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28/10/2009 | FRANCE | N°317010

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 28 octobre 2009, 317010


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin 2008 et 9 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean-François A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, rejeté leur requête tendant à la réformation du jugement du 27 février 2006 du tribunal administratif de Toulouse condamnant le département de la Haute-Garonne à leur verser une somme de 5 000 euros, qu'ils estiment ins

uffisante, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin 2008 et 9 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean-François A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, rejeté leur requête tendant à la réformation du jugement du 27 février 2006 du tribunal administratif de Toulouse condamnant le département de la Haute-Garonne à leur verser une somme de 5 000 euros, qu'ils estiment insuffisante, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du refus opposé, le 25 juin 1998, par le président du conseil général à leur demande d'agrément aux fins d'adoption de la jeune Thanh Thuy, désormais prénommée Tiffany, d'autre part, annulé ledit jugement et rejeté leur demande présentée devant le tribunal administratif de Toulouse ;

2°) réglant l'affaire au fond, de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse en condamnant le département de la Haute-Garonne à leur verser des sommes de 22 867 euros en réparation du préjudice psychologique et moral subi par la jeune Tiffany, 15 245 euros en réparation de leur préjudice moral et 12 426,40 euros en remboursement des frais qu'ils ont exposés du fait du refus d'agrément qui leur a été illégalement opposé ;

3°) de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Roger-Lacan, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Blanc, avocat de M. et Mme A et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du département de la Haute-Garonne,

- les conclusions de M. Frédéric Lenica, rapporteur public,

- la parole ayant à nouveau été donnée à Me Blanc, avocat de M. et Mme A et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du département de la Haute-Garonne ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'au soutien de leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2006, M. et Mme A ont notamment fait valoir que, si le président du conseil général de la Haute-Garonne ne leur avait pas illégalement refusé, le 25 juin 1998, un agrément en vue de l'adoption d'un deuxième enfant, la jeune Than Thuy, désormais prénommée Tiffany, aurait pu être adoptée trois ans plus tôt, dès 1998, et ce bien avant que les adoptions internationales aient été interrompues au Vietnam à compter de mai 1999 ; qu'ainsi, le fait que les adoptions internationales au Vietnam avaient été suspendues par les autorités françaises entre mai 1999 et octobre 2000 aurait, selon eux, été sans effet sur l'adoption de l'enfant si l'agrément ne leur avait pas été illégalement refusé par la décision précitée du président du conseil général de la Haute-Garonne, dès lors que cette adoption aurait alors pu intervenir avant la suspension ; qu'en estimant, dans l'arrêt attaqué, que les époux A avaient reconnu que l'échec de leurs démarches d'adoption en 1999 était imputable à la décision du gouvernement français de suspendre les adoptions d'enfants vietnamiens à compter de mai 1999 et n'était pas lié au refus d'agrément qui leur avait été opposé, la cour administrative d'appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; que, par suite, M. et Mme A sont fondés à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur le lien de causalité existant entre le refus d'agrément illégalement opposé à M. et Mme A et le retard apporté à l'adoption de l'enfant Than Thuy :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, depuis leur premier voyage au Vietnam en mai 1997, au cours duquel ils ont procédé à l'adoption simple d'un premier enfant, M. et Mme A ont manifesté leur intention d'adopter également l'enfant alors prénommée Than Thuy et ont effectué, de façon continue à compter de cette date, un ensemble de démarches destinées à rendre cette adoption possible, tout en s'efforçant de maintenir avec cette enfant un lien susceptible de favoriser son accueil ultérieur en France ; que, dans le cadre de ces démarches, ils ont demandé au président du conseil général de la Haute-Garonne l'agrément institué par l'article L. 225-2 du code de la famille et de l'aide sociale, dans sa rédaction alors en vigueur, rendu applicable à l'adoption internationale par l'article L. 225-15 du même code, en vue d'adopter un deuxième enfant, comme ils l'avaient fait préalablement à la première adoption ; que cet agrément leur a été illégalement refusé par une décision du président du conseil général de la Haute-Garonne du 25 juin 1998 ; qu'il résulte de l'instruction que la pratique des autorités vietnamiennes de l'époque en matière d'adoption privait les époux A de la possibilité d'accueillir l'enfant Than Thuy en France au sein de leur famille dès lors que l'agrément leur avait été refusé dans leur pays d'origine ; qu'ils ne pouvaient demander au tribunal de grande instance de prononcer l'adoption plénière de cette enfant sur le fondement de l'article 353-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 1996, dès lors qu'une telle décision ne peut être prise, en application de l'article 345 du même code, que si l'enfant est accueilli depuis au moins six mois au foyer des adoptants ; qu'ainsi, le refus d'agrément qui leur a été illégalement opposé les a privés de la possibilité d'adopter l'enfant Than Thuy jusqu'à ce que cet agrément leur soit accordé par le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, le 11 juillet 2000, à la suite de leur nouvelle demande, présentée après l'annulation contentieuse de la décision illégale de refus ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que d'autres circonstances aient fait obstacle à ce que cette adoption survienne avant la suspension des adoptions internationales au Vietnam par les autorités françaises à partir de mai 1999 ; qu'il suit de là que M. et Mme A sont fondés à soutenir qu'un lien de causalité direct existe entre la décision illégale de refus d'agrément du président du conseil général de la Haute-Garonne du 25 juin 2008 et l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés d'adopter plus tôt l'enfant Than Thuy ; qu'en revanche, ce lien de causalité a pris fin avec la délivrance de l'agrément par le président du conseil général des Bouches-du-Rhône le 11 juillet 2000 ;

Sur le préjudice matériel :

Considérant qu'il y a lieu de prendre en compte, au titre du préjudice matériel, les seules dépenses exposées par M. et Mme A qui ne l'auraient pas été dans l'hypothèse où l'agrément demandé leur aurait été régulièrement délivré dès juin 1998, à l'exclusion de celles qui auraient été, en tout état de cause, inhérentes à la procédure d'adoption de l'enfant ; qu'entrent dans cette catégorie une partie des dépenses afférentes aux voyages effectués au Vietnam et des différents frais occasionnés par la procédure et le suivi de la situation de l'enfant Than Thuy, qui résidait alors au Vietnam, au cours de la période séparant le refus d'agrément de la décision accordant celui-ci ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces différents frais en les estimant à 6 000 euros ;

Sur le préjudice moral subi par M. et Mme A :

Considérant que le refus d'agrément illégalement opposé à M. et Mme A, fondé sur une appréciation erronée de leurs motivations et de leur situation familiale, ainsi que des circonstances de fait dans lesquelles cette demande était présentée, leur a causé un préjudice moral qui peut être évalué à 5 000 euros ;

Sur le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par l'enfant :

Considérant que le retard apporté à l'adoption de l'enfant Than Thuy, née en 1997, a privé celle-ci de la possibilité d'être accueillie dans la famille A puis adoptée pendant une période de deux ans au cours de sa petite enfance ; qu'aucun élément du dossier ne permet de penser que son adoption par une autre famille aurait été possible pendant cette période ni qu'une telle opportunité se soit présentée ; qu'il suit de là que la nécessité dans laquelle cette enfant s'est trouvée de vivre, pendant deux années supplémentaires, dans le centre d'hébergement des orphelins et personnes âgées où elle avait été placée au Vietnam, dans des conditions matérielles et affectives beaucoup moins favorables que celles dont elle aurait bénéficié si elle avait été accueillie dans une famille pendant la même période, est directement imputable à la décision attaquée ; que le préjudice qui en est résulté pour elle doit être estimé à 10 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à demander la réformation du jugement qu'ils attaquent et à ce que le département de la Haute-Garonne soit condamné à leur verser la somme de 21 000 euros en réparation du préjudice qui leur a été causé ainsi qu'à leur enfant mineur par le refus d'agrément qui leur a été opposé le 25 juin 1998 ;

Sur les conclusions d'appel incident présentées par le département de la Haute Garonne :

Considérant qu'il y a lieu, par voie de conséquence de ce qui précède, de rejeter les conclusions présentées par le département de la Haute-Garonne, par la voie de l'appel incident devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif en tant qu'il accordait une indemnité aux Epoux Font ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme A, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par le département de la Haute-Garonne et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 avril 2008 est annulé.

Article 2 : Le département de la Haute-Garonne est condamné à payer à M. et Mme A une somme de 21 000 euros en réparation des préjudices subis par eux et par l'enfant mineur du fait du refus du président du conseil général, le 25 juin 1998, de leur accorder un agrément en vue de l'adoption de la jeune Than Thuy, désormais prénommée Tiffany.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 27 février 2006 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Les conclusions d'appel incident présentées par le département de la Haute-Garonne devant la cour administrative d'appel de Bordeaux sont rejetées.

Article 5 : Le département de la Haute-Garonne versera à M. et Mme A une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A est rejeté.

Article 7 : Les conclusions présentées par le département de la Haute-Garonne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Jean-François A et au département de la Haute-Garonne.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 317010
Date de la décision : 28/10/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

FAMILLE - ADOPTION - REFUS ILLÉGAL D'AGRÉMENT POUR ADOPTER - PRÉJUDICE NÉ DE LA PERTE DE CHANCE D'ADOPTER UN ENFANT PLUS TÔT.

35-05 Le refus d'agrément, fondé sur une appréciation erronée de leurs motivations et de leur situation familiale, a privé les parents de la possibilité d'adopter un enfant jusqu'à ce que cet agrément leur soit accordé à la suite de leur nouvelle demande, présentée après l'annulation contentieuse de la décision illégale de refus. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que d'autres circonstances aient fait obstacle à ce que l'adoption survienne avant la suspension des adoptions internationales dans le pays concerné, un lien de causalité directe existe entre la décision illégale de refus d'agrément et l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés d'adopter plus tôt l'enfant. Ce lien de causalité, en revanche, a pris fin avec la délivrance de l'agrément par le président du conseil général.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - PRÉJUDICE - CARACTÈRE DIRECT DU PRÉJUDICE - EXISTENCE - REFUS ILLÉGAL D'AGRÉMENT POUR ADOPTER - PRÉJUDICE NÉ DE LA PERTE DE CHANCE D'ADOPTER UN ENFANT PLUS TÔT.

60-04-01-03-02 Le refus d'agrément, fondé sur une appréciation erronée de leurs motivations et de leur situation familiale, a privé les parents de la possibilité d'adopter un enfant jusqu'à ce que cet agrément leur soit accordé à la suite de leur nouvelle demande, présentée après l'annulation contentieuse de la décision illégale de refus. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que d'autres circonstances aient fait obstacle à ce que l'adoption survienne avant la suspension des adoptions internationales dans le pays concerné, un lien de causalité directe existe entre la décision illégale de refus d'agrément et l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés d'adopter plus tôt l'enfant. Ce lien de causalité, en revanche, a pris fin avec la délivrance de l'agrément par le président du conseil général.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 oct. 2009, n° 317010
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Cyril Roger-Lacan
Rapporteur public ?: M. Lenica Frédéric
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:317010.20091028
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