2° annule ledit arrêté en date du 22 décembre 1978 et la décision refusant de lui délivrer le certificat d'exercice en 1978 ;
3° condamne l'Etat à lui verser des indemnités à raison des préjudices que lui ont causés l'arrêté du 5 novembre 1973 annulé la mettant d'office en position de congé sans traitement, la décision implicite résultant du silence gardé par le ministre de l'éducation sur sa demande du 2 mars 1978 tendant à son affectation à Saint-Gaudens, l'arrêté du recteur d'académie de Toulouse du 5 septembre 1978 la nommant à titre provisoire au collège de Saint-Béat, les décisions en date des 4 et 17 octobre 1978 lui enjoignant de rejoindre son poste à Saint-Girons ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Durand-Viel, Maître des requêtes,
- les observations de Me Jousselin, avocat de Mlle Marie-France Y...,
- les conclusions de Mme Laroque, Commissaire du gouvernement ;
En ce qui concerne le préjudice résultant de l'arrêté illégal du 5 novembre 1973 :
Considérant, en premier lieu, que si Mlle Y... ne peut prétendre au rappel de son traitement en l'absence de service fait, elle est fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle a réellement subi pour avoir été placée d'office en congé sans traitement par un arrêté du 5 novembre 1973 du ministre de l'éducation nationale annulé par une décision du 18 novembre 1977 du Conseil d'Etat statuant au Contentieux ; que le montant de l'indemnité à laquelle elle a droit doit être fixé en tenant compte à la fois de l'irrégularité entachant l'arrêté annulé et du comportement de Mlle Y... qui a refusé de se soumettre à un examen médical destiné à apprécier son aptitude à la poursuite de ses fonctions de professeur certifié ; que le tribunal administratif de Toulouse, s'il a à bon droit alloué à Mlle Y... en réparation des préjudices qu'elle invoque, une indemnité égale aux traitements dont elle a été privée du 18 octobre 1973 au 17 avril 1978 du fait de la mesure irrégulière prise à son encontre, a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'affaire en lui refusant toute indemnsation du trouble porté dans ses conditions d'existence ; qu'il y a lieu d'allouer à Mlle Y... de ce chef une indemnité de 5 000 F y compris tous intérêts au jour de la présente décision ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'indemnité représentative de la perte de traitement a été calculée, ainsi qu'elle devait l'être, sur la base des indices en vigueur pendant la période d'éviction de Mlle Y... ; que le préjudice résultant de la diminution de la valeur de la monnaie n'est pas de ceux qui peuvent ouvrir droit à réparation ; que, par suite, Mlle Y... ne peut prétendre à la réévaluation du montant de l'indemnité qui lui a été versée sur la base de la valeur des indices de traitement au jour du règlement de cette indemnité ;
Considérant, en troisième lieu, que les divers frais exposés par Mlle Y... à l'occasion des instances engagées par elle, notamment la charge des honoraires versés à son avocat, n'ont pas le caractère d'un préjudice indemnisable ;
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le tribunal administratif a omis de statuer sur ces conclusions ; que le jugement attaqué doit être dans cette mesure annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mlle Y... ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale :
Considérant que la réclamation présentée par Mlle Y... au ministre de l'éducation le 8 décembre 1977 tendait notamment au versement des intérêts de l'indemnité demandée ; que, par suite, le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que, faute de demande préalable sur ce point, le contentieux n'était pas lié ;
Au fond :
Considérant qu'il y a lieu de condamner l'Etat au versement des intérêts au taux légal de la somme de 196 850,91 F à compter de la date de réception de sa demande du 8 décembre 1977 et jusqu'à la date du versement de cette somme ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 7 juin 1978 ; qu'à cette date, il n'était pas dû une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de rejeter cette demande ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant des décisions relatives à l'affectation de Mlle Y... en 1978 et annulées par le tribunal administratif de Toulouse :
Considérant que ces conclusions n'ont pas été présentées au préalable au ministre de l'éducation et n'ont pas fait l'objet d'une réponse au fond de celui-ci devant le tribunal administratif de Toulouse ; qu'ainsi, n'est intervenue aucune décision de nature à lier le contentieux ; que, dès lors, Mlle Y... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a déclaré irrecevables les conclusions susmentionnées ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 décembre 1978 du ministre de l'éducation nationale radiant des cadres Mlle Y... :
Considérant qu'il n'est pas contesté que Mlle Y... a refusé de rejoindre le poste auquel elle a été affectée au collège de Saint-Girons par décision du recteur de l'académie de Toulouse en date du 4 octobre 1978, sans tenir compte de la mise en demeure contenue dans la lettre du ministre de l'éducation nationale en date du 17 octobre 1978 ; que la décision d'affectation, dont elle contestait la légalité et qui a d'ailleurs été annulée par le jugement attaqué, n'était pas de nature à compromettre un intérêt public ; qu'elle s'est ainsi placée hors des garanties que comportait son statut ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision la radiant des cadres ;
En ce qui concerne les conclusions relatives à la délivrance d'un certificat d'exercice pour la période du 18 octobre 1973 au 16 avril 1978 :
Considérant que Mlle Y... a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le ministre de l'éducation a refusé de lui délivrer un "certificat d'exercice" ; que ce certificat est une des pièces nécessaires à la constitution du dossier de pension ; que par suite Mlle Y... était en droit d'en obtenir la délivrance et que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande, sur ce point ;
Article 1er : Le jugement susvisé en date du 10 mars 1982 est annulé en tant que par ledit jugement le tribunal administratif de Toulouse a omis de statuer sur la demande de Mlle Y... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les intérêts et les intérêts des intérêts de l'indemnité de 196 800,91 F qui lui a été versée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mlle Y... les intérêts de la somme de 196 800,91 F à compter de la réception de sa demande du 8 décembre 1977 jusqu'à la date du versement de ladite somme.
Article 3 : La demande de capitalisation des intérêts du 7 juin 1978 est rejetée.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à Mlle Y... la somme de 5 000 F. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Article 5 : La décision implicite du ministre de l'éducation nationale refusant de délivrer à Mlle Y... le certificat d'exercice pour la période du 18 octobre 1973 au 16 avril 1978 est annulée.
Article 6 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Toulouse en date du 10 mars 1982 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlle Y... est rejeté.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à Mlle Y... et au ministre de l'éducation nationale.