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26/07/1996 | FRANCE | N°84632

France | France, Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 26 juillet 1996, 84632


Vu le recours, enregistré le 26 janvier 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1 à 4 du jugement en date du 14 octobre 1986 du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, en tant que celui-ci a condamné l'Etat, d'une part, à verser une indemnité de 1 534 862 francs français à la Caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents (CNSA), avec intérêts au taux légal à compter de la dat

e de réception de la demande préalable par l'Etat, et d'autre part...

Vu le recours, enregistré le 26 janvier 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1 à 4 du jugement en date du 14 octobre 1986 du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, en tant que celui-ci a condamné l'Etat, d'une part, à verser une indemnité de 1 534 862 francs français à la Caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents (CNSA), avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable par l'Etat, et d'autre part, à rembourser à ladite caisse les arrérages des rentes qu'elle sert à Mme Y... ainsi qu'à Mme Z... et ses enfants, en réparation des conséquences dommageables de l'accident d'aviation survenu à Cernay-lès-Reims le 15 novembre 1978 ;
2°) de réformer ledit jugement et de réduire les montants de l'indemnité et de la rente que l'Etat a été condamné à payer à la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 49194, 49195, 49196, du Conseil d'Etat statuant au Contentieux en date du 21 novembre 1984 ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le décret n° 86-973 du 8 août 1986 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Japiot, Auditeur,
- les observations de la SCP Boré, Xavier, avocat de la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents :
Considérant que par un décret en date du 9 septembre 1986, régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 11 septembre 1986, délégation a été donnée à M. Guildin X... à l'effet de signer toutes décisions et pièces administratives relevant de ses attributions et notamment les mémoires présentés par l'administration devant les juridictions administratives ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que le recours aurait été signé par un fonctionnaire ne disposant pas d'une délégation de signature régulièrement publiée ne saurait être accueillie ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les indemnités que l'Etat a été condamné à payer à la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents n'excèdent pas le montant de la demande présentée par ladite caisse devant le tribunal administratif ; que celui-ci s'est fondé sur l'évaluation du préjudice tel qu'il ressortait du mémoire présenté pour la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents, enregistré au greffe du tribunal le 14 août 1986 ; qu'ainsi, le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, qui pouvait retenir d'autres modalités de calcul que celles invoquées à l'appui de la demande, aurait statué au-delà des conclusions dont il était saisi ;
Sur le préjudice subi par les ayants droit de MM. Y... et Z... :
Considérant que, par sa décision susvisée en date du 21 novembre 1984, le Conseil d'Etat statuant au Contentieux a déclaré l'Etat responsable pour moitié des conséquences dommageables de l'accident d'aviation survenu à Cernay-lès-Reims le 15 novembre 1978, qui a causé le décès de MM. Y... et Z... ; que le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Châlons-sur-Marne pour liquidation des indemnités et rentes dues par l'Etat ;
Considérant que le préjudice résultant de ce que M. Y... aurait pu acquérir la qualité d'associé dans la société "Electro-Keller AG" et percevoir annuellement, à ce titre, outre son salaire, une participation aux bénéfices de 25 000 francs suisses, ne présente pas un caractère certain ; qu'il suit de là que les revenus annuels de M. Y..., pris en compte pour l'évaluation du préjudice financier de son conjoint, réévalués à la date du jugement attaqué, doivent être ramenés de 100 000 à 75 000 francs suisses ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'emploi occupé par Mme Z... ne lui a pas été procuré en réparation du dommage subi du fait du décès de son époux ; que, par suite, il n'y a pas lieu de déduire la rémunération perçue par Mme Z... au titre de cet emploi du préjudice résultant de la perte des revenus résultant du décès de son mari ;

Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'obligeait le tribunal administratif à retenir les coefficients de capitalisation prévus par le document dit "barème commun 1979" ou par le décret susvisé du 8 août 1986 qui fixe les modalités de conversion en capital des rentes consécutives aux accidents de la circulation routière ; que les coefficients de capitalisation retenus par le tribunal administratif pour l'évaluation du préjudice financier subi par Mme Y... ainsi que par Mme Z... et ses enfants ne présentent pas un caractère excessif ;
Considérant que, dès lors que le tribunal administratif était saisi de la demande de la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents tendant au remboursement des prestations servies par elle aux ayants droit des deux victimes et qui incluait une somme de 500 francs suisses correspondant à l'indemnisation forfaitaire des frais d'obsèques, il appartenait au tribunal, ainsi qu'il l'a fait, d'inclure dans l'évaluation de la réparation due par l'Etat, sur laquelle pouvait s'imputer la créance de la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents, l'estimation des frais d'obsèques dont le montant de 20 000 francs français n'est pas contesté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'à la date du jugement attaqué, le préjudice résultant de la perte des revenus de Mme Y... du fait du décès de son mari s'établissait à 702 750 francs suisses et non à 937 000 francs suisses comme l'a jugé le tribunal administratif ; qu'à cette même date, l'indemnité due par l'Etat français en réparation de ce préjudice était donc égale, compte tenu du partage de responsabilité, à la contre-valeur en francs français de la somme de 351 375 francs suisses et à 10 000 francs français pour les frais d'obsèques ;
Considérant qu'à la date du jugement attaqué, compte tenu des autres éléments de calcul non contestés, les préjudices résultant de la perte des revenus de Mme Z... et de ses enfants s'établissaient respectivement à 547 785 francs suisses, et 243 180 francs suisses ; qu'à cette même date, l'indemnité due par l'Etat français en réparation de ce préjudice était donc égale, compte tenu du partage de responsabilité, à la contre-valeur en francs français de la somme de 395 483 francs suisses et à 10 000 francs français pour les frais d'obsèques ;
Considérant que pour fixer la contre-valeur en francs français desdites réparations dues par l'Etat aux ayants droit des victimes de l'accident, constituant la limite des droits de la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents à obtenir le remboursement de ses prestations, il y a lieu de retenir le taux de change applicable à la date du jugement attaqué ; qu'elle a droit au remboursement de la contre-valeur en francs français de ses débours ; que cette contre-valeur doit être déterminée en appliquant le taux de change moyen durant la période du 15 novembre 1978 au 31 août 1986 et non le taux en vigueur à la date du jugement attaqué ; qu'ainsi, le ministre est fondé à demander, dans la mesure indiquée ci-dessus, la réformation du jugement attaqué ;
Sur les droits de la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents :

Considérant que la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents est fondée, en application des stipulations de l'article 35 de la convention de sécurité sociale conclue entre la Confédération helvétique et la République française, et des dispositions de l'article L. 397 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction en vigueur à la date du sinistre, à demander le remboursement des prestations qu'elle a versées aux ayants droit des victimes au titre de la perte de revenus de ceux-ci et des frais d'obsèques ; que ce remboursement doit s'imputer sur les indemnités dues par l'Etat aux ayants droit des victimes qui s'établissent aux montants fixés ci-dessus ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents a versé au titre des arrérages de rente versés du 15 novembre 1978 au 31 août 1986 la somme de 253 715 francs suisses à Mme Z... et ses enfants et la somme de 127 158 francs suisses à Mme Y... ;
Considérant que la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents a droit au remboursement de la contre-valeur en francs français des rentes servies, à compter du 1er septembre 1986, à Mme Y... ainsi qu'à Mme Z... et ses enfants, dans la limite, pour chaque ayant droit, de la différence entre l'indemnité due à l'ayant droit ainsi qu'il a été dit cidessus et le total des arrérages de rente versés jusqu'au 31 août 1986 ; que cette contre-valeur en francs français doit être déterminée en retenant le taux de change applicable à chacune des échéances de ladite rente ; qu'ainsi le ministre est fondé à demander, dans la mesure indiquée ci-dessus, la réformation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents a versé aux ayants droit la somme totale de 1 000 francs suisses au titre des frais d'obsèques de MM. Y... et Z... ; que cette caisse a droit au remboursement de la contre-valeur en francs français de cette somme, qui n'excède pas le montant du préjudice subi par les ayants droit ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; que la contre-valeur en francs français doit être déterminée en retenant le taux de change applicable à la date du versement de la prestation en cause par la caisse aux ayants droit des victimes et non à la date du jugement attaqué ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que c'est à bon droit que le tribunal administratif a fixé le point de départ des intérêts dûs au titre de l'indemnité prévue à l'article 1er du jugement à la date de réception par l'Etat de la demande préalable d'indemnisation présentée par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents ; que les sommes versées par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents au titre des arrérages échus depuis cette date doivent porter intérêts à compter de chaque échéance de ces arrérages ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents dans ses mémoires enregistrés les 10 septembre 1990 et 28 juin 1996 au secrétariat de la Section du Contentieux ; qu'à ces dates, au cas où les indemnités mises à la charge de l'Etat n'auraient pas été versées, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant qu'il y a lieu de renvoyer la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents devant le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS pour qu'il soit procédé à la liquidation des indemnités, rentes et intérêts auxquels elle a droit sur les bases et dans les limites fixées par la présente décision ;
Article 1er : La contre-valeur en francs français de l'indemnité mise à la charge de l'Etat en remboursement des rentes servies par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents à Mme Y... ainsi qu'à Mme Z... et ses enfants du 15 novembre 1978 au 31 août 1986, soit 380 873 francs suisses, sera fixée en appliquant le taux de change moyen durant cette période.
Article 2 : La contre-valeur en francs français de l'indemnité mise à la charge de l'Etat en remboursement des sommes payées par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents au titre des frais d'obsèques de MM. Y... et Z..., soit 1 000 francs suisses, sera fixée en appliquant le taux de change en vigueur à la date du paiement desdites sommes par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents.
Article 3 : Les arrérages postérieurs au 31 août 1986 de la rente servie par la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents à Mme Y... seront remboursés dans la limite de la contre-valeur en francs français de la somme de 224 217 francs suisses, appréciée en appliquant le taux de change en vigueur à la date du jugement du tribunal administratif de Châlons-surMarne.
Article 4 : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 14 octobre 1986 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.
Article 5 : Les intérêts échus les 10 septembre 1990 et 28 juin 1996 seront capitalisés à ces dates pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 6 : La Caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents est renvoyée devant le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS pour qu'il soit procédé à la liquidation des indemnités, rentes et intérêts auxquels elle a droit sur les bases et dans les limites fixées par la présente décision.
Article 7 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DES TRANSPORTS est rejeté.
Article 8 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, à la caisse nationale suisse d'assurances en cas d'accidents, à la société d'assurance Gerling Konzern et à la société Kunstoff-Technick.


Synthèse
Formation : 4 / 1 ssr
Numéro d'arrêt : 84632
Date de la décision : 26/07/1996
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE DE L'AVIATION CIVILE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE CERTAIN DU PREJUDICE - ABSENCE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - PERTE DE REVENUS - PERTE DE REVENUS SUBIE DU FAIT DU DECES D'UNE PERSONNE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - MODALITES DE LA REPARATION - FORMES DE L'INDEMNITE - RENTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - MODALITES DE LA REPARATION - INTERETS - CAPITALISATION.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE - IMPUTATION DES DROITS A REMBOURSEMENT DE LA CAISSE - ARTICLE L - 376-1 (ANCIEN ARTICLE L - 397) DU CODE DE LA SECURITE SOCIALE.


Références :

Code civil 1154
Code de la sécurité sociale L397
Décret 86-973 du 08 août 1986


Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 1996, n° 84632
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Japiot
Rapporteur public ?: M. Schwartz

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1996:84632.19960726
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