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05/05/2011 | FRANCE | N°311770

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 05 mai 2011, 311770


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 décembre 2007 et 21 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CELOGEN, dont le siège est 15 avenue du Maréchal Joffre à Nanterre (92000) ; la SOCIETE CELOGEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 03LY01003 du 11 octobre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a, sur son appel tendant à l'annulation de l'article 3 du jugement n° 9901958-9901959 du 3 avril 2003 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus d

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 décembre 2007 et 21 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CELOGEN, dont le siège est 15 avenue du Maréchal Joffre à Nanterre (92000) ; la SOCIETE CELOGEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 03LY01003 du 11 octobre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a, sur son appel tendant à l'annulation de l'article 3 du jugement n° 9901958-9901959 du 3 avril 2003 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions des demandes de la SOCIETE CELOGEN en tant qu'elles tendaient à la décharge, en premier lieu, du rappel de droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er avril 1993 au 31 mars 1994 et des pénalités correspondantes, en deuxième lieu, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 1994 et des pénalités correspondantes, enfin, de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement des dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts, donné acte des dégrèvements intervenus en cours d'instance et rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,

- les observations de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la SOCIETE CELOGEN,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la SOCIETE CELOGEN ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les locaux professionnels de la SOCIETE CELOGEN, qui exploitait la discothèque Le Macumba à Neydens, ont été l'objet d'une visite et d'une saisie de documents en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales qui a conduit l'administration à découvrir l'existence d'une double billetterie et à dresser un procès verbal, le 21 mars 1995, de constatation d'infraction à l'article 290 quater du code général des impôts ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les périodes du 1er avril 1991 au 31 mars 1995, l'administration a reconstitué les recettes réalisées et a notifié à la société requérante des redressements en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés pour les périodes et exercices concernés ; que le tribunal administratif de Grenoble, après avoir relevé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur les conclusions des demandes, d'une part, en matière d'impôt sur les sociétés et de cotisations de 10 % sur l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos en 1992, 1993 et 1995 et, d'autre part, en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour les mêmes périodes, à raison d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus de ses demandes par un jugement du 3 avril 2003 ; que la SOCIETE CELOGEN se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 octobre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir statué sur l'étendue du litige en raison d'un nouveau dégrèvement survenu en cours d'instance, a rejeté sa requête tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge pour l'exercice clos en 1994 et pour la même période ;

Sur les conclusions tendant à la décharge des impositions en litige :

Considérant, en premier lieu, que, par un jugement du 18 septembre 2002 de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, confirmé par un arrêt du 13 novembre 2003 de la cour d'appel de Chambéry devenu définitif, la SOCIETE CELOGEN a été condamnée solidairement avec M. Roger Crochet, son dirigeant à l'époque des faits, pour infraction à l'article 290 quater du code général des impôts au paiement d'une amende de 305 005 euros, d'une pénalité de 105 981 euros et à la confiscation d'une somme de 328 000 euros représentative des recettes éludées ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration pouvait engager une procédure de redressement dès lors que, en vertu du principe d'indépendance des procédures pénale et fiscale, cette confiscation n'avait pas pour objet le recouvrement des impositions dues mais constituait une sanction réprimant l'infraction à l'article 290 quater du code général des impôts ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de la contestation du cumul des procédures ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon qu'il n'a pas été soutenu devant elle que le cumul des procédures administrative et pénale, alors que le préjudice subi par le Trésor a été réparé par un jugement du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains ordonnant la confiscation d'une somme représentative des recettes éludées, était contraire au respect des biens consacré par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que par suite le moyen tiré par la société requérante de ce que cette cour aurait commis une erreur de droit en n'accueillant pas le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que la société requérante n'a pas soutenu devant elle que la méthode de reconstitution des recettes utilisée par l'administration aurait été radicalement viciée dans son principe dès lors que l'administration n'aurait pas déduit du montant des recettes occultes les charges correspondantes ; que par suite le moyen tiré par la société requérante de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour en ne jugeant pas radicalement viciée dans son principe la méthode de reconstitution des recettes suivies par l'administration est sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué ;

Sur les conclusions relatives à la pénalité de l'article 1729 du code général des impôts :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 235 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au présent litige : Les infractions en matière de contributions indirectes et de législations édictant les mêmes règles en matière de procédure et de recouvrement sont poursuivies devant le tribunal correctionnel, qui prononce la condamnation. / L'administration instruit et défend sur l'instance portée devant le tribunal. (...) ; qu'aux termes de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au présent litige : Les amendes, majorations, intérêts de retard prévus aux articles 1725 à 1734, 1740 ter, 1756, 1756 ter,1762 sexies, 1763 à 1768, 1768 bis, 1768 ter, 1770 bis, 1784, au III de l'article 1785 D et aux articles 1788 quinquies, 1788 sexies, 1826 à 1836, 1840 H à 1840 N quater et 1840 N nonies ainsi que les droits en sus sont constatés par l'administration fiscale (...) ; qu'aux termes du 1 de l'article 1729 du même code : Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 p. 100 si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80 p. 100 s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droits au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Considérant, d'une part, que sur le fondement de l'article L. 235 du livre des procédures fiscales précité, l'administration a poursuivi la société requérante devant le juge répressif ; que ce dernier a prononcé des sanctions pénales à l'encontre de la société requérante à raison de l'infraction constatée à l'article 290 quater du code général des impôts ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a appliqué aux montants des droits dus par la société requérante pour l'année en litige la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses prévue par l'article 1729 précité ; que, contrairement à ce que soutient la SOCIETE CELOGEN, la circonstance que la loi du 17 juillet 1992 aurait supprimé au début de l'article L. 235 du livre des procédures fiscales les mots Sous réserve des dispositions de l'article 1736 du code général des impôts ne fait pas obstacle à ce qu'en vertu du principe d'indépendance des procédures pénale et fiscale, l'administration fasse application de la pénalité prévue à l'article 1729 de ce code ; que, par suite, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait cumuler les sanctions pénales réprimant les infractions en matière de contribution indirecte avec les majorations sanctionnant la mauvaise foi du contribuable ou l'organisation de manoeuvre frauduleuse ;

Sur les conclusions relatives à l'amende de l'article 1763 A du code général des impôts :

Considérant qu'aux termes de l'article 117 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1763 A ; qu'aux termes de l'article 1763 A du même code, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1759 : Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 % ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ;

Considérant que l'amende prévue à l'article 1763 A du code général des impôts est au nombre des sanctions administratives constituant des accusations en matière pénale au sens des stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en excluant par principe qu'un contribuable puisse invoquer devant un tribunal la méconnaissance de ces stipulations pour contester la procédure d'établissement d'une pénalité fiscale alors que la mise en oeuvre de cette procédure est susceptible, le cas échéant, d'emporter des conséquences de nature à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d'une procédure ultérieurement engagée devant le juge de l'impôt, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, la SOCIETE CELOGEN est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de la pénalité de l'article 1763 A du code général des impôts ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, un contribuable peut invoquer devant un tribunal la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour contester la procédure d'établissement d'une pénalité fiscale ; qu'il en résulte que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a écarté comme étant inopérant son moyen fondé sur la méconnaissance de ces stipulations ; que, toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par la SOCIETE CELOGEN devant le tribunal administratif de Grenoble ;

Considérant, en premier lieu, que le paragraphe 3 de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que : Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit en pleine égalité au moins aux garanties suivantes : (...) g. à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ; que ces stipulations ont pour objet de protéger les droits des personnes accusées d'une infraction pénale ; que, par suite, la SOCIETE CELOGEN ne peut utilement s'en prévaloir à l'appui de sa contestation de l'amende fiscale mise à sa charge qui, alors même qu'elle présente le caractère d'une accusation en matière pénale, ne sanctionne pas une infraction pénale ;

Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées de l'article 1763 A du code général des impôts ont pour objet et pour effet d'inciter une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés à révéler, à la demande de l'administration présentée sur le fondement de l'article 117 du même code, l'identité des bénéficiaires de l'excédent des distributions auxquelles elle a procédé ; qu'elles n'obligent pas cette personne morale à s'incriminer elle-même et par suite ne méconnaissent pas les stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant que ces stipulations sont regardées comme garantissant le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE CELOGEN n'est pas fondée à se plaindre du rejet par le tribunal administratif de Grenoble de ses conclusions tendant à la décharge de l'amende prévue à l'article 1763 A du code général des impôts ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la SOCIETE CELOGEN et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 11 octobre 2007 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les conclusions de la SOCIETE CELOGEN relatives à l'amende prévue à l'article 1763 A du code général des impôts.

Article 2 : Les conclusions de la requête de la SOCIETE CELOGEN tendant à l'annulation du jugement du 3 avril 2003 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette amende sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CELOGEN et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 311770
Date de la décision : 05/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2011, n° 311770
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jean-Pierre Jouguelet
Rapporteur ?: M. Matthieu Schlesinger
Rapporteur public ?: Mme Claire Legras
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:311770.20110505
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