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04/03/2009 | FRANCE | N°302058

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 04 mars 2009, 302058


Vu le pourvoi et le nouveau mémoire, enregistrés les 27 février et 13 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 décembre 2006 par lequel la cour régionale des pensions de Lyon a confirmé le jugement du 6 avril 2006 du tribunal des pensions militaires de la Loire reconnaissant à Mme Hadda C un droit à pension du chef de son mari décédé, pensionné en qualité de victime civile ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler ledit jugement et de

rejeter la demande présentée par Mme C devant ledit tribunal ;

Vu les autre...

Vu le pourvoi et le nouveau mémoire, enregistrés les 27 février et 13 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 décembre 2006 par lequel la cour régionale des pensions de Lyon a confirmé le jugement du 6 avril 2006 du tribunal des pensions militaires de la Loire reconnaissant à Mme Hadda C un droit à pension du chef de son mari décédé, pensionné en qualité de victime civile ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler ledit jugement et de rejeter la demande présentée par Mme C devant ledit tribunal ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 14 et son premier protocole additionnel, notamment son article 1er ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963, modifiée par la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 modifié ;

Vu le décret n° 62-1049 du 4 septembre 1962 ;

Vu le décret n° 69-402 du 25 avril 1969 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Sauron, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 18 mai 2005, l'administration a rejeté la demande de pension présentée par Mme C du chef du décès, le 31 mars 2005, de son mari, de nationalité française, qui était titulaire d'une pension concédée par un arrêté du 28 septembre 1982 au titre de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 susvisée, au motif que les dispositions de l'article 4 du décret du 25 avril 1969 susvisé s'y opposaient, en raison de sa nationalité algérienne ; que, par un arrêt du 12 décembre 2006, contre lequel le MINISTRE DE LA DEFENSE se pourvoit, la cour régionale des pensions de Lyon a confirmé le jugement du 6 avril 2006 par lequel le tribunal départemental des pensions de la Loire a annulé la décision du 18 mai 2005 et jugé que Mme C était en droit de bénéficier de la pension qu'elle demandait ;

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 : (...) les personnes de nationalité française à la date de promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants-cause de nationalité française à la même date, droit à pension ; qu'en vertu de l'article 3 du décret n° 69-402 du 25 avril 1969, pris pour l'application de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 susmentionnée, les ayants-cause d'une personne décédée qui bénéficiait des dispositions de cet article et qui ne possédaient pas la nationalité française à la date de promulgation de cette loi bénéficient du régime institué par cet article s'ils résident en France et s'ils ont été admis au bénéfice des dispositions du décret du 4 septembre 1962 pris pour l'application de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des français d'outre-mer ; que l'article 4 du décret n° 69-402 du 25 avril 1969 dispose que les dispositions de l'article 3 de ce décret ne sont pas applicables aux étrangers de nationalité algérienne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions et des amendes ;

Considérant que les pensions servies aux personnes mentionnées à l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, qui sont des allocations pécuniaires personnelles, constituent pour leurs bénéficiaires des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant que les pensions servies en application de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 précité ont pour objet de garantir à leurs bénéficiaires une compensation des pertes de revenus et des charges financières résultant des dommages physiques imputables aux événements mentionnés au premier alinéa de cet article ; que la différence de situation entre leurs ayants-cause, prévue par les dispositions précitées de cette loi et par celles du décret du 25 avril 1969 pris pour son application, selon qu'ils sont ou non de nationalité française n'est pas de nature à justifier la différence de traitement instituée par ces mêmes dispositions, dès lors que la pension servie à l'ayant-cause a pour objet de garantir à celui-ci une compensation de la perte de la pension qui était servie au bénéficiaire décédé ; que, par suite, ces dispositions sont incompatibles avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que, dès lors, la cour régionale des pensions de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article 4 du décret du 25 avril 1969 pour refuser à Mme C, par sa décision du 18 mai 2005, la pension qu'elle demandait du chef du décès de son mari ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'il y a lieu, par conséquent, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros que Mme C demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE LA DEFENSE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à Mme Hadda C.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 302058
Date de la décision : 04/03/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - DROIT AU RESPECT DE SES BIENS (ART - 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL) - COMBINAISON AVEC LES STIPULATIONS DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION - VIOLATION - EXISTENCE - DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT SELON LEUR NATIONALITÉ ENTRE LES AYANTS-CAUSE DE TITULAIRES DE PENSIONS.

26-055-02-01 L'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 et l'article 4 du décret n° 69-402 du 25 avril 1969, pris pour son application, sont incompatibles avec les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH) et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'ils introduisent une différence de traitement selon leur nationalité entre les ayants-cause des titulaires des pensions auxquelles l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 ouvre droit.

PENSIONS - PENSIONS MILITAIRES D'INVALIDITÉ ET DES VICTIMES DE GUERRE - AYANTS-CAUSE OU AYANTS-DROIT - DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT SELON LA NATIONALITÉ - INCONVENTIONNALITÉ (ART - 14 CONV - EDH ET ART - 1ER DE SON PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL) - EXISTENCE.

48-01-04 L'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 et l'article 4 du décret n° 69-402 du 25 avril 1969, pris pour son application, sont incompatibles avec les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv. EDH) et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'ils introduisent une différence de traitement selon leur nationalité entre les ayants-cause des titulaires des pensions auxquelles l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 ouvre droit.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 mar. 2009, n° 302058
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Sauron
Rapporteur public ?: M. Olléon Laurent

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:302058.20090304
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