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06/12/2011 | FRANCE | N°314930

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 06 décembre 2011, 314930


Vu le pourvoi, enregistré le 7 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06/00046 du 1er février 2008 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a rejeté son recours dirigé contre le jugement n° 27/2006 du 30 juin 2006 par lequel le tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis a, d'une part, annulé sa décision du 27 janvier 2005 par laquelle il a décidé que la pension militaire d'invalidité de M. Mamadou A serait revalorisée

conformément aux dispositions de l'article 68 de la loi n° 2002-1576 ...

Vu le pourvoi, enregistré le 7 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06/00046 du 1er février 2008 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a rejeté son recours dirigé contre le jugement n° 27/2006 du 30 juin 2006 par lequel le tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis a, d'une part, annulé sa décision du 27 janvier 2005 par laquelle il a décidé que la pension militaire d'invalidité de M. Mamadou A serait revalorisée conformément aux dispositions de l'article 68 de la loi n° 2002-1576 de finances rectificative pour 2002 du 31 décembre 2002 et, d'autre part, reconnu à l'intéressé le droit de percevoir les arrérages de cette pension au taux prévu par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicables aux ressortissants français, à compter du 21 juillet 1981 sous déduction des arrérages effectivement perçus ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son recours ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code civil ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960, notamment son article 71 ;

Vu la loi de finances rectificative pour 2002 n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, notamment son article 68 ;

Vu la loi de finances pour 2007 n° 2006-1666 du 21 décembre 2006, notamment son article 100 ;

Vu la loi de finances pour 2011 n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, notamment son article 211 ;

Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;

Vu la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Patrick Quinqueton, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, de nationalité sénégalaise, ayant servi dans l'armée française du 28 septembre 1955 au 30 août 1961, date de sa radiation des contrôles de l'armée active, a demandé au tribunal départemental des pensions de Paris l'annulation de la décision du 27 janvier 2005 par laquelle l'administration a rejeté sa demande du 21 octobre 2004 tendant à obtenir, d'une part, la décristallisation de la pension militaire d'invalidité qui lui était versée depuis le 15 mai 1975 sur le fondement des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 de finances pour 1960 et, d'autre part, la revalorisation de cette pension à concurrence des montants dont il aurait bénéficié s'il avait conservé la nationalité française et au versement des arrérages correspondants échus depuis le 21 juillet 1981, sous déduction des arrérages versés ; que, par un jugement du 30 juin 2006, le tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis a fait droit à cette demande ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er février 2008 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a rejeté son appel ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ; qu'aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du même article : Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que, par sa décision n° 2010-108 QPC en date du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

Considérant que, lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées, soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur ;

Considérant que, par sa décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil constitutionnel a notamment déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, à l'exception de celles de son paragraphe VII ; qu'il a jugé que : afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, l'abrogation des dispositions précitées prendra effet à compter du 1er janvier 2011 ; afin de préserver l'effet utile de la présente décision à la solution des instances actuellement en cours, il appartient, d'une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'au 1er janvier 2011 dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la présente décision. ;

Considérant que, à la suite de cette décision, l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a défini de nouvelles dispositions pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, des pensions civiles et militaires de retraite et des retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France et abrogé plusieurs dispositions législatives, notamment celles de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 ; que, par ailleurs, son paragraphe VI prévoit que le présent article est applicable aux instances en cours à la date du 28 mai 2010, la révision des pensions prenant effet à compter de la date de réception par l'administration de la demande qui est à l'origine de ces instances ; qu'enfin, aux termes du XI du même article : Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2011 ;

Considérant que, comme il a été dit, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il appartenait au législateur de prévoir une application aux instances en cours à la date de sa décision des dispositions qu'il adopterait en vue de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ; que, pour rejeter l'appel du MINISTRE DE LA DEFENSE formé contre le jugement du tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis faisant droit à la demande de M. A tendant à obtenir la décristallisation de sa pension militaire d'invalidité et le versement des arrérages correspondants échus depuis le 21 juillet 1981, la cour régionale des pensions de Paris s'est fondée, comme le tribunal, sur les dispositions de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 ; qu'afin de préserver l'effet utile de la décision précitée du Conseil constitutionnel à la solution de l'instance ouverte par la demande de M. A, en permettant au juge du fond de remettre en cause, dans les conditions et limites définies par le paragraphe VI de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, les effets produits par les dispositions mentionnées ci-dessus, il incombe au juge de cassation d'annuler, sans qu'il soit besoin pour lui d'examiner les moyens du pourvoi dont il est saisi, l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la période postérieure au 21 octobre 2004 :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et celles de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 qui définissaient, à la date de la décision attaquée, le montant des droits à pension militaire d'invalidité de M. A, ont été abrogées à compter du 1er janvier 2011, les premières par l'article 211 de la loi de finances pour 2011, les secondes par la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 ; qu'en application du VI de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, dont la portée a été précisée ci-dessus, il y a lieu d'écarter ces dispositions législatives pour statuer sur la demande de M. A tendant à obtenir une pension militaire d'invalidité décristallisée à compter de la date de réception de sa demande par l'administration, soit à compter du 21 octobre 2004 ;

Considérant que l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 prévoit de nouvelles règles pour le calcul du montant des pensions des personnes qu'il mentionne ; que ces règles sont applicables pour le calcul de la pension militaire d'invalidité de M. A, à compter du 21 octobre 2004 ;

Sur la période antérieure au 21 octobre 2004 :

En ce qui concerne le rappel des arrérages de la pension militaire d'invalidité de M. A :

Considérant que, dans l'exercice du contrôle de conformité des lois à la Constitution qui lui incombe selon la procédure définie à l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a le pouvoir d'abroger les dispositions législatives contraires à la Constitution ; que les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher ; qu'il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit, pour statuer sur les conclusions qu'il n'a pas déjà accueillies, écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne dont la méconnaissance n'aurait pas été préalablement sanctionnée ;

Considérant qu'à cette fin, lorsqu'est en litige une décision refusant au requérant l'attribution d'un droit auquel il prétend et qu'est invoquée l'incompatibilité de la disposition sur le fondement de laquelle le refus lui a été opposé avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, il incombe au juge, en premier lieu, d'examiner si le requérant peut être regardé comme se prévalant d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel et, en second lieu, quand tel est le cas, si la disposition législative critiquée doit être écartée comme portant atteinte à ce bien de façon discriminatoire et, par suite, comme étant incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

Considérant qu'aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, rendu applicable aux ressortissants sénégalais par l'article 14 de la loi du 21 décembre 1979, modifié par l'article 22 de la loi du 31 décembre 1981 : I - A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation (...) ; qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 : I. Les prestations servies en application des articles 170 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, 71 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959) et 26 de la loi de finances rectificative pour 1981 (n° 81-734 du 3 août 1981) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants./ II. Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d'achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France. (...) / Les parités de pouvoir d'achat sont celles publiées annuellement par l'Organisation des Nations unies ou, à défaut, sont calculées à partir des données économiques existantes. / III. Le coefficient dont la valeur du point de pension est affectée reste constant jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu la liquidation des droits effectuée en application de la présente loi. Ce coefficient, correspondant au pays de résidence du titulaire lors de la liquidation initiale des droits, est ensuite réévalué annuellement. / (...) ;

Considérant que le tribunal a fait droit au moyen de M. A tiré de ce que les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et les dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 étaient incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'elles instaurent une discrimination fondée sur la nationalité en faisant dépendre le montant de la pension militaire d'invalidité attribuée au militaire de nationalité étrangère de son lieu de résidence au moment de la liquidation initiale de celle-ci, alors qu'elles ne prévoient pas la prise en compte d'un critère de résidence pour le pensionné de nationalité française ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;

Considérant, d'une part, que les pensions d'invalidité accordées aux anciens combattants et victimes de la guerre, qui sont des allocations pécuniaires personnelles, constituent pour leurs bénéficiaires des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. A a pu demander au juge d'écarter l'application des dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 en invoquant leur incompatibilité avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

Considérant, d'autre part, qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ; que les pensions d'invalidité servies en application du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de la guerre ont pour objet de garantir à leurs bénéficiaires une réparation due à raison d'infirmités imputables aux événements ou circonstances décrits à l'article L. 2 du code et de compenser les pertes de revenus et les charges financières résultant de ces infirmités ; qu'en faisant dépendre, pour les seuls pensionnés de nationalité étrangère, le montant de la pension militaire d'invalidité d'un critère de résidence au moment de la liquidation initiale de celle-ci, les dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 instaurent une différence de traitement entre les titulaires de pensions, quant à la fixation du montant de ces dernières, qui n'est pas justifiée par une différence de situation eu égard à l'objet des pensions militaires d'invalidité ; que cette différence de traitement ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec l'objectif de la loi du 30 décembre 2002 ; que les dispositions des II et III de l'article 68 de cette loi étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le ministre de la défense était tenu d'en écarter l'application ;

Considérant, en outre, que M. A a également pu, contrairement à ce que soutient le ministre, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du second alinéa du IV de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, demander au juge d'écarter l'application des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 ; que ces dernières dispositions, qui créent une différence de traitement, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, en interdisant toute revalorisation, à compter de la date qu'elles fixent, pour les seules pensions de militaires qui n'ont pas la nationalité française, sans que le critère de nationalité puisse être regardé comme un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi, sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis a jugé que les dispositions du I de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 étaient, en tant qu'ils concernent les pensions militaires d'invalidité, incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à demander qu'il soit fait application de ces dispositions ;

En ce qui concerne la prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures ;

Considérant que le fait que M. A n'ait demandé la décristallisation de sa pension militaire d'invalidité que le 21 octobre 2004 résulte d'un fait personnel qui lui est imputable, au sens de ces dispositions, dès lors qu'aucune circonstance ne l'empêchait de se prévaloir, dès la date de cette liquidation, des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre des dispositions du I de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ; que, dès lors que le ministre a opposé la prescription instituée par ces dispositions, M. A ne pouvait, en tout état de cause, prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée auprès de l'administration et aux trois années antérieures ;

Considérant que si dans son dernier mémoire le ministre fait valoir que la demande en date du 21 octobre 2004 présentée par M. A aurait été reçue dans ses services le 4 janvier 2005, il ressort des pièces du dossier que la direction interdépartementale des anciens combattants d'Ile-de-France a reçu cette demande mais a, par lettre du 17 décembre 2004 informé l'intéressé qu'il lui appartenait de présenter celle-ci à la paierie générale du Trésor ; que par suite et alors qu'il appartenait à cette direction de transmettre cette demande au service compétent, le ministre ne peut se prévaloir de la lettre en date du 4 janvier 2005 adressée par M. A à la paierie générale du Trésor pour soutenir que la date de revalorisation de la pension devrait être fixée au 1er janvier 2002 ; que M. A ayant présenté, ainsi qu'il vient d'être dit, sa demande de revalorisation de sa pension le 21 octobre 2004, le ministre, qui indique d'ailleurs que les arrérages revalorisés échus ont été versés par erreur à compter du 1er janvier 1999, est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de Seine-Saint-Denis a fixé au 21 juillet 1981 la date de la revalorisation de la pension accordée à M. A alors que cette date doit, conformément aux dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, être fixée au 1er janvier 2001 ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que M. A a demandé le versement des intérêts sur les arrérages de la pension militaire d'invalidité qui lui étaient dus ; qu'il y a lieu de faire droit à ses conclusions, à compter du 21 octobre 2004, date de réception de sa demande de décristallisation de sa pension militaire d'invalidité ; qu'il a simultanément demandé la capitalisation des intérêts afférents à ces arrérages ; qu'à cette date, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, seulement à compter du 21 octobre 2005 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date ;

Sur les conclusions de M. A présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros à verser à M. A, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Paris du 1er février 2008 est annulé.

Article 2 : La pension militaire d'invalidité servie à M. A sera revalorisée pour la période antérieure au 21 octobre 2004 conformément aux dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicables aux ressortissants français à compter du 1er janvier 2001 et à compter du 21 octobre 2004 conformément aux dispositions prévues par l'article 211 de la loi de finances pour 2011.

Article 3 : Le rappel d'arrérages de la pension de M. A sera assorti des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2004, capitalisés au 21 octobre 2005 et à chaque échéance annuelle.

Article 4 : Le jugement du 30 juin 2006 du tribunal départemental des pensions de la Seine-Saint-Denis est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera à M. A une somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Mamadou A.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 314930
Date de la décision : 06/12/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2011, n° 314930
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gilles Bachelier
Rapporteur ?: M. Philippe Belloir
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:314930.20111206
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