La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2007 | FRANCE | N°291504

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 28 novembre 2007, 291504


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mars et 20 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. François A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 19 janvier 2006 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 26 avril 2005 par laquelle le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Rennes a rejeté sa demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension

compter du 25 avril 2005 en qualité de père de trois enfants, d'autr...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mars et 20 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. François A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 19 janvier 2006 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 26 avril 2005 par laquelle le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Rennes a rejeté sa demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 25 avril 2005 en qualité de père de trois enfants, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint audit directeur, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de le faire bénéficier de la jouissance immédiate de la pension civile de retraite demandée à compter du 25 avril 2005 ;

2°) d'annuler la décision administrative attaquée et d'enjoindre à l'Etat de prendre les mesures qu'impliquera l'exécution de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le Traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les protocoles qui lui sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;

Vu le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charlotte Avril, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. A a sollicité, le 25 avril 2005, auprès du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales d'Ille-et-Vilaine, son admission à la retraite avec jouissance immédiate de la pension ; que, par jugement en date du 19 janvier 2006, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de l'intéressé du 10 mai 2005 tendant à l'annulation de la décision de rejet de l'administration en date du 26 avril 2005 ; que M. A se pourvoit en cassation contre le jugement précité ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le droit à pension est acquis aux fonctionnaires après quinze années accomplies de services civils et militaires effectifs ; que, par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du même code subordonnant la jouissance de la pension à des conditions d'âge, celles du a) du 3° de ce I, dans leur rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 30 décembre 2004, ouvrent à toute femme fonctionnaire, mère de trois enfants et justifiant de cette condition de services effectifs, le droit de prendre sa retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; que, toutefois, le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, désormais reprises à l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, impose de reconnaître le même droit aux fonctionnaires masculins, pères de trois enfants remplissant la même condition de services effectifs ; qu'il est constant que M. A remplit lesdites conditions ;

Considérant, il est vrai, que dans la rédaction que lui a donnée le I de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 et dont le II précise qu'elles sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, le 3° du I de cet article L. 24 dispose désormais que ce droit de jouissance est ouvert à tout fonctionnaire civil parent de trois enfants vivants à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et qu'il résulte de l'article R. 37, introduit dans le code des pensions civiles et militaires de retraite par le décret du 10 mai 2005, que l'interruption d'activité susceptible d'être prise en compte à ce titre doit avoir eu une durée continue de deux mois et avoir donné lieu à l'un des congés dont la liste est limitativement énumérée par ce texte ; que, toutefois, dans la mesure où ces dispositions rétroactives sont intervenues pendant la durée des présentes procédures et où elles ont notamment pour objet d'influer sur leur issue alors qu'ainsi qu'il a été dit, les dispositions de l'article L. 24 de ce code applicables à la date de la décision refusant à M. A le bénéfice de sa mise à la retraite à compter du 25 avril 2005 avec entrée en jouissance immédiate de sa pension, devaient être interprétées comme ouvrant aux hommes comme aux femmes ayant eu trois enfants le droit à l'entrée en jouissance immédiate de leur pension de retraite, le requérant est fondé à soutenir qu'elles méconnaissent, en l'absence d'un motif impérieux d'intérêt général, les stipulations du §1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi, en rejetant la demande de M. A au motif que les dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction issue respectivement de l'article 136-I de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 ne méconnaissaient pas les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que le refus opposé à la demande de M. A par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales d'Ille-et-Vilaine est exclusivement motivé par la circonstance que le a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite institue la jouissance immédiate de la pension et en réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que de telles dispositions sont incompatibles avec le principe d'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé par le traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne ;

Considérant que si le ministre soutient que M. A ne pouvait bénéficier de la jouissance immédiate de sa pension à la date du 25 avril 2005 au motif que l'intéressé n'avait pas déposé sa demande d'admission à la retraite six mois au moins avant la date à laquelle il souhaitait cesser ses activités, ces dispositions sont sans incidence sur l'appréciation des droits de M. A à bénéficier à cette même date de la jouissance immédiate de sa pension de retraite ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision en date du 26 avril 2005 par laquelle le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales d'Ille-et-Vilaine a refusé à M. A, père de trois enfants, le bénéfice de la mise à la retraite à compter du 25 avril 2005 avec jouissance immédiate de sa pension est entachée d'illégalité ; que, dès lors et pour ce motif, M. A est fondé à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d'Etat enjoigne à l'Etat de prendre les mesures qu'impliquera l'exécution de la décision à intervenir :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant que la présente décision implique nécessairement que l'Etat fasse bénéficier M. A de la jouissance immédiate d'une pension de retraite ; qu'il ne ressort pas de l'instruction qu'à la date de la présente décision des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ne puisse exécuter ladite décision ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique d'admettre rétroactivement M. A à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance de sa pension à compter du 25 avril 2005, l'intéressé ayant toutefois droit, en tout état de cause, à la rémunération du service fait jusqu'à la date de sa cessation définitive de fonctions, sans pouvoir cumuler, jusqu'à cette date, traitement d'activité et pension de retraite ;

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 19 janvier 2006 est annulé.

Article 2 : La décision du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales d'Ille-et-Vilaine en date du 26 avril 2005 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique d'admettre M. A, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance de sa pension de retraite à compter du 25 avril 2005, dans les conditions précisées aux motifs de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. François A, au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 291504
Date de la décision : 28/11/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 28 nov. 2007, n° 291504
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Pinault
Rapporteur ?: Mme Charlotte Avril
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP TIFFREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:291504.20071128
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award