La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/05/2002 | FRANCE | N°237125

France | France, Conseil d'État, 03 mai 2002, 237125


Vu la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 9 août 2001, présentée par M. Francis X..., demeurant 37, B rue Rouelle à Paris (75015) ; M. X... demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 29 juin 2001 par lequel le préfet des Yvelines a décidé d'exécuter l'arrêté de reconduite à la frontière du 27 janvier 1999 pris à son encontre p

ar le préfet de police ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
...

Vu la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 9 août 2001, présentée par M. Francis X..., demeurant 37, B rue Rouelle à Paris (75015) ; M. X... demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 29 juin 2001 par lequel le préfet des Yvelines a décidé d'exécuter l'arrêté de reconduite à la frontière du 27 janvier 1999 pris à son encontre par le préfet de police ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une carte de séjour ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, notamment par la loi du 2 août 1989, la loi du 10 janvier 1990, la loi du 26 février 1992, la loi du 24 août 1993 et la loi du 11 mai 1998 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de la requête de première instance :
Considérant que, par un arrêté du 27 janvier 1999, le préfet de police a ordonné la reconduite à la frontière de M. X... ; que cet arrêté, notifié le 29 janvier 1999 à M. X..., n'a reçu aucune exécution avant la décision du 29 juin 2001 par laquelle le préfet des Yvelines a ordonné le placement de M. X... dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, en vue d'assurer l'exécution d'office de cet arrêté ;
Considérant que lorsqu'un arrêté de reconduite à la frontière a été dépourvu de mesure d'exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l'administration, l'exécution d'office d'une reconduite à la frontière doit être regardée comme fondée non sur l'arrêté initial, même si celui-ci est devenu définitif faute d'avoir été contesté dans les délais, mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la frontière dont l'existence est révélée par la mise en oeuvre de l'exécution d'office elle-même et qui doit être regardé comme s'étant substitué à l'arrêté initial ;
Considérant qu'en l'espèce trente mois se sont écoulés entre l'intervention de l'arrêté du 27 janvier 1999 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... et la décision du 29 juin 2001 ordonnant son placement dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire en vue d'assurer l'exécution d'office dudit arrêté ; que, pendant cette période, M. X... a commencé à vivre maritalement avec Mlle Ngo Y... ; qu'il ne ressort pas du dossier que le retard mis à exécuter l'arrêté de reconduite à la frontière du 27 janvier 1999 trouverait son origine dans la volonté de l'intéressé de s'y soustraire ou dans une autre cause étrangère à l'autorité administrative ; que ce retard doit être ainsi regardé comme imputable à cette dernière ; que, dès lors, eu égard au changement intervenu dans la situation de M. X... et à la durée de la période écoulée depuis la notification de l'arrêté du 27 janvier 1999, le préfet des Yvelines, en prenant le 29 juin 2001, en sus d'une décision plaçant l'intéressée en rétention administrative, les mesures propres à assurer l'exécution de l'arrêté susmentionné du préfet de police du 27 janvier 1999, a pris une nouvelle mesure de reconduite à la frontière qui s'est substituée à l'arrêté initial et pouvait faire l'objet d'un recours contentieux ;
Considérant que la demande de M. X... présentée devant le tribunal administratif de Versailles doit être regardée comme dirigée contre cette nouvelle mesure de reconduite à la frontière; que, dès lors, ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué sont recevables ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière :
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article 22-I de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ( ...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 8 juillet 1998, de la décision du préfet de police du 3 juillet 1998, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas visé au 3° de l'article 22-I de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., de nationalité camerounaise, est entré en France en 1986 à l'âge de vingt-deux ans pour y suivre ses études ; qu'à la date de l'arrêté contesté, il y vivait de manière continuelle depuis près de quinze ans, qu'il vit en concubinage avec une compatriote résidant en situation régulière sur le territoire national et qu'il justifie d'une bonne insertion sociale ; que le préfet des Yvelines ne conteste pas qu'il n'a plus de famille au Cameroun ; que, dans ces conditions, l'arrêté attaqué du préfet des Yvelines du 29 juin 2001 a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il a donc méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa requête ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé" ; que le III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : "Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, (.) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas" ;
Considérant que la présente décision prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... et non pas d'une décision refusant de délivrer à celui-ci une carte de séjour temporaire ; que, dès lors, M. X... n'est pas fondé à invoquer l'autorité de la chose jugée qui s'attacherait aux motifs de la présente décision pour soutenir que celle-ci implique nécessairement, au sens des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, la délivrance d'une carte de séjour temporaire ;
Mais considérant qu'à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative - lesquels peuvent être exercés tant par le juge unique de la reconduite à la frontière que par une formation collégiale - pour fixer le délai dans lequel la situation de l'intéressé doit être réexaminée, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prescrire au préfet des Yvelines de se prononcer sur la situation de M. X... dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ;
Article 1er : Le jugement du 2 juillet 2001 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Versailles et l'arrêté du 29 juin 2001 du préfet des Yvelines sont annulés.
Article 2 : Le préfet des Yvelines statuera sur la régularisation de la situation de M. X..., dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Francis X..., au préfet des Yvelines et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 237125
Date de la décision : 03/05/2002
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03-02-02 ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE - LEGALITE INTERNE - DROIT AU RESPECT DE LA VIE FAMILIALE


Références :

Arrêté du 27 janvier 1999
Arrêté du 29 juin 2001
Code de justice administrative L911-1, L911-2
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 8
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 22, art. 22 bis


Publications
Proposition de citation : CE, 03 mai. 2002, n° 237125
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur public ?: M. Olson

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2002:237125.20020503
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award