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15/07/2004 | FRANCE | N°224276

France | France, Conseil d'État, 2eme et 7eme sous-sections reunies, 15 juillet 2004, 224276


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 12 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Dominique X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 20 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 7 mai 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui verser la somme de 3 000 000 F (457 347,05 euros) à titre de dommages et int

érêts en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de l'acciden...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 12 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Dominique X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 20 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 7 mai 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui verser la somme de 3 000 000 F (457 347,05 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de l'accident de service dont il a été victime le 27 septembre 1986 ainsi que la somme de 100 000 F (15 244,90 euros) en réparation des fautes commises par La Poste dans la gestion de son dossier, majorées des intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner La Poste à lui verser la somme globale de 3 100 000 F (472 591,95 euros), assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre des frais exposés par lui devant le Conseil d'Etat et la somme de 10 351 F (1 578 euros) au titre des frais exposés devant la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne-Marie Artaud-Macari, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. X et de la SCP Defrenois, Levis, avocat de La Poste,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, que, pour rejeter les conclusions de M. X tendant à la réparation du préjudice que lui aurait causé la gestion défectueuse de son dossier d'accident de service, la cour administrative d'appel de Paris a relevé qu'aucune faute n'avait été commise par La Poste dans la gestion du dossier de l'intéressé ; qu'elle s'est ainsi livrée à une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation, et a suffisamment motivé son arrêt sur ce point ; que, par suite, M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en ce qui concerne ce chef de conclusions ;

Considérant, d'autre part, qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ;

Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci ;

Considérant que, pour rejeter les conclusions de M. X tendant à la réparation des préjudices qu'il avait subis à la suite de son accident de service, lesquels incluaient, contrairement à ce que soutient La Poste, outre le préjudice de carrière, le pretium doloris, le préjudice esthétique ainsi que les troubles dans les conditions d'existence, la cour administrative d'appel de Paris a retenu que le requérant ne pouvait prétendre à aucune autre réparation que la pension qu'il percevait ; que, ce faisant, la cour a commis une erreur de droit ; qu'il suit de là que M. X est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la réparation des préjudices qu'il a subis du fait de son accident de service ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond sur ce point ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X, fonctionnaire des postes et télécommunications, alors âgé de 22 ans, a été victime, le 27 septembre 1986 d'un accident de la circulation survenu pendant le service, qui lui a causé une tétraplégie complète et définitive ; que, se trouvant dans l'incapacité permanente d'exercer ses fonctions, il a été mis en retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 1990 ; qu'il a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner La Poste, qui vient au droit de l'Etat en application de la loi du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, à lui verser une indemnité correspondant à l'ensemble des préjudices résultant pour lui de cet accident de service ;

Considérant qu'alors même qu'il bénéficie, au titre de son accident de service, d'une pension et d'une rente viagère d'invalidité qui lui ont été accordées dans les conditions prévues aux articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, M. X conserve le droit de demander à La Poste, en l'absence même de faute de cet établissement public, la réparation des souffrances physiques et morales ainsi que des préjudices esthétiques et des troubles dans les conditions d'existence pouvant résulter de cet accident ; qu'à la condition d'établir que celui-ci résulte, comme il le soutient, d'une faute de l'administration, il peut prétendre, en outre, au versement d'une indemnité réparant ses autres chefs de préjudice, dans la mesure où ceux-ci ne le seraient pas déjà par le versement de pensions ; qu'ainsi, M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur les dispositions prévoyant l'octroi de ces prestations pour rejeter ses conclusions tendant à la réparation des préjudices que lui a causés l'accident de service dont il a été victime ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'accident dont a été victime M. X soit imputable à une faute de l'administration ; qu'ainsi, M. X n'est pas fondé à demander le versement d'une indemnité pour les frais de tierce-personne et d'aménagement de son appartement ainsi que pour le préjudice de carrière qu'il subit du fait de son accident ;

Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que les souffrances physiques et le préjudice esthétique subis par M. X sont très importants ; que l'invalidité dont il reste atteint du fait de sa tétraplégie, qui lui interdit l'accomplissement de la plupart des actes de la vie courante, comporte des conséquences graves sur sa vie personnelle et sur les activités professionnelles dont il a été privé ; qu'il subit ainsi de graves troubles de caractère personnel dans ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste appréciation de la part personnelle du préjudice subi par l'intéressé en l'évaluant à 200 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que M. X a droit aux intérêts de la somme de 300 000 euros, en application de l'article 1153 du code civil, à compter du 22 décembre 1993, date de l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Paris ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 4 septembre 1998 ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande, conformément à l'article 1154 du code civil, tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de La Poste, le versement à M. X de la somme de 3 700 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui tant devant le Conseil d'Etat que devant la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X la somme que La Poste demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 20 juin 2000 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. X tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service dont il a été victime le 27 septembre 1986.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. X tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service dont il a été victime le 27 septembre 1986.

Article 3 : La Poste est condamnée à verser à M. X la somme de 200 000 euros assortie des intérêts légaux à compter du 22 décembre 1993. Les intérêts échus à la date du 4 septembre 1998 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : La Poste versera à M. X la somme de 3 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X ainsi que de ses conclusions devant la cour administrative d'appel de Paris et du tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Dominique X, à La Poste et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 2eme et 7eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 224276
Date de la décision : 15/07/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - PRÉJUDICE PERSONNEL - TÉTRAPLÉGIE COMPLÈTE ET DÉFINITIVE SUBIE PAR UNE JEUNE HOMME - EVALUATION À 200 000 EUROS.

60-04-03 Les souffrances physiques et le préjudice esthétique subis par le requérant, victime à l'âge de 22 ans d'un accident de circulation survenu au cours de son service et ayant entraîné une tétraplégie complète et définitive, sont très importants. L'invalidité dont il reste atteint du fait de sa tétraplégie, qui lui interdit l'accomplissement de la plupart des actes de la vie courante, comporte des conséquences graves sur sa vie personnelle et sur les activités professionnelles dont il a été privé. Il subit ainsi de graves troubles de caractère personnel dans ses conditions d'existence. Il sera dès lors fait une juste appréciation de la part personnelle du préjudice subi par l'intéressé en l'évaluant à 200 000 euros.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2004, n° 224276
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mme Anne-Marie Artaud-Macari
Rapporteur public ?: Mme Prada Bordenave
Avocat(s) : SCP DEFRENOIS, LEVIS ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:224276.20040715
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