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10/04/2009 | FRANCE | N°295774

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 10 avril 2009, 295774


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juillet 2006 et 22 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alexandre A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 15 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Bastia rejetant sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du 25 octobre 1

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juillet 2006 et 22 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alexandre A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 15 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Bastia rejetant sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du 25 octobre 1990 du directeur régional de l'agriculture et de la forêt approuvant la délibération du 27 septembre 1990 par laquelle le conseil d'administration de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de la Corse du 27 septembre 1990 a attribué à M. B la rétrocession d'un lot de terres agricoles, et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 40 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 1996 ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 février 2002, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 40 000 euros avec intérêts à compter du 14 juin 1996 et d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 21 mars 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Rossi, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Richard, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Richard, avocat de M. A ;

Considérant que, par une délibération du 27 septembre 1990, le conseil d'administration de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de la Corse a attribué à M. B la rétrocession d'un lot de terres agricoles acquis par cette société ; que le commissaire du gouvernement représentant le ministre de l'agriculture auprès de la SAFER a approuvé cette délibération par une décision du 25 octobre 1990 dont le tribunal administratif de Bastia a prononcé l'annulation à la demande de M. A qui s'était également porté candidat à la rétrocession des terres ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, confirmant un jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 février 2002, a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'à l'appui de son recours indemnitaire, M. A faisait valoir que l'extension sur les quatre hectares litigieux de la plantation de nectariniers et de pêchers qu'il exploitait à proximité lui aurait rapporté des recettes supplémentaires dont il produisait une évaluation chiffrée ; que, pour rejeter sa demande, la cour a estimé que le développement d'un type de culture plutôt que d'un autre ne présentait qu'un caractère éventuel et qu'ainsi le préjudice allégué ne pouvait être regardé comme certain ; qu'en se fondant sur ce motif, alors qu'il était constant que M. A exploitait des nectariniers et des pêchers et qu'il ne ressortait d'aucune pièce du dossier que le terrain en cause ne se prêtait pas à ces cultures, la cour a entaché son arrêt de dénaturation ; que le requérant est, dès lors, fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant que M. A, qui a reçu notification le 13 février 2002 du jugement en date du 7 février 2002 du tribunal administratif de Bastia, a formé appel devant la cour administrative d'appel de Marseille le 9 avril 2002, dans le délai légal ; que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales doit par suite être écartée ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le commissaire du gouvernement auprès de la SAFER de Corse, qui avait à deux reprises refusé d'approuver la cession des terres à M. B, qu'il estimait illégale, l'a finalement approuvée le 25 octobre 1990 compte tenu des difficultés actuelles de la SAFER et afin d'éviter de nouveaux frais sur cette parcelle ; qu'en se fondant sur des raisons d'opportunité pour approuver une délibération qu'il estimait illégale, le commissaire du gouvernement a commis une erreur de droit sur l'étendue de ses pouvoirs ; que l'illégalité entachant sa décision, qui a été annulée par un jugement du 19 juin 1992 du tribunal administratif de Bastia, confirmé le 16 octobre 1998 par le Conseil d'Etat statuant au contentieux, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant qu'il ressort de l'instruction que l'approbation fautive par le commissaire du gouvernement de la cession des terres à M. B a, pour partie, directement concourru à la perte d'une chance sérieuse, pour M. A, d'acquérir ces terres pour les adjoindre à la propriété familiale qu'il exploitait à proximité immédiate et d'en tirer un bénéfice en les exploitant ; que, dans un secteur où les terres agricoles disponibles sont rares, il sera fait une juste appréciation du préjudice qui est résulté de cette perte de chance, en le fixant à 36 000 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation de la fraction de ce préjudice imputable à la faute de l'Etat, en la fixant à 50 % ; qu'il résulte de tout ce qu'il précède que l'indemnité mise à la charge de l'Etat doit être fixée à 18 000 euros ; que M. A a droit aux intérêts sur cette somme à compter du 14 juin 1996, date de réception de sa demande préalable ; que la capitalisation ayant été demandée par un mémoire enregistré le 21 mars 2006, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette dernière date qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation du jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Bastia ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 15 mai 2006 de la cour administrative d'appel de Marseille et le jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Bastia sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A une indemnité de 18 000 euros portant intérêts au taux légal à compter du 14 juin 1996, les intérêts échus à la date du 21 mars 2006 et à chaque échéance annuelle ultérieure étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, et une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Alexandre A et au ministre de l'agriculture et de la pêche.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 295774
Date de la décision : 10/04/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

AGRICULTURE - CHASSE ET PÊCHE - INSTITUTIONS AGRICOLES - SOCIÉTÉS D'AMÉNAGEMENT FONCIER ET D'ÉTABLISSEMENT RURAL (SAFER) - 1) ETENDUE DES POUVOIRS DU COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT AUPRÈS D'UNE SAFER - APPROBATION - FONDÉE SUR DES CONSIDÉRATIONS D'OPPORTUNITÉ - D'UNE DÉLIBÉRATION ILLÉGALE DE LA SAFER RÉTROCÉDANT DES TERRES - APPROBATION FAUTIVE - 2) PRÉJUDICE SUBI PAR LE CANDIDAT AU RACHAT DES TERRES ILLÉGALEMENT ÉVINCÉ - PERTE DE CHANCE SÉRIEUSE DE S'ADJOINDRE LE LOT - 3) PARTAGE DE RESPONSABILITÉ ENTRE L'ETAT ET LA SAFER - CONSÉQUENCE - CONDAMNATION DE L'ETAT À NE RÉPARER QUE LA FRACTION DU PRÉJUDICE IMPUTABLE À SA FAUTE.

03-01-02 1) Commet une erreur de droit sur l'étendue de ses pouvoirs le commissaire du gouvernement auprès d'une SAFER qui se fonde sur des considérations d'opportunité pour approuver une délibération de cette SAFER rétrocédant un lot, délibération dont il a reconnu l'illégalité. 2) Le préjudice subi par le candidat malheureux au rachat des terres, évincé par cette illégalité, est constitué par la perte d'une chance sérieuse de s'adjoindre ce lot. Il est donc évalué en fonction de l'ampleur de la perte de chance. 3) La faute de la SAFER et la faute de l'Etat ayant toutes deux concouru à la réalisation de ce préjudice, l'Etat n'est condamné à réparer que la seule fraction de ce préjudice imputable à sa faute, soit en l'espèce 50% de la perte de chance.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - 1) APPROBATION FAUTIVE - PAR LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT AUPRÈS D'UNE SAFER - D'UNE DÉLIBÉRATION ILLÉGALE DE CETTE DERNIÈRE RÉTROCÉDANT DES TERRES - PRÉJUDICE SUBI PAR LE CANDIDAT AU RACHAT DES TERRES ILLÉGALEMENT ÉVINCÉ - PERTE DE CHANCE SÉRIEUSE DE S'ADJOINDRE LE LOT - 2) PARTAGE DE RESPONSABILITÉ ENTRE L'ETAT ET LA SAFER - CONSÉQUENCE - CONDAMNATION DE L'ETAT À NE RÉPARER QUE LA FRACTION DU PRÉJUDICE IMPUTABLE À SA FAUTE.

60-04-03 1) Approbation fautive, par le commissaire du gouvernement auprès d'une SAFER, d'une délibération illégale de cette dernière rétrocédant des terres. Le préjudice subi par le candidat malheureux au rachat des terres, évincé par cette illégalité, est constitué par la perte d'une chance sérieuse de s'adjoindre ce lot. Il est donc évalué en fonction de l'ampleur de la perte de chance. 2) La faute de la SAFER et la faute de l'Etat ayant toutes deux concouru à la réalisation de ce préjudice, l'Etat n'est condamné à réparer que la seule fraction de ce préjudice imputable à sa faute, soit en l'espèce 50% de la perte de chance.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2009, n° 295774
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Jean-Yves Rossi
Rapporteur public ?: M. Thiellay Jean-Philippe
Avocat(s) : SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:295774.20090410
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