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17/01/1996 | FRANCE | N°120646

France | France, Conseil d'État, 8 / 9 ssr, 17 janvier 1996, 120646


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 octobre 1990 et 25 février 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la société Fides, dont le siège est sis ..., agissant ès qualités de liquidateur de la société anonyme Nike, dont le siège est ... ; la société demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 juin 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des

pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des ann...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 octobre 1990 et 25 février 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la société Fides, dont le siège est sis ..., agissant ès qualités de liquidateur de la société anonyme Nike, dont le siège est ... ; la société demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 juin 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978 à 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Austry, Auditeur,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la société anonyme Nike,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 195 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Les audiences des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont publiques" et qu'aux termes de l'article R. 200, 1er alinéa, du même code : "Les jugements et arrêts mentionnent que l'audience a été publique" ;
Considérant qu'il ne ressort d'aucune des mentions de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Paris que l'audience de la Cour du 12 juin 1990 à laquelle l'affaire concernant la société anonyme Nike a été portée, a été publique ; qu'ainsi, cet arrêt ne fait pas la preuve que la procédure à l'issue de laquelle il a été prononcé a été régulière ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, la société anonyme Nike, représentée par la société Fides, son liquidateur, est fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 : "Le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond, si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'aux termes de l'article 990 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 4.II.1, applicable à compter du 1er janvier 1983, de la loi de finances pour 1993 du 29 décembre 1992 et de l'article 105.I.2, à caractère interprétatif, de la loi de finances pour 1990 du 29 décembre 1989 : "Les personnes morales dont le siège est situé hors de France et qui, directement ou par personnes interposées, possèdent un ou plusieurs immeubles en France ... sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ... Les personnes morales dont le siège est situé hors de France s'entendent des personnes morales qui ont hors de France leur siège de direction effective, quelle que soit leur nationalité, française ou étrangère ..." ; qu'aux termes de l'article 990 H du même code : "Les personnes morales passibles de la taxe mentionnée à l'article 990 D qui auront, avant le 15 mai 1984, attribué à un associé personne physique la propriété des immeubles ... qu'elles détiennent en France pourront opter pour le paiement, lors de l'enregistrement de l'acte constatant l'opération, d'une taxe forfaitaire égale à 15 % de la valeur vénale de ces immeubles, assise et recouvrée comme en matière de droits d'enregistrement. Cette taxe est libératoire de tous les impôts exigibles à raison de l'opération. Sa perception libère également les personnes morales concernées et leurs associés de toutes impositions ou pénalités éventuellement exigibles au titre de la période antérieure à raison des immeubles attribués, à moins qu'une vérification fiscale concernant les mêmes personnes n'ait été engagée ou annoncée avant le 19 octobre 1982" ;

Considérant que la société anonyme Nike, dont le siège social est à Genève (Suisse), soutient que les cotisations d'impôt sur les sociétés, mises en recouvrement le 26 décembre 1984, auxquelles elle a été assujettie, par voie de taxation d'office, au titre des années 1978 à 1982 à raison de l'immeuble qu'elle possédait alors ..., ont été établies en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 990 H du code général des impôts, eu égard au caractère libératoire de la taxe forfaitaire de 15 % prévue par ces dispositions pour le paiement de laquelle elle avait opté lors de l'enregistrement de l'acte notarié du 23 décembre 1983 en vertu duquel elle a transféré à M. et Mme X..., ses associés, la propriété de l'immeuble dont il s'agit ;
Considérant que, pour contester le bien-fondé de cette prétention, le ministre du budget met, en premier lieu, en cause la validité de l'option pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % exercée par la société anonyme Nike et soutient, en second lieu, à titre subsidiaire, qu'ayant fait l'objet d'une vérification fiscale engagée avant le 19 octobre 1982, la société anonyme Nike ne peut se prévaloir de l'effet libératoire de ce paiement ;
Sur la validité de l'option exercée par la société :
Considérant que les moyens soulevés, sur ce point, tant par le ministre du budget que par la société anonyme Nike sont présentés pour la première fois devant le Conseil d'Etat ; qu'ils sont néanmoins recevables dès lors que les dispositions de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales, selon lesquelles "L'administration, ainsi que le contribuable, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction ..." sont applicables devant le Conseil d'Etat lorsque, comme en l'espèce, celui-ci a prononcé l'annulation de l'arrêt d'une cour administrative d'appel et décide, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 990 H que seules les personnes morales passibles de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D pouvaient opter, aux conditions et dans le délai prévus par le premier de ces textes, pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % ; qu'aux termes de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 : "1) Les nationaux d'un Etat contractant ne sont soumis, dans l'autre Etat contractant, à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation ... 2) le terme "nationaux" désigne pour chaque Etat contractant ... b) toutes les personnes morales ... constituées conformément à la législation dudit Etat ..." ; qu'il résulte de ces stipulations, qui prévalent sur la loi française en vertu de l'article 55 de la Constitution, que, s'agissant des personnes morales constituées conformément à la législation suisse, la localisation hors de France de leur siège de direction effective ne se distingue pas de leur nationalité ; que les sociétés françaises et les sociétés suisses qui possèdent les unes et les autres des immeubles en France se trouvant dans la même situation, au sens de l'article 26 de la convention franco-suisse, celui-ci fait obstacle à ce que les secondes soient soumises à la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D, à laquelle échappent les premières ; que la société anonyme Nike n'étant pas passible de cette taxe, le ministre du budget est fondé à soutenir qu'elle ne peut invoquer, sur le terrain de la loi fiscale, le bénéfice de l'option pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % prévue par l'article 990 H du code général des impôts ;
Mais considérant que la société se prévaut, sur le fondement du second alinéa de l'article L. 80-A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation de l'article 990 D que l'administration avait fait connaître par une instruction 7-Q-1-83 du 13 avril 1983, publiée au Bulletin Officiel de la direction général des impôts et qu'elle n'avait pas rapportée à la date à laquelle la société a opté pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % prévue par l'article 990 H ; qu'en vertu de cette interprétation, toutes les personnes morales qui possédaient des immeubles en France sans y avoir leur siège devaient être regardées comme passibles de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D, à la seule exception de celles dont le siège était situé dans un des pays ou territoires limitativement énumérés dans une liste annexée à l'instruction précitée, qui ne faisait pas mention de la Suisse ; que la société anonyme Nike est, par suite, fondée à invoquer cette instruction pour soutenir qu'étant passible, selon celle-ci, de la taxe de 3 %, elle était en droit d'opter pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % ;

Sur le caractère libératoire, en l'espèce, du paiement de la taxe forfaitaire :
Considérant que les impositions contestées ont été établies après que la société anonyme Nike eut fait l'objet d'une vérification de comptabilité dont elle avait été préalablement avisée le 9 novembre 1982 ; que la lettre adresée le 10 octobre 1980 à la société par laquelle l'administration l'avait, d'une part, invitée à désigner un représentant en France et à produire une copie de ses statuts ainsi qu'une déclaration d'existence, d'autre part, mise en demeure de déposer une déclaration de résultats de ses exercices clos au cours des années 1976 à 1979, ne peut être regardée comme ayant engagé ou annoncé, avant le 19 octobre 1982, une "vérification fiscale" au sens de l'article 990 H ; que, dans ces conditions, la société anonyme Nike fait à juste titre valoir que le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % l'avait libérée de l'impôt sur les sociétés exigible au titre de la période antérieure, à raison de l'appartement dont elle était alors propriétaire à Paris ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'elle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 10 mai 1988, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978 à 1982 ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 juin 1990 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 mai 1988 sont annulés.
Article 2 : La société anonyme Nike est déchargée des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978 à 1982.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Fides, ès-qualités de liquidateur de la société anonyme Nike et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 8 / 9 ssr
Numéro d'arrêt : 120646
Date de la décision : 17/01/1996
Sens de l'arrêt : Annulation décharge
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

- RJ1 - RJ2 CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - TEXTES FISCAUX - LOIS D'AMNISTIE FISCALE - Caractère libératoire - en ce qui concerne les impôts ou pénalités exigibles à raison de la détention d'immeubles en France par des personnes morales étrangères - de la taxe forfaitaire de 15 % prévue par l'article 990 H du CGI - A) Condition tenant à ce que la personne morale soit passible de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D du CGI - Cas d'une société suisse (1) - B) Condition tenant à l'absence de vérification fiscale engagée ou annoncée avant le 19 octobre 1982 (2).

19-01-01-04 En application de l'article 990 D du CGI, les personnes morales dont le siège est situé hors de France, c'est-à-dire celles qui ont hors de France leur siège de direction effective, qui possèdent un ou plusieurs immeubles en France sont redevables d'une taxe égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles. Les sociétés françaises et les sociétés suisses qui possèdent les unes et les autres des immeubles en France se trouvant dans la même situation, au sens de l'article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, les stipulations de cet article font obstacle à ce que les secondes soient soumises à la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D, à laquelle échappent les premières. Par suite, une société suisse ne peut invoquer, sur le terrain de la loi fiscale, le bénéfice de l'option pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 % prévue par l'article 990 H du CGI (1). Elle est en revanche fondée à se prévaloir, sur le fondement du second alinéa de l'article L.80 A du LPF, de l'interprétation de l'article 990 D que l'administration avait fait connaître par une instruction 7-Q-1-83 du 13 avril 1983 et qu'elle n'avait pas rapportée à la date à laquelle la société a opté pour le paiement de la taxe forfaitaire de 15 %, en vertu de laquelle toutes les personnes morales qui possédaient des immeubles en France sans y avoir leur siège devaient être regardées comme passibles de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D, à la seule exception de celles dont le siège était situé dans un des pays ou territoires limitativement énumérés dans une liste annexée à l'instruction, qui ne faisait pas mention de la Suisse.

- RJ1 CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - TEXTES FISCAUX - CONVENTIONS INTERNATIONALES - Suisse (convention du 9 septembre 1966) - Interdiction des discriminations fiscales entre les nationaux suisses et français (article 26) - Application à une société ayant son siège de direction effective en Suisse (1).

19-01-03-01-02-01 Selon l'article 990 H du CGI, la perception de la taxe forfaitaire de 15 % est libératoire de tous les impôts ou pénalités exigibles de personnes morales passibles de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D à raison de la détention d'immeubles en France, à moins qu'une vérification fiscale concernant les mêmes personnes n'ait été engagée ou annoncée avant le 19 octobre 1982. Une lettre par laquelle l'administration, d'une part, invite une société à désigner un représentant en France et à produire une copie de ses statuts ainsi qu'une déclaration d'existence et, d'autre part, la met en demeure de déposer une déclaration de résultats, ne peut être regardée comme ayant engagé ou annoncé une "vérification fiscale" au sens de l'article 990 H du CGI (2).

- RJ2 CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - REGLES GENERALES D'ETABLISSEMENT DE L'IMPOT - CONTROLE FISCAL - VERIFICATION DE COMPTABILITE - NOTION - Absence - Lettre par laquelle l'administration - d'une part - invite une société à désigner un représentant en France et à produire une copie de ses statuts ainsi qu'une déclaration d'existence et - d'autre part - la met en demeure de déposer une déclaration de résultats (2).

19-01-01-05 En application de l'article 990 D du CGI, les personnes morales dont le siège est situé hors de France, c'est-à-dire celles qui ont hors de France leur siège de direction effective, qui possèdent un ou plusieurs immeubles en France sont redevables d'une taxe égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles. Il résulte des stipulations de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 que, s'agissant des personnes morales constituées conformément à la législation suisse, la localisation hors de France de leur siège de direction effective ne se distingue pas de leur nationalité. Par suite, les sociétés françaises et les sociétés suisses qui possèdent les unes et les autres des immeubles en France se trouvant dans la même situation, au sens de l'article 26 de la convention, les stipulations de cet article font obstacle à ce que les secondes soient soumises à la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D du CGI, à laquelle échappent les premières (1).


Références :

CGI 990 D, 990, 990 H
CGI Livre des procédures fiscales L199 C, L80
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R195, R200
Loi du 29 décembre 1989 art. 105 Finances pour 1990
Loi du 29 décembre 1992 art. 4 Finances pour 1993
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11

1.

Rappr. Cass. Com. 1990-05-15, n° 727 P, Brumar. 2. Inf. CAA de Paris, Plénière, 26 juin 1990, n° 89PA00604, Société Nike, tables p. 660


Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 1996, n° 120646
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Groux
Rapporteur ?: M. Austry
Rapporteur public ?: M. Arrighi de Casanova
Avocat(s) : SCP Vier, Barthélémy, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1996:120646.19960117
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