La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/04/2002 | FRANCE | N°228858

France | France, Conseil d'État, 10 ss, 05 avril 2002, 228858


Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 janvier 2001, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 décembre 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 5 décembre 2000 ordonnant la reconduite la frontière de M. Bedrettin X..., ensemble la décision du même jour fixant la Turquie comme pays de destination vers lequel il doit être reconduit ;
2°) de rejeter la demande prés

entée par M. X... devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Vu les a...

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 janvier 2001, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 décembre 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 5 décembre 2000 ordonnant la reconduite la frontière de M. Bedrettin X..., ensemble la décision du même jour fixant la Turquie comme pays de destination vers lequel il doit être reconduit ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herondart, Auditeur,
- les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure de première instance :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 241-13 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur : "Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou son délégué, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations" ;
Considérant qu'il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que, pour faire droit à la demande de M. X..., le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur des photographies, des lettres et des témoignages présentés à l'audience ; que si ces éléments n'ont pas fait l'objet d'une communication au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, cette circonstance n'a pas constitué une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué dès lors qu'il est constant que le préfet, bien que convoqué à l'audience, ne s'y est pas fait représenter ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ( ...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., ressortissant turc né en 1976, s'est maintenu sur le territoire français plus de quinze jours après son entrée, le 14 avril 2000, dans le territoire régi par la convention de Schengen muni d'un visa d'une validité de quinze jours ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 2° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2000 ordonnant sa reconduite à la frontière, M. X... a fait valoir qu'il a depuis son entrée en France, en avril 2000, vécu avec une ressortissante française qu'il avait connue auparavant en Turquie et dont il attendait un enfant qu'il a reconnu par anticipation le 10 novembre 2000 ; qu'il a commencé les démarches nécessaires pour se marier le 17 novembre 2000 ; que, dans ces circonstances, compte tenu de la brièveté du concubinage et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, cet arrêté n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que c'est dès lors à tort que, pour annuler l'arrêté attaqué et par voie de conséquence l'arrêté du même jour désignant la Turquie comme pays de destination, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce qu'il méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X... devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit" ; que si le requérant soutient qu'il avait, à la date de la décision attaquée, un projet de mariage avec une ressortissante française dont il attendait un enfant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté préfectoral décidant de sa reconduite à la frontière ferait par lui-même obstacle à son mariage avec l'intéressée, mariage qui a d'ailleurs eu lieu ;
Considérant qu'aux termes de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : "Ne peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en application de l'article 23 : ( ...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins" ( ...) Les étrangers mentionnés au 1° à 6° et 8° ne pouvant faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la présente ordonnance" ;
Considérant que si M. X... soutient qu'à la date de l'arrêté attaqué, il avait reconnu par anticipation l'enfant qu'il attendait d'une ressortissante française, il est constant que la naissance de cet enfant est postérieure à la date de l'arrêté de reconduite à la frontière ; que, dès lors, à la date de l'arrêté attaqué, M. X... ne pouvait être regardé comme entrant dans le champ d'application des dispositions précitées ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. X... ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 5 décembre 2000 par lequel le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a désigné la Turquie comme pays de destination :

Considérant que si M. X... soutient que le choix de la Turquie comme pays de destination aura pour conséquence qu'il ne pourra obtenir de visa pour retourner en France et se marier, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette argumentation est inopérante à l'encontre d'une décision qui n'a ni pour objet, ni pour effet de priver l'intéressé de retourner en situation régulière en France ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à demander l'annulation du jugement du 9 décembre 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 5 décembre 2000 et a annulé, par voie de conséquence, la décision du même jour fixant la Turquie comme pays de destination vers lequel il doit être reconduit ;
Article 1er : Le jugement du 9 décembre 2000 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Grenoble par M. X... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifié au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, à M. Bedrettin X... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10 ss
Numéro d'arrêt : 228858
Date de la décision : 05/04/2002
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE.


Références :

Arrêté du 05 décembre 2000
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R241-13
Convention du 19 juin 1990 Schengen
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 8, art. 12
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 22, art. 25


Publications
Proposition de citation : CE, 05 avr. 2002, n° 228858
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Herondart
Rapporteur public ?: Mme Mitjavile

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2002:228858.20020405
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award