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21/10/2011 | FRANCE | N°314768

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 21 octobre 2011, 314768


Vu le pourvoi, enregistré le 1er avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 06NC01362 du 28 janvier 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son recours tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0302879 du 13 juin 2006 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé la Société Mécanique Automobile de l'Est des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle a été assuje

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Vu le pourvoi, enregistré le 1er avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 06NC01362 du 28 janvier 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son recours tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0302879 du 13 juin 2006 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé la Société Mécanique Automobile de l'Est des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 résultant de l'intégration dans ses bases d'imposition de la valeur locative d'immobilisations mises à disposition gratuite de sous-traitants et, d'autre part, à ce que cette société soit rétablie intégralement au rôle de la taxe professionnelle au titre des années 2001 et 2002 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : "La taxe professionnelle a pour base : 1° (...) a) la valeur locative (...) des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle (...)" ; que, par une décision n° 172003 du 19 avril 2000 ministre de l'économie et des finances c/société anonyme Fabricauto-Essarauto, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que les immobilisations dont la valeur locative est ainsi intégrée dans l'assiette de la taxe professionnelle sont les biens placés sous le contrôle du redevable et que celui-ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue ; que, par une décision n° 228438 du 25 avril 2003 ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/société Asco Joucomatic, le Conseil d'Etat, après avoir rappelé les principes dégagés dans la décision Fabricauto-Essarauto, a précisé que des sous-traitants qui utilisent matériellement, pour la réalisation des opérations constitutives de leur activité, des outillages spécifiquement adaptés que le donneur d'ordres, qui en conserve la propriété, met à leur disposition sont réputés disposer de ces outillages au sens de ces dispositions, alors même que les sous-traitants n'exerceraient pas au moins partiellement un contrôle sur ces outillages ;

Considérant, d'autre part, que le législateur a, par l'article 59 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003, modifié le 3° bis de l'article 1469 du code général des impôts en prévoyant que les biens visés au 2° et 3° de cet article, utilisés par une personne qui n'en est ni propriétaire, ni locataire, ni sous-locataire, "sont imposés au nom de leur sous-locataire ou, à défaut, de leur locataire ou, à défaut, de leur propriétaire dans le cas où ceux-ci sont passibles de taxe professionnelle" ; que le II de l'article 59 de la loi de finances rectificative précise que ces dispositions "s'appliquent aux impositions relatives à l'année 2004 ainsi qu'aux années ultérieures et, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, aux impositions relatives aux années antérieures" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Société Mécanique Automobile de l'Est, filiale du groupe Peugeot Citroën, met gratuitement à la disposition de certains de ses sous-traitants des outillages dont elle est propriétaire ou qu'elle loue auprès de la société Peugeot Citroën Automobiles et qui sont utilisés pour produire des pièces ou éléments entrant dans la fabrication d'automobiles de marques Peugeot ou Citroën ; qu'elle a présenté, le 19 décembre 2002 et le 12 novembre 2003, des réclamations tendant au dégrèvement, à hauteur des sommes de 153 799 euros et 185 775 euros, des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle avait été assujettie au titre, respectivement, de l'année 2001 et de l'année 2002 au motif qu'elle avait inclus, à tort, ces immobilisations dans ses bases d'imposition ; que pour s'opposer à ces demandes, l'administration fiscale s'est prévalue des dispositions précitées du II de l'article 59 de la loi de finances rectificative lesquelles ont pour effet de valider rétroactivement les impositions mises à la charge de donneurs d'ordres en tant qu'elles sont fondées sur la valeur locative d'immobilisations mises gratuitement à la disposition de leurs sous-traitants ; que, toutefois, par jugement du 13 juin 2006, le tribunal administratif de Strasbourg a estimé que l'application de ces dispositions était incompatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a, en conséquence, fait droit aux demandes de décharge de la Société Mécanique Automobile de l'Est ; que, par l'arrêt du 28 janvier 2008 contre lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé ce jugement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ;

Considérant qu'après avoir estimé que la restitution des cotisations de taxe professionnelle indûment acquittées par la Société Mécanique Automobile de l'Est constituait un bien au sens des stipulations précitées, la cour administrative d'appel de Nancy a relevé que si l'administration invoquait, dans le dernier état de ses écritures, pour justifier la remise en cause rétroactive de la situation de la société contribuable, en application de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003, d'une part, l'enjeu budgétaire résultant de la mise en oeuvre de ces dispositions en faisant notamment valoir que les dégrèvements susceptibles d'être accordés s'élèveraient à plus de cent millions d'euros, d'autre part, l'impossibilité de réclamer les impositions supplémentaires aux sous-traitants qui pourraient y faire échec en se prévalant, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs publiés et, enfin, la circonstance que les collectivités territoriales concernées seraient susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à raison des produits fiscaux non perçus, ces éléments ne caractérisaient pas un motif d'intérêt général suffisant pour justifier la rétroactivité de la loi ;

Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant qu'une perte de recettes budgétaires, évaluée à "plus de cent millions d'euros", alliée à un risque éventuel, pour l'Etat, de voir sa responsabilité engagée par les collectivités territoriales sur le territoire desquelles étaient implantés les sous-traitants, ne constituait pas un motif d'intérêt général de nature à justifier une atteinte au droit de propriété protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de la teneur des débats des parties devant la cour, et notamment de l'argumentation développée par la Société Mécanique Automobile de l'Est dans son mémoire en réplique, que la cour n'a pas entendu affirmer que l'Etat pouvait, à la date de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2003, faire obstacle à l'invocation de la doctrine administrative par des sous-traitants à l'encontre d'impositions établies antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi mais seulement qu'il aurait pu faire obstacle à l'invocation de cette doctrine s'il l'avait rapportée, en temps utile, antérieurement à l'adoption de la loi ; que, par suite, le moyen invoqué par le ministre tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que "l'abrogation" de la doctrine pouvait faire échec à son opposabilité pour le passé doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Société Mécanique Automobile de l'Est de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la Société Mécanique Automobile de l'Est une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE PAROLE DU GOUVERNEMENT et à la Société Mécanique Automobile de l'Est.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 oct. 2011, n° 314768
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: Mme Claire Legras
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Date de la décision : 21/10/2011
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 314768
Numéro NOR : CETATEXT000024698671 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2011-10-21;314768 ?
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