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17/01/1996 | FRANCE | N°140533

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 17 janvier 1996, 140533


Vu 1°), sous le n° 140533, l'ordonnance en date du 3 août 1992, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 18 août 1992, par laquelle le président du tribunal administratif de Versailles a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R.81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la demande présentée à ce tribunal par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE ;
Vu la demande, enregistrée sous le n° 92-5834 au greffe du tribunal administratif de Versailles le 7 juillet 1992, présentée par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE (91

270), représentée par son maire en exercice, tendant à l'annulat...

Vu 1°), sous le n° 140533, l'ordonnance en date du 3 août 1992, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 18 août 1992, par laquelle le président du tribunal administratif de Versailles a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R.81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la demande présentée à ce tribunal par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE ;
Vu la demande, enregistrée sous le n° 92-5834 au greffe du tribunal administratif de Versailles le 7 juillet 1992, présentée par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE (91270), représentée par son maire en exercice, tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet du ministre de l'intérieur et du ministre de l'économie et des finances d'étendre aux dommages causés par la tempête et par la grêle l'état de catastrophe naturelle constaté sur le territoire de la commune par l'arrêté interministériel du 3 novembre 1988 ;
Vu 2°), sous le n° 144589, la requête enregistrée le 22 janvier 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE (91270), représentée par son maire en exercice ; la commune demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 23 novembre 1992 par laquelle le ministre de l'intérieur et de la sécurité publique a rejeté sa demande tendant à obtenir la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour les dommages provoqués dans la commune par l'orage survenu le 23 juillet 1988 ;
Vu 3°), sous le n° 152368, l'ordonnance du président du tribunal administratif de Versailles en date du 2 septembre 1993, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat par application des dispositions de l'article R.67 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la demande présentée par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du préfet de l'Essonne en date du 22 avril 1993 rejetant la demande de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE du 29 décembre 1992 d'indemnisation d'un préjudice évalué à 10 millions de francs et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à payer à la commune, en premier lieu, une somme de 833 805,41 F à parfaire et à revaloriser au jour du jugement à intervenir, outre les intérêts légaux à compter du 29 décembre 1992 et, en second lieu, une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu la demande enregistrée sous le n° 93-2854 au greffe du tribunal administratif de Versailles le 18 juin 1993, présentée par la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE (91270), représentée par son maire en exercice, tendant aux fins cidessus exposées ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi 82-600 du 13 juillet 1982 ;
Vu la loi 92-665 du 16 juillet 1992 et notamment son article 34 ;
Vu le code des assurances ;
Vu la loi 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Fougier, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Ryziger, avocat de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE présentent à juger des questions voisines ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que le 23 juillet 1988, une tempête s'est abattue sur le territoire de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE ; que par arrêté interministériel du 19 octobre 1988, l'état de catastrophe naturelle a été constaté pour les dommages dûs aux inondations et aux coulées de boue ; que la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE a demandé que cet état soit étendu aux dégâts causés par le vent, la pluie et la grêle ; que le refus des ministres concernésde donner une suite favorable à cette demande a été annulé pour erreur de droit par une décision en date du 10 janvier 1992 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ; qu'en conséquence, la commune a demandé, les 24 janvier et 3 février 1992, respectivement au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'intérieur de compléter l'arrêté interministériel du 19 octobre 1988 ; que des décisions implicites de rejet de cette demande sont intervenues par suite du silence gardé pendant un délai de quatre mois par les ministres intéressés ; que, postérieurement à la loi du 16 juillet 1992, le ministre de l'intérieur et de la sécurité publique a, après avis de la commission interministérielle compétente, rejeté expressément la demande de la commune par une décision du 23 novembre 1992 ; qu'enfin, saisi d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à indemniser la commune du préjudice que celle-ci déclare avoir subi, le préfet de l'Essonne en a prononcé le rejet, le 23 avril 1993 ;
Sur les conclusions dirigées contre les décisions rejetant implicitement les demandes des 24 janvier 1992 et 3 février 1992 :
Considérant qu'à la suite de la décision du Conseil d'Etat en date du 10 janvier 1992 mentionnée ci-dessus, l'autorité administrative restait saisie de la demande de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE tendant à voir reconnu le caractère de catastrophe naturelle aux dommages litigieux et sur laquelle il lui appartenait de se prononcer ; qu'aux dates d'intervention des décisions refusant implicitement de faire droit à la demande de la commune, n'étaient pas encore entrées en vigueur les modifications apportées par l'article 34 de la loi du 16 juillet 1992 à la législation sur les catastrophes naturelles telle qu'elle résultait de l'article 1er de la loi du 13 juillet 1982, sous l'empire duquel le Conseil d'Etat avait rendu sa décision précitée du 10 janvier 1992 ; que, dans ces circonstances, en persistant à considérer, à la date de chacune des décisions implicites attaquées, que l'état de catastrophe naturelle ne pouvait pas être constaté pour des dommages normalement assurables, les auteurs des décisions implicites contestées ont tout à la fois commis une erreur de droit et méconnu la chose jugée par le Conseil d'Etat ; que la commune est, par suite, fondée à demander l'annulation des décisions dont s'agit ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'avis de la commission interministérielle en date du 22 octobre 1992 :

Considérant que la commission instituée par la circulaire du 27 mars 1984 a pour seule fonction d'émettre des avis relatifs à l'application de la législation sur les catastrophes naturelles ; que les avis ainsi émis n'ont pas le caractère de décisions faisant grief ; que, dès lors, les conclusions tendant à l'annulation de l'avis du 22 octobre 1992 sont irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision ministérielle du 23 novembre 1992 :
En ce qui concerne la compétence du ministre de l'intérieur :
Considérant que si l'état de catastrophe naturelle est constaté par "arrêté interministériel", cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le ministre de l'intérieur, qui est au nombre des ministres compétents pour provoquer l'intervention d'un tel arrêté et en être le cosignataire, puisse, sous sa seule autorité, rejeter une demande qui, à l'instar de celle de la commune requérante, tendait à la constatation de l'état de catastrophe naturelle pour des dommages déterminés ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la loi du 16 juillet 1992 ne serait pas applicable :
Considérant que les dispositions relatives à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles issues de l'article 1er de la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 et codifiées sous l'article L.125-1 du code des assurances, ont été modifiées par les I et II de l'article 34 de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992 ; que dans son III, l'article 34 de la loi spécifie que les dispositions de ses paragraphes I et II qui modifient l'article L.125-1 du code précité "sont applicables aux décisions prises à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi" ; qu'il résulte des termes mêmes de ce texte, comme d'ailleurs des débats parlementaires qui ont précédé son adoption, que le législateur a entendu rendre applicables les nouvelles dispositions de l'article L.125-1 non seulement aux dommages engendrés par des faits postérieurs à l'entrée en vigueur de l'article 34 de la loi, mais aussi aux dommages survenus antérieurement, dès lors du moins qu'ils donnent lieu à une décision de l'administration, elle-même intervenue postérieurement à la loi nouvelle ;
Considérant à la vérité que par sa décision rendue le 10 janvier 1992, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé pour erreur de droit des décisions ministérielles qui avaient rejeté une précédente demande de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE ayant le même objet que celle sur laquelle s'est expressément prononcé le ministre de l'intérieur et de la sécurité publique le 23 novembre 1992 ;
Mais considérant qu'à la suite de la décision d'annulation du 10 janvier 1992, il appartenait à l'administration de se prononcer sur la demande de la commune requérante, dont elle demeurait saisie, en fonction de la législation applicable à la date de sa nouvelle décision ;

Considérant, dans ces conditions que la demande de ladite commune qui a donné lieu à la décision susmentionnée du 23 novembre 1992 était soumise aux dispositions de l'article L.125-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juillet 1992, alors même qu'elle était relative à la réparation d'un dommage survenu antérieurement à l'entrée en vigueur de cette dernière loi ; qu'en faisant application de cette loi, qui ne prend en compte que les seuls dommages matériels directs non assurables, le ministre de l'intérieur et de la sécurité publique n'a donc pas commis d'erreur de droit ;
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
En ce qui concerne le droit à réparation de la commune requérante :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la tempête qui s'est abattue sur le territoire de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE le 23 juillet 1988, et qui a provoqué, par l'effet du vent, de la pluie et de la grêle, divers dommages à cette commune, a été d'une intensité anormale susceptible de lui conférer le caractère de catastrophe naturelle décrit par l'article 1er de la loi du 13 juillet 1982 ; que, par suite, l'illégalité des décisions refusant de prendre pour des dommages normalement assurables, l'arrêté prévu par cette disposition législative, telle qu'elle a été relevée dans les motifs de la décision du Conseil d'Etat du 10 janvier 1992, est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de la commune requérante ;
Considérant, en second lieu, que le refus illégal de prendre ledit arrêté a eu pour effet d'empêcher la commune de faire valoir ses droits à indemnisation pour les dommages causés par le vent, la pluie et la grêle auprès de son assureur ; que le préjudice dont elle se prévaut à ce titre est en relation directe et certaine avec la faute commise par l'Etat et de nature à lui ouvrir droit à réparation ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant que le préjudice subi par la commune comprend le montant des dépenses nécessaires à la remise en état des espaces verts communaux, de l'éclairage public, de la signalisation ainsi que des clôtures ; qu'il y a lieu d'inclure également les frais de réquisition de personnels pour intervention sur le domaine public à la suite des perturbations atmosphériques anormales du 23 juillet 1988 ; que ces divers chefs de préjudice, qui n'ont pas été couverts par l'assureur de la commune, s'élèvent à 535 829,41 F ; qu'il convient enfin d'ajouter à ce montant la somme de 297 976 F représentant la différence entre les indemnités perçues par la commune au titre des dommages ayant affecté les bâtiments municipaux et l'indemnisation dont elle aurait bénéficié si l'état de catastrophe naturelle avait été reconnu ; que l'Etat doit, par suite, être condamné au paiement d'une indemnité s'élevant globalement à 833 805,41 F ;
Considérant que cette somme doit produire intérêts au taux légal à compter de la réception par le préfet de l'Essonne de la demande aux fins de condamnation de l'Etat présentée par la commune le 29 décembre 1992 ;
En ce qui concerne la subrogation :

Considérant qu'il y a lieu de subordonner l'exécution de la condamnation à la condition que la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE subroge l'Etat, à concurrence de la même somme, dans les droits et créances qu'elle peut tenir de ce chef de ses contrats d'assurance ;
Sur les conclusions des requêtes n°s 140533 et 152368 tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à la commune la somme de 23 700 F au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens des instances enregistrées sous les n°s 140533 et 152368 ;
Article 1er : Les décisions implicites du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'intérieur rejetant les demandes des 24 janvier 1992 et 3 février 1992 de la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE sont annulées.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE une indemnité de 833 805,41 F. Cette indemnité produira intérêts à compter de la réception par l'administration de la demande du 29 décembre 1992.
Article 3 : Le bénéfice de la condamnation prononcée par l'article 2 de la présente décision est subordonné à la condition que la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE subroge l'Etat à concurrence de la même somme dans les droits et créances qu'elle pouvait tenir de ses contrats d'assurance, de ce chef.
Article 4 : L'Etat versera à la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE une somme de 23 720 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes n°s 140533 et 152368 et la requête n° 144589 sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE VIGNEUX-SUR-SEINE, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 140533
Date de la décision : 17/01/1996
Type d'affaire : Administrative

Analyses

12 ASSURANCE ET PREVOYANCE.

EAUX - REGIME JURIDIQUE DES EAUX - REGIME JURIDIQUE DES COURS D'EAU.


Références :

Circulaire du 27 mars 1984
Code des assurances L125-1
Loi 82-600 du 13 juillet 1982 art. 1
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75
Loi 92-665 du 16 juillet 1992 art. 34


Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 1996, n° 140533
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Fougier
Rapporteur public ?: M. Piveteau

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1996:140533.19960117
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