Vu la requête, enregistrée le 23 décembre 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mlle X... ET TOUIL, demeurant ... ; Mlle ET TOUIL demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 1992 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 2 novembre 1992 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution dudit arrêté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, notamment par la loi du 2 août 1989 et la loi du 10 janvier 1990 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- les observations de la S.C.P. Lesourd, Baudin, avocat de Mlle ET TOUIL,
- les conclusions de Mme Denis-Linton, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2°- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par l'administration que Mlle ET TOUIL, qui était demeurée au Maroc auprès de ses grands-parents, a, après le décès de ceux-ci, rejoint en France sa famille, alors qu'elle était âgée de 29 ans ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à l'absence d'attaches effectives conservées par la requérante dans son pays d'origine, à la circonstance que son père et deux de ses frères ont la nationalité française et à l'intérêt de sa présence en France pour sa famille, Mlle ET TOUIL s'occupant de façon constante de l'un de ses frères, âgé de 25 ans et handicapé moteur cérébral à 100 %, l'arrêté en date du 2 novembre 1992 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a ordonné la reconduite de Mlle ET TOUIL à la frontière porte au droit de celle-ci au respect de sa vie familiale une attinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été pris ledit arrêté ; qu'il a ainsi méconnu les stipulations susmentionnées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Article 1er : Le jugement en date du 9 novembre 1992 du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 2 novembre 1992 sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mlle X... ET TOUIL, au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.