La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/1998 | FRANCE | N°180921

France | France, Conseil d'État, 4 ss, 27 mai 1998, 180921


Vu la requête, enregistrée le 27 juin 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; il demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 janvier 1996 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 24 janvier 1996 par lequel il a ordonné la reconduite à la frontière de M. Vitaoutas X... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne

de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la conv...

Vu la requête, enregistrée le 27 juin 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; il demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 janvier 1996 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 24 janvier 1996 par lequel il a ordonné la reconduite à la frontière de M. Vitaoutas X... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Olson, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Boullez, avocat de M. Vitaoutas X...,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 22-I de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ... 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà d'un délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est pas contesté que M. X..., à qui la qualité de réfugié politique a été refusée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 22 février 1995, confirmée par la commission des recours des réfugiés le 10 octobre 1995, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 19 décembre 1995, de la décision du PREFET DE POLICE du même jour, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas visé au 3° de l'article 22-I précité de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant que l'arrêté en date du 26 janvier 1996 par lequel le PREFET DE POLICE a prononcé la reconduite à la frontière de M. X... n'indique pas le pays vers lequel l'intéressé devait être éloigné ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en raison des risques qu'il encourrait en cas de retour en Ukraine l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants publiée par le décret du 9 novembre 1987 est inopérant ; que, dès lors, c'est à tort que le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce moyen pour annuler l'arrêté en date du 24 janvier 1996 du PREFET DE POLICE ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant que si M. X... soutient que la mesure de reconduite prise à son encontre méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, il n'apporte à l'appui de ses dires aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE estfondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 24 janvier 1996 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... ;

Considérant toutefois qu'il résulte des écritures de M. X... aussi bien devant le tribunal administratif que devant le Conseil d'Etat qu'il entend demander l'annulation non seulement de l'arrêté du 24 janvier 1996 ordonnant sa reconduite à la frontière mais aussi de la décision contenue dans la notification qui lui a été faite dudit arrêté le même jour et qui désigne notamment le pays dont il a la nationalité comme pays vers lequel il peut être susceptible d'être éloigné ; que cette décision est susceptible d'entraîner la reconduite de M. X... à destination de l'Ukraine ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière de s'assurer, sous le contrôle du juge, en application du deuxième alinéa de l'article 27 bis de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 modifiée, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si l'autorité administrative est en droit de prendre en considération, à cet effet, les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'office français de protection des réfugiés et apatrides ou la commission des recours des réfugiés saisis par l'étranger de demandes de titre de réfugié, l'examen et l'appréciation par ces dernières instances, au regard des conditions mises à la reconnaissance du statut de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, des faits allégués par le demandeur d'un tel statut et des craintes qu'il énonce ne lient pas l'autorité administrative et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu du dossier dont elle dispose, que les mesures qu'elle prend ne méconnaissent pas les dispositions susmentionnées de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que M. X..., qui revendique la nationalité ukrainienne, tout en faisant état de son origine lituanienne, soutient, en produisant divers documents attestant qu'il a été victime de sévices graves, que ces sévices lui ont été infligés par les autorités du pays dont il aurait la nationalité en raison de son refus de participer à certaines opérations militaires engagées par l'armée dans laquelle il servait, et qu'il encourrait des risques graves pour sa sécurité en cas de retour dans ce pays ; que le préfet qui se borne à invoquer l'autorité de la chose jugée par la commission des recours des réfugiés dans sa décision du 10 octobre 1995 rejetant le recours formé par l'intéressé contre la décision lui refusant le statut de réfugié, n'apporte aucun élément de fait susceptible de contredire sérieusement les circonstances décrites par l'intéressé qui sont de nature à faire légalement obstacle à sa reconduite à la frontière à destination de l'Ukraine ; que, par suite, la décision fixant le pays à destination duquel il serait reconduit, en tant qu'elle désigne l'Ukraine est entachée d'illégalité et doit être annulée ;
Article 1er : Le jugement susvisé en date du 26 janvier 1996 du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il annule l'arrêté en date du 24 janvier 1996 du PREFET DE POLICE ordonnant la reconduite à la frontière de M. X....
Article 2 : La décision du PREFET DE POLICE du 24 janvier 1996 en tant qu'elle désignel'Ukraine comme pays à destination duquel M. X... pourrait être reconduit est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris et de la requête du PREFET DE POLICE sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à M. Vitaoutas X... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 4 ss
Numéro d'arrêt : 180921
Date de la décision : 27/05/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE.


Références :

Convention du 28 juillet 1951 Genève réfugiés
Convention du 10 décembre 1984 New-York convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 3, art. 8
Décret 87-916 du 09 novembre 1987
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 22, art. 27 bis
Protocole du 31 janvier 1967 New-York réfugiés


Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 1998, n° 180921
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olson
Rapporteur public ?: Mme Roul

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:180921.19980527
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award