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11/12/1991 | FRANCE | N°81588

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 11 décembre 1991, 81588


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 27 août 1986 et 19 décembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société à responsabilité limitée, société niçoise pour l'extension de l'aéroport (SONEXA), dont le siège social est ... ; la société à responsabilité limitée Niçoise pour l'extension de l'aéroport demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 20 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie

de Nice et des Alpes-Maritimes à lui verser des indemnités en réparation du pr...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 27 août 1986 et 19 décembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société à responsabilité limitée, société niçoise pour l'extension de l'aéroport (SONEXA), dont le siège social est ... ; la société à responsabilité limitée Niçoise pour l'extension de l'aéroport demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 20 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie de Nice et des Alpes-Maritimes à lui verser des indemnités en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'effondrement de la digue et du remblai construit en vue de l'extension de l'aéroport,
2°) condamne la chambre de commerce et d'industrie à lui verser une indemnité de 23 332 506,82 F hors taxe avec les intérêts de droit, la taxe sur la valeur ajoutée et les intérêts des intérêts,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Bellescize, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Boré, Xavier, avocat de la société à responsabilité limitée Niçoise pour l'extension de l'aéroport (SONEXA) et de Me Cossa, avocat de la Chambre de commerce et d'industrie de Nice et des Alpes-Maritimes,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'existence d'un cas de force majeure :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que le 16 octobre 1979, la mer s'est brusquement abaissée de plus de deux mètres dans le port de Nice, en même temps que s'effondraient la digue et les soubassements de cette digue en cours de réalisation dans le nouveau port de Nice, travaux que la chambre de commerce et d'industrie de Nice et des Alpes-Maritimes avait, par un avenant du 27 avril 1978, confiés à la S.A.R.L. SONEXA, la direction départementale de l'équipement des Alpes-Maritimes étant chargée de la maîtrise d'oeuvre ; qu'un raz de marée s'est ensuite produit, provoquant des vagues d'une amplitude de 7 mètres qui ont détruit un important matériel ; que ce phénomène est imputable, non à des circonstances d'origine inconnue qui auraient affecté le terrain d'assiette des travaux entrepris dans le port, mais à un important effondrement du sol sous-marin qui a eu lieu au large de la côte ; que, dans ces conditions, le phénomène susdécrit est constitutif, non, comme le soutient la chambre de commerce et d'industrie d'un cas fortuit, mais d'un cas de force majeure ; que la chambre de commerce ne saurait, dès lors, se prévaloir des dispositions de l'article IV-02 du cahier des prescriptions spéciales, l'ampleur du raz-de-marée dépassant, de loin, les valeurs au-dessous desquelles les phénomènes naturels ne peuvent être invoqués au titre de la force majeure ;

Sur les conclusions de la S.A.R.L. SONEXA tendant à obtenir réparation des conséquences dommageables du cas de force majeure :
Considérant qu'aux termes de l'article 27 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux du ministère de l'équipement et du logement : "Pertes, avaries et sujétions d'exécution - Cas de force majeure ... 2- Il n'est alloué à l'entrepreneur aucune indemnité à raison des pertes, avaries ou dommages occasionnés par négligence, imprévoyance, défaut de moyens ou fausses manoeuvres. 4- Ne sont pas compris toutefois dans les dispositions qui précèdent, les cas de force majeure qui, dans le délai de dix jours au plus après l'événement, ont été signalés par écrit par l'entrepreneur ; dans ce cas néanmoins, il ne peut rien être alloué qu'avec l'approbation de l'administration. Passé le délai de dix jours, l'entrepreneur n'est plus admis à réclamer ..." ;
Considérant que la S.A.R.L. SONEXA a informé la direction départementale de l'équipement, par lettre du 22 octobre 1979 adressée dans le délai de dix jours précités, de l'événement constitutif d'un cas de force majeure précédemment décrit ; que cette lettre, envoyée au maître d'oeuvre, a respecté la procédure définie contractuellement, même si elle n'a pas été envoyée à la chambre de commerce, maître de l'ouvrage, à qui le maître d'oeuvre était tenu, ainsi qu'il l'a fait, de la communiquer ;
Considérant que l'ampleur du raz de marée, et notamment des vagues qu'il a provoquées, dépassait fortement les valeurs au-dessous desquelles, par application de l'article IV-02 du cahier des prescriptions spéciales, les phénomènes naturels ne pouvaient être invoqués en l'espèce au titre de la force majeure ;

Considérant qu'aucune des stipulations précitées ni aucune des autres dispositions contractuelles ne limitaient la possibilité pour l'entrepreneur d'invoquer le bénéfice de l'article 27-4 à la seule hypothèse où les travaux prévus auraient été conduits à leur terme ; que par suite, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nice, la chambre de commerce n'est pas fondée, pour refuser à l'entrepreneur le bénéfice de cette clause, à invoquer la circonstance que, le raz de marée ayant rendu définitivement imposssible l'exécution du marché, il a été mis fin aux travaux par ordre de service en date du 22 octobre 1979 ;
Considérant qu'en application de l'article 27 précité, la S.A.R.L. SONEXA a droit à la réparation des pertes de matériel directement provoquées par le cas de force majeure et subies tant par elle-même que par les entreprises et les sous-traitants qu'elle représente ; qu'elle ne saurait, en revanche, prétendre à l'indemnisation du manque à gagner, qui est imputable à la résiliation du contrat, ni, faute de justifications permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande, au paiement de sommes que l'une des sociétés représentées a dû régler à l'union pour le recouvrement de la sécurité sociale et des allocations familiales ; qu'elle ne saurait non plus prétendre à l'indemnisation des pertes, qui ne sont pas directement imputables au sinistre, engendrées par les immobilisations de matériel et de personnel provoquées par la désorganisation du chantier soit 1 729 126,90 F toutes taxes comprises en ce qui la concerne et 1 308 265,20 F toutes taxes comprises en ce qui concerne les sous-traitants du marché, qu'il en est de même des frais d'études du marché s'élevant à la somme de 9 708,49 F toutes taxes comprises ;

Considérant qu'en ce qui concerne le matériel perdu, évalué par la requérante à 5 231 042,04 F TTC en valeur de remplacement à la date du sinistre, la S.A.R.L. SONEXA a droit au paiement de la valeur non amortie, appréciée à cette même date, de ce matériel ; qu'en l'état de l'instruction, il n'est pas possible au Conseil d'Etat de calculer cette valeur ; qu'il y a donc lieu, sur ce point et avant dire droit, d'ordonner une expertise ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que les sommes que la chambre de commerce et d'industrie de Nice et des Alpes-Maritimes sera condamnée à payer à la S.A.R.L. SONEXA en application de ce qui précède porteront intérêt à compter de la date de réception par la chambre précitée de la demande à elle adressée par la requérante ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 30 novembre 1984 et le 19 septembre 1988 ; qu'à chacune de ces deux dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions de la S.A.R.L. SONEXA tendant à obtenir réparation des conséquences dommageables de la résiliation anticipée du marché :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le raz-de-marée survenu le 16 octobre 1979 a rendu impossible la continuation du marché ; que la résiliation anticipée de ce marché n'a pas été prononcée dans des conditions irrégulières ; que les conclusions susanalysées doivent dès lors être rejetées ;
Article 1er : Le jugement du 20 juin 1986 du tribunal administratif de Nice est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la société à responsabilité limitée SONEXA relative à la condamnationde la Chambre de commerce et d'industrie des Alpes-Maritimes à l'indemniser du montant des pertes de matériel provoquées par le cas de force majeure, subies tant par elle-même que par les entreprises et sous-traitants qu'elle représente.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité de la S.A.R.L. SONEXA relative aux pertes décrites à l'article 1er, procédé par un expert désigné par le président de la section du Contentieux du Conseil d'Etat à une expertise en vue de déterminer la valeur non amortie, appréciée à la date du sinistre, du matériel perdu tel qu'il est défini à l'article 1er de la présente décision.
Article 3 : L'expert prêtera serment par écrit. Le rapport d'expertise sera déposé au secrétariat du Contentieux dans le délai de trois mois suivant la prestation du serment.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la S.A.R.L. SONEXA est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. SONEXA, à la chambre de commerce et d'industrie de Nice des Alpes-Maritimes et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 81588
Date de la décision : 11/12/1991
Sens de l'arrêt : Expertise
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - EXECUTION TECHNIQUE DU CONTRAT - ALEAS DU CONTRAT - FORCE MAJEURE - Existence - (1) Abaissement brusque de plus de deux mètres de la mer dans le port de Nice - suivi d'un raz de marée - Phénomène imputable à un effondrement - au large - du sol sous-marin - (2) Conséquences - Indemnisation - prévue par le cahier des clauses administratives générales - des pertes - avaries ou dommages occasionnés par un phénomène ayant un caractère de force majeure - Etendue du préjudice indemnisable - Absence de droit à indemnisation du manque à gagner et des pertes indirectement dues au sinistre - (3) Conséquences - Droit au paiement de la valeur non amortie - à la date du sinistre - du matériel perdu.

39-03-03-01(1) Il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que le 16 octobre 1979, la mer s'est brusquement abaissée de plus de deux mètres dans le port de Nice, en même temps que s'effondraient la digue et les soubassements de cette digue en cours de réalisation dans le nouveau port de Nice. Un raz de marée s'est ensuite produit, provoquant des vagues d'une amplitude de 7 mètres qui ont détruit un important matériel. Ce phénomène est imputable, non à des circonstances d'origine inconnue qui auraient affecté le terrain d'assiette des travaux entrepris dans le port, mais à un important effondrement du sol sous-marin qui a eu lieu au large de la côte. Dans ces conditions, le phénomène susdécrit est constitutif, non, comme le soutient la chambre de commerce et d'industrie d'un cas fortuit, mais d'un cas de force majeure.

39-03-03-01(2) En application des dispositions du cahier des clauses administratives générales, société ayant droit à la réparation des pertes de matériel directement provoquées par le cas de force majeure et subies tant par elle-même que par les entreprises et les sous-traitants qu'elle représente, sans que cette possibilité soit limitée à l'hypothèse où les travaux prévus ont été conduits à leur terme. Cette société ne saurait, en revanche, prétendre à l'indemnisation du manque à gagner, qui est imputable à la résiliation du contrat, ni, faute de justifications permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande, au paiement de sommes que l'une des sociétés représentées a dû régler à l'union pour le recouvrement de la sécurité sociale et des allocations familiales. Elle ne saurait non plus prétendre en ce qui la concerne ainsi que les sous-traitants, à l'indemnisation des pertes, qui ne sont pas directement imputables au sinistre, engendrées par les immobilisations de matériel et de personnel provoquées par la désorganisation du chantier. Il en est de même des frais d'études du marché.

39-03-03-01(3) Société ayant droit, en application du cahier des clauses administratives générales, à la réparation des pertes de matériel directement provoquées par un cas de force majeure. La société a droit en conséquence au paiement de la valeur non amortie, appréciée à la date du sinistre, du matériel perdu. Impossibilité, en l'espèce, pour le Conseil d'Etat de calculer cette valeur. Expertise ordonnée.


Références :

Code civil 1154


Publications
Proposition de citation : CE, 11 déc. 1991, n° 81588
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. de Bellescize
Rapporteur public ?: M. Le Chatelier
Avocat(s) : SCP Boris, Xavier, Me Cossa, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1991:81588.19911211
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