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23/05/2001 | FRANCE | N°220214

France | France, Conseil d'État, 1 / 2 ssr, 23 mai 2001, 220214


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 21 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE FENOUILLET (Haute-Garonne) ; la COMMUNE DE FENOUILLET demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision en date du 17 mars 2000 par laquelle le tribunal administratif de Toulouse a autorisé M. Jean-Claude Y..., en sa qualité de contribuable de la COMMUNE DE FENOUILLET, à déposer au nom de celle-ci, à ses risques et périls, une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M. Gilles X...,

maire de Fenouillet, pour abus de confiance et détournement de fon...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 21 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE FENOUILLET (Haute-Garonne) ; la COMMUNE DE FENOUILLET demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision en date du 17 mars 2000 par laquelle le tribunal administratif de Toulouse a autorisé M. Jean-Claude Y..., en sa qualité de contribuable de la COMMUNE DE FENOUILLET, à déposer au nom de celle-ci, à ses risques et périls, une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M. Gilles X..., maire de Fenouillet, pour abus de confiance et détournement de fonds au préjudice de l'association dénommée "Comité des .uvres sociales de Fenouillet", violation du code des marchés publics et favoritisme, prise illicite d'intérêts ou octroi d'avantages injustifiés, détournement de fonds au préjudice de la commune ;
2°) de condamner M. Y... à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Boulouis, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la COMMUNE DE FENOUILLET et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. Y...,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132-5 du code général des collectivités territoriales : "Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit devoir appartenir à la commune et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d'exercer" ; qu'il appartient au tribunal administratif statuant en la forme administrative et au Conseil d'Etat, saisi d'un recours de pleine juridiction dirigé contre la décision du tribunal administratif, lorsqu'ils examinent une demande présentée par un contribuable sur le fondement de ces dispositions, de vérifier, sans se substituer au juge de l'action et au vu des éléments qui leur sont fournis, que l'action envisagée présente un intérêt suffisant pour la commune et qu'elle a une chance de succès ;
Considérant que, par une décision du 17 mars 2000, le tribunal administratif de Toulouse a autorisé M. Y..., en sa qualité de contribuable de la COMMUNE DE FENOUILLET, à déposer au nom de celle-ci, à ses risques et périls, une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre du maire de Fenouillet, pour abus de confiance et détournement de fonds au préjudice de l'association dénommée "Comité des .uvres sociales de Fenouillet", violation du code des marchés publics et favoritisme, prise illicite d'intérêts ou octroi d'avantages injustifiés, détournement de fonds au préjudice de la commune ; que la COMMUNE DE FENOUILLET demande l'annulation de cette décision ;
Considérant que la décision attaquée, qui constitue une autorisation de plaider et non un refus d'autorisation, n'entre dans aucune des catégories d'actes administratifs qui doivent être motivés ; que le moyen tiré de sa motivation insuffisante est, par suite, inopérant ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'association dénommée "Comité des .uvres sociales, du développement économique et du rayonnement de Fenouillet" a été créée à l'initiative du maire de Fenouillet ; que son objet social lui confère un vaste rôle dans le domaine de l'action sociale et en faveur du développement économique et de la promotion de la commune, qui relèvent de la compétence de celle-ci ; que les actions entreprises par l'association sont menées le plus souvent au nom de la commune et en partie par l'entremise des services municipaux ; que son bureau est exclusivement composé depuis sa création de membres du conseil municipal ; que ses ressources proviennent essentiellement de subventions de la commune ou de règlements de prestations qui peuvent s'analyser, ainsi que l'a constaté la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées dans sa lettre d'observations définitives relatives à la gestion de la commune en date du 29 juillet 1997, comme des compléments de subventions de la commune ; qu'ainsi, un préjudice subi en apparence par l'association est susceptible de constituer en réalité un préjudice direct et personnel pour la commune au sens de l'article 2 du code de procédure pénale ; qu'il n'est pas contesté que le maire a utilisé en 1990 des fonds de l'association alors qu'il n'était plus président de celle-ci ; que s'il est soutenu que cette utilisation est à mettre en relation avec la contribution de l'association à l'affrètement d'un avion sous le nom de "ville de Fenouillet" en vue d'assurer la promotion de l'image de la commune à l'occasion du huitième rallye aérien Toulouse - Saint-Louis du Sénégal, il n'est apporté aucune justification précise de l'emploi de ces fonds ; qu'il est constant que le maire de Fenouillet a été mis en examen du chef d'abus de confiance au détriment de l'association à raison de ces faits ; qu'il ne résulte pas de l'instruction et au vu des éléments présentés par la COMMUNE DE FENOUILLET que l'action civile soit prescrite ; que, dans ces conditions, l'engagement d'une telle action au nom de la commune n'est pas dépourvu de toute chance de succès ; que M. Y... apporte des éléments tendant à démontrer que le détournement soupçonné porte au moins sur une somme de 25 000 F ; que ce montant confère à l'action autorisée par le tribunal administratif un intérêt suffisant pour la COMMUNE DE FENOUILLET ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'une même entreprise a exécuté des travaux privés dans la propriété du maire de Fenouillet en 1992 et des travaux publics communaux de 1992 à 1994, consistant notamment en la construction d'un enclos de dépôt temporaire de déchets et en la réfection des tribunes du stade municipal ; que M. Y... produit un rapport établi par un expert duquel il résulte que les travaux privés en cause auraient pu faire l'objet d'une sous-évaluation délibérée compensée par une importante surfacturation des travaux publics précités, ainsi qu'un ensemble d'indices concordants tendant à démontrer la conclusion d'une entente portant sur la réalisation des travaux privés par l'entreprise et l'attribution postérieure des contrats publics litigieux par le maire, qui aurait entraîné un surcoût de plusieurs dizaines de milliers de francs pour la commune ; que les éléments ainsi avancés, rapprochés de l'ensemble des pièces du dossier, sont de nature à faire peser un soupçon d'infraction délictuelle, notamment du chef de corruption passive ; que, dans ces circonstances, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile n'est pas dépourvu de chance de succès et présente un intérêt suffisant pour la commune ;
Considérant que trois adjoints au maire de la COMMUNE DE FENOUILLET ont bénéficié en décembre 1992 ou février 1993 du versement d'indemnités de fonction au-delà du maximum prévu au premier alinéa de l'article L. 123-6 du code des communes alors applicable, pour un montant total de 29 700 F ; que si M. Y... ne conteste pas que, conformément au deuxième alinéa du même article, le montant total des indemnités maximales susceptibles d'être allouées au maire et aux adjoints n'a pas été dépassé, il soutient que le conseil municipal n'avait pas décidé ce versement ; que la COMMUNE DE FENOUILLET ne produit pas la délibération correspondante, dont elle invoque l'existence ; qu'une indemnité de fonction ne peut être versée que si l'assemblée délibérante en a déterminé les bénéficiaires ainsi que le montant ; qu'un tel versement opéré au-delà des termes ou en l'absence d'une telle décision est pénalement réprimé ; que, par ailleurs, M. Y... fournit des précisions non sérieusement contestées dont il résulte que les bénéficiaires des compléments d'indemnités de fonction en auraient reversé le produit au maire à la demande de celui-ci ; que le fait pour un maire de percevoir des indemnités de fonction au-delà de celles auxquelles il sait avoir droit est également susceptible de constituer une infraction pénale ; que, dans ces conditions, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre du maire de Fenouillet, du fait de tels versements, n'est pas dépourvu de toute chance de succès ; qu'une telle action présente, eu égard au montant des sommes qu'elle vise, un intérêt suffisant pour la COMMUNE DE FENOUILLET ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE FENOUILLET n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 17 mars 2000 en tant que, par cette décision, le tribunal administratif de Toulouse a autorisé M. Y... à se constituer partie civile au nom de la commune, à l'encontre du maire, du fait de l'utilisation par celui-ci des fonds de l'association dénommée "Comité des .uvres sociales, du développement économique et du rayonnement de Fenouillet" en 1990 et à déposer une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre du maire du fait du versement de compléments d'indemnités de fonction à certains adjoints en décembre 1992 ou février 1993 et de l'exécution par une même entreprise de travaux publics communaux et de travaux privés dans la propriété du maire de 1992 à 1994 ;
Considérant, en revanche, qu'il ne résulte pas de l'instruction et au vu des éléments fournis par M. Y... que les irrégularités commises à l'occasion de la passation ou de l'exécution des marchés publics de la commune relatifs à la construction d'une fontaine publique, à la maîtrise d'.uvre de la construction de la médiathèque municipale et aux travaux de terrassement nécessaires à la construction d'un bâtiment industriel ou préalablement à la conclusion par le syndicat intercommunal du bocage le 6 décembre 1995 d'un avenant au traité d'affermage passé pour l'exploitation du service d'assainissement aient fait subir à la commune un préjudice suffisant pour justifier une action en justice ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction et au vu des éléments fournis par M. Y... que la prise en charge par le budget communal de frais d'alimentation en carburant du véhicule personnel du maire ait fait subir à la commune un préjudice suffisant pour justifier une action en justice ;
Considérant que la participation de la commune au huitième rallye aérien Toulouse - Saint-Louis du Sénégal pouvant présenter pour elle un intérêt pour la promotion de son image au sein de la région, la prise en charge par le budget communal des frais de location de l'avion affrété sous le nom de "ville de Fenouillet" n'est pas de nature à faire peser un soupçon d'infraction pénale du chef de prise illégale d'intérêt ou de détournement de fonds publics, alors même que le maire participait personnellement au rallye au sein de l'équipage de l'avion loué par la commune ; que, par suite, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile du chef de ces faits ne présente pas de chance de succès ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE FENOUILLET est fondée à demander l'annulation de la décision du 17 mars 2000 en tant que, par cette décision, le tribunal administratif de Toulouse a autorisé M. Y... à se constituer partie civile en son nom du chef des irrégularités commises à l'occasion de la passation ou de l'exécution des marchés publics de la commune relatifs à la construction d'une fontaine publique, à la maîtrise d'.uvre de la construction de la médiathèque municipale et aux travaux de terrassement nécessaires à la construction d'un bâtiment
industriel, du chef de la conclusion irrégulière le 6 décembre 1995 par le syndicat intercommunal du bocage d'un avenant au traité d'affermage passé pour l'exploitation du service d'assainissement, ainsi que du chef de la prise en charge par le budget communal de frais d'alimentation en carburant du véhicule personnel du maire et du coût de la location de l'avion affrété sous le nom de "ville de Fenouillet" pour participer au huitième rallye aérien Toulouse - Saint-Louis du Sénégal ;
Sur les conclusions de la COMMUNE DE FENOUILLET et de M. Y... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 reprises à l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la COMMUNE DE FENOUILLET, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à M. Y... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas davantage lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. Y... à payer à la COMMUNE DE FENOUILLET la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision du tribunal administratif de Toulouse est annulée en tant qu'elle autorise M. Y... à se constituer partie civile ou à déposer une plainte avec contitution de partie civile au nom de la COMMUNE DE FENOUILLET à l'encontre du maire, M. X..., pour d'autres faits que l'utilisation des fonds de l'association dénommée "Comité des .uvres sociales, du développement économique et du rayonnement de Fenouillet" en 1990, le versement de compléments d'indemnités de fonction à certains adjoints au maire en décembre 1992 ou février 1993 et l'exécution par une même entreprise de travaux publics communaux et de travaux privés dans la propriété du maire de 1992 à 1994.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de M. Y... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE FENOUILLET, à M. Jean-Claude Y... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 1 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 220214
Date de la décision : 23/05/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

135-02-05-01-03 COLLECTIVITES TERRITORIALES - COMMUNE - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES - EXERCICE PAR UN CONTRIBUABLE DES ACTIONS APPARTENANT A LA COMMUNE - PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT


Références :

Code de justice administrative L761-1
Code de procédure pénale 2
Code des communes L123-6
Code général des collectivités territoriales L2132-5
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 23 mai. 2001, n° 220214
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Boulouis
Rapporteur public ?: Mme Boissard

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2001:220214.20010523
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