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10/05/1989 | FRANCE | N°69049

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 10 mai 1989, 69049


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 29 mai 1985 et 30 septembre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Y... RINCE, demeurant ..., agissant tant en son nom personnel qu'en celui de ses enfants mineurs, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 26 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat, la commune d'Aiguines, le département du Var, Electricité de France et le syndicat mixte d'aménagement du Verdon lui versent diverses ind

emnités en réparation du préjudice subi par elle même et ses enf...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 29 mai 1985 et 30 septembre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Y... RINCE, demeurant ..., agissant tant en son nom personnel qu'en celui de ses enfants mineurs, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 26 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat, la commune d'Aiguines, le département du Var, Electricité de France et le syndicat mixte d'aménagement du Verdon lui versent diverses indemnités en réparation du préjudice subi par elle même et ses enfants à la suite du décès par hydrocution de M. X... Rince, le 10 août 1981, alors qu'il se baignait dans le lac de Sainte-Croix,
2°) condamne l'Etat, la commune d'Aiguines, le département du Var, Electricité de France et le syndicat mixte d'aménagement du Verdon à lui verser les sommes de 11 096 020 F et de 557 751,96 F, en réparation du préjudice matériel subi respectivement par elle-même et par ses enfants, ainsi que les sommes de 200 000 F et de 300 000 F, en réparation du préjudice moral subi respectivement par elle-même et par ses enfants,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code des communes ;
Vu le décret n° 73-912 du 21 septembre 1973 modifié par le décret n° 77-330 du 28 mars 1977 portant règlement général de police de la navigation intérieure ;
Vu le décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Maugüé, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Delaporte, Briard, avocat de Mme Z..., de la S.C.P. Boré, Xavier, avocat du département du Var, de la S.C.P. Vier, Barthélémy, avocat du syndicat mixte d'aménagement de la région du Verdon, de la S.C.P. Coutard, Mayer, avocat d'Electricité de France et de Me Copper-Royer, avocat de la commune d'Aiguines,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que dans le dernier état de ses conclusions Mme Z... met seulement en cause la responsabilité encourue par la commune d' Aiguines et par l'Etat dans l'accident mortel dont son mari a été victime le 10 août 1981 alors qu'il se baignait dans le lac de Sainte-Croix, au lieudit "Plan de Vernis", sur le territoire de la commune d'Aiguines ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 131-2 du code des communes, la police municipale comporte notamment "le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ..., de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ;
Considérant que la responsabilité des mesures particulières destinées à assurer la sécurité et le sauvetage des baigneurs sur le territoire de la commune d'Aiguines incombait au maire de cette commune ; que la carence du maire ne saurait engager que la responsabilité de la commune ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du décret du 21 septembre 1973 portant règlement général de la navigation intérieure, modifié par le décret du 28 mars 1977, la police de la navigation sur les fleuves, rivières, lacs, retenues et étangs d'eau douce est régie par le règlement général de police de la navigation intérieure ainsi que par des règlements particuliers pris pour son exécution ; qu'en l'espèce, les préfets des Alpes de Haute-Provence et du Var ont, par un arrêté interpréfectoral en date du 16 août 1978, réglementé la navigation et les activités sportives et touristiques sur le lac de Sainte-Croix ; que cet arrêté précisait que la mise en place et l'entretien de la signalisation doivent être assurés par les communes limitrophes du plan d'eau ; que la carence alléguée par la requérante en ce qui concerne la signalisation aux abords du lac ne saurait donc engager la responsabilité de l'Etat au titre de la police spéciale de la navigation intérieure qu'exerce le préfet dans son département ; que, par suite, les conclusions de Mme Z... dirigées contre l'Etat doivent être rejetées ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Z... s'est noyé alors qu'il se baignait au bord d'une plage qui, si elle n'avait pas été aménagée en vue de la baignade, était habituellement fréquentée par de nombreux baigneurs, était située en bordure d'un camping municipal et à proximité de laquelle se trouvaient des commerces ambulants et des activités de location de matériel nautique ; que le médecin de permanence du centre médical d'Aups et les sapeurs pompiers de Bauduen, alertés depuis le poste téléphonique le plus proche, distant d'environ trois kilomètres du lieu de la baignade, ne sont parvenus sur les lieux qu'une heure environ après l'accident ; et que, en dépit des tentatives de réanimation, la victime est décédée durant son transport à l'hôpital ;
Considérant que dans ces conditions, et alors que l'attention des services municipaux avait été appelée à plusieurs reprises sur les dangers courus par les baigneurs et sur les insuffisances des dispositifs d'alerte et de secours, l'absence à proximité des lieux de baignade, de tout moyen permettant d'alerter rapidement un centre de secours a constitué de la part du maire d'Aiguines une faute dans l'exercice des pouvoirs qu'il tenait de l'article L. 131-2 du code des communes ;
Considérant qu'en l'absence de toute imprudence établie de la victime, cette faute est de nature à engager l'entière responsabilité de la commune envers Mme Z... et ses enfants ; que Mme Z... est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande d'indemnité qu'elle avait présentée conjointement avec ses enfants ;
Sur l'indemnité :

Considérant que le décès de M. Z... a causé à sa femme et à ses trois enfants qui étaient mineurs à l'époque de l'accident un préjudice moral qui doit être évalué à 30 000 F pour Mme Z... et pour chacun de ses trois enfants, soit au total 120 000 F ;
Considérant que le préjudice matériel subi par Mme Z... et ses enfants du fait du décès de M. Z... ne peut, en l'état de l'instruction, être déterminé ; que, par suite, il y a lieu de renvoyer la commune d'Aiguines et Mme Z... devant le tribunal administratif de Nice pour qu'il soit statué sur le montant de l'indemnité qui est due à cette dernière ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que Mme Z... et ses enfants ont droit aux intérêts au taux légal afférents à l'indemnité de 120 000 F qui leur est accordée par la présente décision à compter de la date de réception par le maire d'Aiguines de la demande d'indemnité en date du 27 janvier 1983 ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 17 mars 1987 et le 19 avril 1989 ; qu'à ces dates il était dû au moins quatre années d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 1er du décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la commune d'Aiguines à verser à Mme Z... une somme de 5 000 F ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 26 mars 1985 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Mme Z... dirigées contre la commune d'Aiguines.
Article 2 : La commune d'Aiguines est condamnée à verser à titre personnel à Mme Z... une indemnité de 30 000 F et à Mme Z... en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs une somme de 90 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 1983. Les intérêts échus le 17 mars 1987 et le 19 avril 1989 seront capitalisésà ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La commune d'Aiguines et Mme Z... sont renvoyées devant le tribunal administratif de Nice afin qu'il soit statué sur le montant de l'indemnité pour préjudice matériel qui est due à cette dernière et à ses enfants.
Article 4 : La commune d'Aiguines est condamnée à verser à Mme Z... une somme de 5 000 F au titre de l'article 1er du décret n° 88-907 du 2 septembre 1988.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Z... est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Z..., à la commune d'Aiguines, au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 69049
Date de la décision : 10/05/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COMMUNE - POLICE MUNICIPALE - POLICE DE LA SECURITE - POLICE DES LIEUX DANGEREUX - LIEUX DE BAIGNADE - SIGNALISATION - Décès par hydrocution - Mise en place et entretien de la signalisation devant être assurés par les communes limitrophes du plan d'eau.

COMMUNE - POLICE MUNICIPALE - POLICE DE LA SECURITE - POLICE DES LIEUX DANGEREUX - LIEUX DE BAIGNADE - ORGANISATION DES SECOURS - Baignade non aménagée mais fréquentée de manière régulière et importante - Obligation de prendre les mesures nécessaires à l'intervention rapide des secours en cas d'accident.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - POLICE MUNICIPALE - POLICE DE LA SECURITE - BAIGNADE - Absence de tout moyen d'alerte des services de secours à proximité d'une baignade non aménagée mais très fréquentée.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MORAL.


Références :

. Code des communes L131-2
. Décret 77-330 du 28 mars 1977
. Décret 88-907 du 02 septembre 1988 art. 1
Code civil 1154
Décret 73-912 du 21 septembre 1973


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 1989, n° 69049
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maugüé
Rapporteur public ?: Stirn

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:69049.19890510
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