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24/07/2009 | FRANCE | N°308157

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 24 juillet 2009, 308157


Vu la requête, enregistrée le 3 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Bertrand A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 3 avril 2006 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie suspendant en totalité le versement de sa pension de retraite, à compter du 1er janvier 2004 ;

2°) d'enjoindre à l'administration de procéder au nouveau calcul de ses droits dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et d'assortir cette injonction d'une ast

reinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat...

Vu la requête, enregistrée le 3 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Bertrand A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 3 avril 2006 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie suspendant en totalité le versement de sa pension de retraite, à compter du 1er janvier 2004 ;

2°) d'enjoindre à l'administration de procéder au nouveau calcul de ses droits dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ;

Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;

Vu la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le décret n° 2005-1427 du 17 novembre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Boudier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, officier de réserve en situation d'activité depuis le 1er février 1989, a bénéficié d'un congé du personnel navigant du 2 février 2000 au 2 février 2001, date à laquelle il a été radié des cadres avec le grade de lieutenant de vaisseau après avoir accompli 19 ans, 10 mois et 7 jours de services militaires ; qu'une pension militaire de retraite à jouissance immédiate lui a été concédée avec effet au 1er mars 2001 en application des dispositions relatives à la liquidation de la pension de retraite alors en vigueur, en particulier celles de l'article 86 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires prévoyant une mise à la retraite avec le bénéfice d'une pension à jouissance immédiate pour l'officier de réserve ayant accompli au moins quinze années de services, après l'expiration de son congé du personnel navigant d'un an ; qu'à partir du 2 janvier 2003, l'intéressé a été recruté par la direction générale de l'aviation civile en qualité de pilote instructeur ; que le paiement de sa pension militaire de retraite a été suspendu avec effet au 2 janvier 2003 par une décision du 2 avril 2003, avant d'être rétabli partiellement par un certificat rectificatif du 6 novembre 2003 afin de prendre en compte les dispositions de l'article 64 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites ; que M. A demande l'annulation de la décision du 3 avril 2006 par laquelle le service des pensions du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie lui a signifié la suspension totale du paiement de sa pension à compter du 1er janvier 2004 au vu de la rémunération effectivement servie par la direction générale de l'aviation civile ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique la décision du 3 avril 2006 annonçant à M. A la suspension totale du paiement des arrérages de sa pension militaire de retraite constitue une décision faisant grief ; que d'autre part, cette décision ne mentionnant pas les voies et délais de recours, le délai de recours prévu à l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'a pu commencer à courir ; que, par suite, la requête n'est pas tardive ; qu'enfin, conformément à l'article R.411-1 du code de justice administrative, la requête contient l'exposé des faits et des moyens ainsi que l'exposé des conclusions soumises au Conseil d'Etat ; que, par suite, les fins de non-recevoir opposées par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique doivent être écartées ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant, en premier lieu, que la circonstance que la décision du 3 avril 2006 ne comporte pas la mention des voies et délais de recours est sans incidence sur sa légalité ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite : La pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes : / A tout moment en cas d'erreur matérielle ; / Dans un délai d'un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit. / (...) ; qu'il ressort des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient M. A, que le service des pensions du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie n'a pas procédé à la révision de sa pension militaire de retraite par la décision du 3 avril 2006 mais s'est borné à ordonner la suspension de son paiement ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 55 du code précité, suspendre le paiement des arrérages de la pension militaire de retraite de M. A, est inopérant, la décision attaquée n'ayant eu ni pour objet, ni pour effet de modifier le droit à pension ou les bases de liquidation de la pension militaire de retraite du requérant ;

Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la restitution des sommes payées indûment au titre des pensions peut être exigée pour celles de ces sommes correspondant aux arrérages afférents à l'année en cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures ; que, par suite, M. A ne peut utilement invoquer la circonstance que la décision liquidant ses droits à pension, devenue définitive, est créatrice de droits, pour soutenir que le ministre ne pouvait, en application des règles relatives au cumul de la pension et des revenus d'activité, suspendre le versement de sa pension par une décision prise plus de quatre mois après cette première décision ;

Considérant, en quatrième lieu, que l'article L. 84 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction issue de la loi du 21 août 2003 portant réforme de retraite dispose : ...Si, à compter de la mise en paiement d'une pension civile ou militaire, son titulaire perçoit des revenus d'activité de l'un des employeurs mentionnés à l'article L. 86-1, il peut cumuler sa pension dans les conditions fixées aux articles L. 85, L. 86 et L. 86-1 ; qu'aux termes de l'article L. 85 du même code : Le montant brut des revenus d'activité mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 84 ne peut, par année civile, excéder le tiers du montant brut de la pension pour l'année considérée. Lorsqu'un excédent est constaté, il est déduit de la pension après application d'un abattement égal à la moitié du minimum fixé au a de l'article L. 17, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. ; qu'aux termes de son article L. 86 : I. - Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 84 et de l'article L. 85, les revenus perçus à l'occasion de l'exercice des activités suivantes peuvent être entièrement cumulés avec la pension : (...) / II. - En outre, par dérogation aux mêmes dispositions, peuvent cumuler intégralement le montant de leur pension avec des revenus d'activité : (...) 2º Les titulaires de pensions militaires non officiers rémunérant moins de vingt-cinq ans de services et les titulaires de pensions militaires atteignant la limite d'âge du grade qu'ils détenaient en activité ou la limite de durée de services qui leur était applicable en activité, même dans le cas où ces pensions se trouveraient modifiées à la suite de services nouveaux effectués pendant un rappel à l'activité donnant lieu à promotion de grade ; /3º Les titulaires de pensions ayant atteint, avant le 1er janvier 2004, la limite d'âge qui leur était applicable dans leur ancien emploi ; qu'aux termes de son article L. 86-1 : Les employeurs mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 84 sont les suivants : /1º Les administrations de l'Etat et leurs établissements publics ne présentant pas un caractère industriel ou commercial (...) ;

Considérant que si l'article 70 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires prévoyait avant son abrogation par l'ordonnance du 29 mars 2007, que le militaire servant en vertu d'un contrat placé en congé du personnel navigant est, à l'expiration de ce congé considéré comme ayant atteint sa limite de durée de service et rayé des contrôles avec le bénéfice de la liquidation de sa pension de retraite dans les conditions fixées par les dispositions du II de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaire de retraite. (...), M. A ne peut invoquer le bénéfice de ces dispositions qui ne sont entrées en vigueur, en vertu de l'article 107 de cette même loi, qu'à compter du 1er juillet 2005, c'est-à-dire pour les pensions liquidées à compter de cette date, pour soutenir qu'il serait en droit de cumuler intégralement le montant de sa pension et son revenu d'activité en application du 2° du II de l'article L. 86 du code des pensions civiles et militaire de retraite ; que, de même, il ne saurait utilement demander qu'en application des dispositions des articles L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite, sa pension militaire de retraite soit liquidée à compter du 1er juillet 2005, celle-ci ayant été mise en liquidation, ainsi qu'il a été dit, à compter du 2 février 2001 ; que, dès lors, c'est à bon droit que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a suspendu le paiement de la pension militaire de retraite de M. A à compter du 1er janvier 2004 ;

Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré de ce que l'application de règles différentes selon la date de sortie du service entraînerait une discrimination entre les militaires en violation du principe d'égalité ne peut qu'être écarté, dès lors que ces différences résultent de la loi elle-même ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, relatives à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, est inopérant ; que M. A ne peut utilement invoquer à l'encontre d'une décision individuelle les dispositions de la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale ;

Mais considérant que le juge de plein contentieux, lorsqu'il est saisi d'un contentieux des pensions civiles et militaires de retraite, est tenu de rechercher si les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date de son jugement sont susceptibles de créer des droits au profit de l'intéressé ; qu'aux termes de l'article 82 de la loi du 13 juillet 1972 applicable à la présente procédure : L'officier sous contrat est recruté dans les armées ou les formations rattachées, parmi les aspirants, pour une durée déterminée et renouvelable. Il ne peut dans cette situation ni servir plus de vingt ans ni dépasser la limite d'âge du grade correspondant de l'officier de carrière du corps auquel il est rattaché. (...) ; qu'il résulte de l'instruction que M. A a été nommé aspirant le 1er février 1989 ; que par suite, et en vertu des dispositions du 2° du II de l'article L. 86 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite selon lesquelles : Les titulaires de pensions militaires non officiers rémunérant moins de vingt-cinq ans de services et les titulaires de pensions militaires atteignant la limite d'âge du grade qu'ils détenaient en activité ou la limite de durée de services qui leur était applicable en activité, même dans le cas où ces pensions se trouveraient modifiées à la suite de services nouveaux effectués pendant un rappel à l'activité donnant lieu à promotion de grade, M. A peut légalement prétendre au cumul de sa pension militaire de retraite et de sa rémunération d'activité à compter du 1er févier 2009 ; qu'ainsi, la décision attaquée doit être annulée en tant qu'elle porte suspension du paiement de la pension de M. A entre le 1er février 2009 et le 9 novembre 2016, date de son cinquante-deuxième anniversaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que M. A est seulement fondé à demander l'annulation de la décision du 3 avril 2006 en tant qu'elle ne met pas fin à la suspension du paiement de sa pension militaire de retraite à partir du 1er février 2009 ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant qu'il appartient au juge saisi d'un contentieux des pensions civiles et militaires de retraite de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de lui fixer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prescrire au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de réexaminer la situation de M. A, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la requête tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 3 avril 2006 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est annulée en tant qu'elle ne met pas fin à la suspension du paiement de la pension militaire de retraite de M. A à partir du 1er février 2009.

Article 2 : Il est enjoint au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de procéder au réexamen de la situation de M. A dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à M. A une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bertrand A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 308157
Date de la décision : 24/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2009, n° 308157
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: M. Frédéric Boudier
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:308157.20090724
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