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07/04/2011 | FRANCE | N°344226

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 07 avril 2011, 344226


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 22 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL, dont le siège est route du Mezzavia BP 5443 à Ajaccio Cedex 5 (20504), représentée par son gérant en exercice ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 09MA0287 du 22 octobre 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du 22 juillet 2009 par laquelle le juge

des référés du tribunal administratif de Bastia l'a condamnée à verser au ce...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 22 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL, dont le siège est route du Mezzavia BP 5443 à Ajaccio Cedex 5 (20504), représentée par son gérant en exercice ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 09MA0287 du 22 octobre 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du 22 juillet 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Bastia l'a condamnée à verser au centre hospitalier de Castelluccio une provision d'un montant de 31 720 euros ;

2°) statuant en référé, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Castelluccio le versement d'une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur,

- les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du centre hospitalier de Castellucio,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du centre hospitalier de Castellucio ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable (...) " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, au terme d'une procédure d'appel d'offres ouvert, le centre hospitalier de Castelluccio a acquis auprès de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL un véhicule de transport, dont il a réglé le prix le 30 avril 2004 ; que, constatant des vices qui ont conduit à immobiliser le véhicule le 14 septembre 2007, le centre hospitalier a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande de référé expertise le 15 janvier 2008 ; qu'il a ensuite saisi ce même tribunal d'une demande de référé provision, le 15 juin 2009 ; que par une ordonnance du 22 juillet 2009, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a condamné la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL à verser au centre hospitalier une provision de 31 720 euros ; que, par l'ordonnance attaquée du 22 octobre 2010, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait interjeté contre l'ordonnance du 22 juillet 2009 ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 1648 du code civil, dans sa version antérieure à sa modification par l'ordonnance du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur à l'acquéreur : " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. " ; qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 17 février 2005 : " Au premier alinéa de l'article 1648 du code civil, les mots : " , dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. " sont remplacés par les mots : " dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice " " ; qu'aux termes de l'article 5 de cette ordonnance : " Les dispositions de la présente ordonnance s'appliquent aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur. " ;

Considérant qu'en faisant application de la version de l'article 1648 du code civil issue de l'ordonnance du 17 février 2005, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le contrat à l'origine du litige avait été conclu avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 20 octobre 2010 pour ce motif d'ordre public, qu'elle pouvait invoquer pour la première fois en cassation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur l'appel de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que c'est à tort que, pour faire droit à la demande de référé provision du centre hospitalier de Castelluccio, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia s'est fondé sur la version de l'article 1648 du code civil issue de l'ordonnance du 17 février 2005 ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL devant le tribunal administratif de Bastia et la cour administrative d'appel de Marseille ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1641 du code civil : " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. " ; qu'aux termes de l'article 1645 du même code : " Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. " ; que, selon l'article 1648 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite. [...] " ; qu'il résulte de ces dispositions que le délai prévu par l'article 1648 du code civil court à compter du jour de la découverte du vice par l'acheteur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si le véhicule de transport objet du litige a été acquis par le centre hospitalier de Castelluccio en avril 2004, celui-ci n'a eu connaissance des vices affectant la caisse du véhicule qu'au mois de juillet 2007, lors de l'immobilisation du véhicule, et des causes et de l'ampleur de ces vices qu'au mois d'août 2007, lors de la remise du rapport d'une expertise diligentée à la demande de son assureur ; qu'en introduisant une demande sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative auprès du tribunal administratif de Bastia, le 15 janvier 2008, le centre hospitalier de Castelluccio a bien agi dans un " bref délai ", au sens des dispositions de l'article 1648 du code civil ;

Considérant qu'il résulte de ces mêmes dispositions que l'acquéreur, agissant en garantie des vices cachés, qui assigne en référé son vendeur dans le bref délai pour voir ordonner une expertise, satisfait aux exigences de ce texte ; que dès lors, c'est la prescription de droit commun qui court à compter de la conclusion de la vente ;

Considérant que la demande tendant à ce que soit ordonnée une expertise, introduite le 15 janvier 2008, a interrompu le bref délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés, et a fait courir le délai de prescription de droit commun ; que, à la suite de la remise du rapport de l'expert désigné dans le cadre de l'instance de référé expertise, dressé le 16 juillet 2008 et communiqué le 5 août suivant, le centre hospitalier de Castelluccio a, ainsi qu'il a été dit, introduit le 15 juin 2009 auprès du tribunal administratif de Bastia une demande sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ; qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL n'est pas fondée à soutenir que cette demande, introduite dans le délai de prescription de droit commun à compter de la conclusion de la vente, serait tardive ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise dressé le 16 juillet 2008, que le véhicule litigieux est affecté d'un vice tenant aux soudures de la caisse, qui préexistait au transfert de propriété dès lors qu'il résulte du choix de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL d'équiper la structure du véhicule d'une caisse réalisée et posée par une autre entreprise ; que ce vice, inhérent au véhicule, rend celui-ci impropre à sa destination normale, dès lors qu'il a dû être immobilisé à la suite de la rupture de soudures ; que ce vice était inconnu de l'acheteur, non professionnel, lors de la conclusion de la vente, et ne pouvait pas être décelé par lui ; qu'il résulte de ce qui précède que la demande du centre hospitalier remplit les conditions d'engagement de la garantie par l'acheteur des vices cachés de la chose vendue ; que les préjudices subis par le centre hospitalier de Castelluccio du fait du risque de désolidarisation du châssis de la caisse du véhicule et de l'immobilisation de celui-ci, tenant au remplacement à neuf de la caisse et à la location d'un véhicule de remplacement, sont la conséquence des désordres provoqués par le vice du véhicule ; que le montant de ces préjudices indemnisables a été évalué par l'expert désigné par le tribunal administratif de Bastia à 8 970 euros pour le remplacement de la caisse du véhicule et à 22 750 euros pour la location d'un véhicule de remplacement pendant la durée de la réparation ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant ; qu'ainsi la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL ne peut utilement soutenir que le vice affectant le véhicule engagerait la responsabilité du fabricant de la caisse défectueuse ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la créance dont le centre hospitalier de Castelluccio se prévaut à l'égard de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL sur le fondement de la garantie des vices cachés n'est pas sérieusement contestable ; que, dès lors, la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de provision présentée par le centre hospitalier de Castelluccio, à hauteur de 31 720 euros ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Castelluccio qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de cette dernière le versement d'une somme de 4 500 euros au centre hospitalier, au titre de ses dépenses engagées tant devant le Conseil d'État que devant la cour administrative d'appel ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille du 22 octobre 2010 est annulée.

Article 2 : La requête de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL présentée devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL est rejeté.

Article 4 : La SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL versera au centre hospitalier de Castelluccio la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIÉTÉ AJACCIO DIESEL et au centre hospitalier de Castelluccio.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 344226
Date de la décision : 07/04/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION TECHNIQUE DU CONTRAT. CONDITIONS D'EXÉCUTION DES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS EN L'ABSENCE D'ALÉAS. MARCHÉS. MAUVAISE EXÉCUTION. - APPLICABILITÉ DES RÈGLES RÉSULTANT DES ARTICLES 1641 À 1649 DU CODE CIVIL (GARANTIE DES VICES CACHÉS) À UN MARCHÉ DE FOURNITURES - 1) EXISTENCE [RJ1] - 2) POINT DE DÉPART DU DÉLAI POSÉ À L'ARTICLE 1648 POUR EXERCER L'ACTION EN GARANTIE - DÉCOUVERTE DU VICE PAR L'ACHETEUR [RJ2] - 3) EXERCICE À BREF DÉLAI D'UNE ACTION EN RÉFÉRÉ À FIN D'EXPERTISE - CONSÉQUENCE - INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION [RJ3].

39-03-01-02-01 1) Les règles résultant des articles 1641 à 1649 du code civil relatifs à la garantie des vices cachés, sont applicables à un marché de fournitures.,,2) Le délai prévu par l'article 1648 du code civil pour exercer une action en garantie court à compter du jour de la découverte du vice par l'acheteur.... ...3) L'acquéreur, agissant en garantie des vices cachés, qui assigne en référé son vendeur dans le bref délai pour voir ordonner une expertise, satisfait aux exigences de ce texte dans sa version antérieure à la modification résultant de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Section, 9 juillet 1965, Société des pêcheries de Keroman, n° 59035, p. 418 ;

CE, 24 novembre 2008, Centre hospitalier de la région d'Annecy, n° 291539, aux Tables sur un autre point.,,

[RJ2]

Rappr. Cass civ. 1ère, 7 juin 1995, n° 93-13.060, au bulletin.,,

[RJ3]

Rappr. Cass.civ. 1ère, 12 décembre 2000, n° 98-21.789, au bulletin.


Publications
Proposition de citation : CE, 07 avr. 2011, n° 344226
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Fabrice Aubert
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:344226.20110407
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