La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/2011 | FRANCE | N°335155

France | France, Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 30 novembre 2011, 335155


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 décembre 2009 et 24 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Barbara A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 112 du 19 novembre 2009 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 1er octobre 2009 du conseil régional de l'ordre des médecins d'Ile-de-France la suspendant de son droit d'exercer la médecine

jusqu'à la constatation de son aptitude par une expertise médicale ;

2°...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 décembre 2009 et 24 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Barbara A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 112 du 19 novembre 2009 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 1er octobre 2009 du conseil régional de l'ordre des médecins d'Ile-de-France la suspendant de son droit d'exercer la médecine jusqu'à la constatation de son aptitude par une expertise médicale ;

2°) de condamner l'Ordre national des médecins à lui verser la somme de 300 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 22 octobre 2009, au titre de ses préjudices financiers et moraux subis du fait de l'illégalité fautive de la décision attaquée ;

3°) d'ordonner au Conseil national de l'ordre des médecins de publier la décision à venir à ses frais dans trois journaux d'annonces légales ;

4°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A et de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins,

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique : Dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Elle ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil par trois médecins spécialistes désignés comme experts, désignés l'un par l'intéressé, le deuxième par le conseil départemental et le troisième par les deux premiers. En cas de carence de l'intéressé, la désignation du premier expert est faite à la demande du conseil par ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve la résidence professionnelle de l'intéressé. Cette demande est dispensée de ministère d'avocat. / Le conseil peut être saisi soit par le préfet, soit par délibération du conseil départemental ou du conseil national. L'expertise prévue à l'alinéa précédent est effectuée au plus tard dans le délai de deux mois à compter de la saisine du conseil. (...)/ Si l'intéressé ne se présente pas à la convocation fixée par les experts, ceux-ci établissent un rapport de carence à l'intention du conseil. / Avant de se prononcer, le conseil régional ou interrégional peut, par une décision non susceptible de recours, décider de faire procéder à une expertise complémentaire dans les conditions prévues au premier alinéa. Dans ce cas, le deuxième expert est désigné par le président du conseil régional ou interrégional. / (...) La notification de la décision informe le praticien que la reprise de l'exercice professionnel ne pourra avoir lieu sans qu'au préalable ait été diligentée une nouvelle expertise médicale, dont il lui incombe de demander l'organisation au conseil départemental. ; que la décision prise en application de ces dispositions peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil national de l'ordre des médecins, qui statue par une décision administrative ; qu'il appartient à l'instance ordinale, lorsqu'elle se prononce en application de ces dispositions, d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments du dossier, notamment du rapport des experts, et compte tenu des éléments qui résultent de l'audition de l'intéressé, si le praticien présente une infirmité ou un état pathologique de nature à établir un caractère dangereux dans l'exercice de sa profession avec des patients ; que, dans le cas où, au terme de cette appréciation, elle prend une mesure de suspension du droit d'exercer, il lui incombe de motiver sa décision en indiquant les éléments au regard desquels elle a estimé que l'état du praticien intéressé rendait dangereux pour les patients l'exercice de sa profession ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, docteur en médecine du travail, a demandé à être reçue par le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris afin de lui faire part de divers dysfonctionnements auxquels elle estimait se heurter dans l'exercice de ses fonctions ; qu'elle a été entendue par le bureau du conseil départemental le 3 juin 2009 ; qu'eu égard au comportement de l'intéressée durant cet entretien, le conseil départemental a, par une délibération du 10 juin 2009, décidé de saisir le conseil régional afin d'engager la procédure de suspension temporaire du droit d'exercer la médecine pour infirmité ou état pathologique en application de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique ; que par une décision du 19 novembre 2009, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a confirmé la décision du 1er octobre 2009 du conseil régional de l'ordre des médecins d'Ile-de-France suspendant Mme A du droit d'exercer la médecine ;

Considérant, en premier lieu, qu'en se bornant à affirmer, pour confirmer cette mesure de suspension prise à raison d'un état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, que la formation restreinte du conseil régional n'avait pas méconnu les dispositions de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique en décidant, à partir du rapport de carence, qu'il convenait de suspendre le Mme A jusqu'à ce qu'elle soit présentée devant un collège d'experts , sans indiquer les éléments au regard desquels elle estimait que l'état de l'intéressée rendait dangereux pour les patients l'exercice de sa profession, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins n'a pas suffisamment motivé sa décision ;

Considérant, en second lieu, qu'en se fondant, pour confirmer la mesure de suspension litigieuse, sur la seule circonstance que les experts désignés avaient établi un rapport de carence, dont l'existence ne la dispensait pas d'exercer son pouvoir d'appréciation, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation de la décision du 19 novembre 2009 ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A était, à l'époque des faits, en recherche d'emploi depuis le 26 septembre 2008 ; qu'en lui interdisant d'exercer sa profession, la décision de suspension illégale de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins l'a privée d'une chance sérieuse de reprendre son activité professionnelle ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice ainsi que du préjudice moral subi par l'intéressée en lui accordant une indemnité de 20 000 euros ;

Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la date du 29 décembre 2009 à laquelle elle a introduit sa requête ;

Sur les conclusions à fins d'injonction au Conseil national de l'ordre des médecins de publier la présente décision et de la communiquer à certaines autorités :

Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat d'enjoindre de publier ses décisions dans les annonces légales de journaux, ni de les communiquer au préfet de Paris ou à certains organismes de l'assurance maladie ; que ces conclusions ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros à verser à Mme A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'à l'inverse, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la requérante qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

-----------------

Article 1er : La décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 19 novembre 2009 est annulée.

Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des médecins est condamné à verser à Mme A une somme de 20 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2009.

Article 3 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera à Mme A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Barbara A et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Copie en sera adressée pour information au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris.


Synthèse
Formation : 4ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 335155
Date de la décision : 30/11/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 nov. 2011, n° 335155
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Marc Dandelot
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller
Avocat(s) : SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:335155.20111130
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award