Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 17 juin 1985 et 17 octobre 1985, présentés pour la société civile immobilière "LE PRIEURE", dont le siège est ... (Bouches-du-Rhône), représentée par son gérant en exercice ; la société civile immobilière "LE PRIEURE" demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 14 mars 1985, par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1978 ;
2°) lui accorde la décharge de l'imposition contestée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Hagelsteen, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Guiguet, Bachellier, de la Varde, avocat de la société civile immobilière "LE PRIEURE",
- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 206 du code général des impôts, les sociétés civiles sont passibles de l'impôt sur les sociétés" ... si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35" ; que, toutefois, le I de l'article 239 ter du même code dispose que l'article 206-2 n'est pas applicable aux sociétés civiles ... qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente et que ces sociétés sont soumises au même régime que les sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations" ;
Considérant que la société civile immobilière "LE PRIEURE", qui a été constituée en vue de la réalisation de programmes de construction d'immeubles destinés à la vente, a acquis, en 1973, un terrain à Orange (Vaucluse) dans le but d'y construire 102 villas ; que l'opération s'étant avérée déficitaire, elle a revendu le 28 avril 1978, la partie non construite du terrain et réalisé, à cette occasion, une plus-value que l'administration a soumise à l'impôt sur les sociétés ; que la société civile demande la décharge de l'imposition à laquelle elle a été ainsi assujettie ;
Considérant qu'ayant revendu, en l'état, la partie non construite à plus de 80 % de sa superficie, du terrain qu'elle avait acquis, et renoncé ainsi, dans cette mesure, à la réalisation de son objet social de construction d'immeubles en vue de la vente, la société civile immobilière "LE PRIEURE" ne pouvait plus bénéficier des dispositions précitées de l'article 239 ter du code général des impôts ;
Mais considérant qu'il résulte des dispositions combinées du 2 de l'article 206 précité et du I-1°), premier alinéa, de l'article 35, du code général des impôts que les sociétés civiles immobilières sont passibles de l'impôt sur les sociétés lorsqu'elles peuvent être regardées comme des "personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles" ;
Considérant que l'intention de revendre, qui était celle de la société lors de l'acquisition du terrain, découle directement de l'objet social en vue duquel elle a été constituée et qui impliquait l'acquisition de terrains destinés à la construction d'immeubles en vue de la vente ;
Considérant que la condition d'habitude à laquelle est subordonnée, d'après leurs termes mêmes, l'application des dispositions du I-1°), premier alinéa, de l'article 35 du code n'est pas, en principe, remplie dans le cas d'une société civile qui a eu pour seule activité la réalisation d'une opération spéculative unique consistant à acheter et revendre, en l'état, un immeuble déterminé ; qu'il en va, toutefois, différemment lorsque les associés qui jouent un rôle prépondérant ou bénéficient principalement des activités de la société sont des personnes se livrant elles-mêmes de façon habituelle à des opérations d'achats et de revente en l'état d'immeubles ; qu'en pareil cas, la société étant l'un des instruments d'une activité d'ensemble entrant dans le champ d'application du I-1°, premier alinéa, de l'article 35 du code, doit être regardée remplie la condition d'habitude posée par ce texte ; qu'en l'espèce, l'administration fait état de ce que les parts de la société civile immobilière "LE PRIEURE" étaient en totalité détenues par les membres d'une même famille, composée de deux frères, dont le gérant, et de leurs enfants, qui possédaient en même temps toutes les parts de plusieurs autres sociétés civiles immobilières consacrant leur activité à la construction en vue de la vente, tandis qu'une société à responsabilité limitée constituée entre les deux frères se chargeait de commercialiser les immeubles construits par l'ensemble des sociétés civiles ;
Mais considérant qu'il ne ressort pas des faits ainsi allégués que les associés jouant un rôle prépondérant dans la société civile immobilière "Le PRIEURE" ou bénéficiant principalement de ses activités se livraient personnellement, à titre habituel, à des opérations d'achat et de revente en l'état d'immeubles, visées par l'article 35-I-1°, premier alinéa, du code général des impôts ; que, dans ces conditions, la société civile immobilière "LE PRIEURE" ne peut être regardée comme ayant, en l'espèce, procédé à de telles opérations, la rendant passible de l'impôt sur les sociétés en vertu du 2 de l'article 206 du code général des impôts ; qu'elle est, en conséquence, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement susvisé, rejeté sa demande en décharge de l'imposition contestée ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 mars 1985 est annulé.
Article 2 : La société civile immobilière est déchargée de l'impôt sur les sociétés et des intérêts de retard y ajoutés auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1978, par voie de rôle mis en recouvrement le 28 mars 1980.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière "LE PRIEURE" et au ministre du budget.