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09/02/2012 | FRANCE | N°330852

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 09 février 2012, 330852


Vu le pourvoi, enregistré le 14 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08NC01306 du 25 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il décharge la société S.F. Diffusion, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 du fait de l'assujettissement à cette taxe de la quo

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Vu le pourvoi, enregistré le 14 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08NC01306 du 25 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il décharge la société S.F. Diffusion, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 du fait de l'assujettissement à cette taxe de la quote-part de la redevance d'exploitation des produits " Odorup " versée par M. A, ainsi que des pénalités correspondantes, et d'autre part, de l'amende fiscale assignée à cette société sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts, et en tant qu'il réforme le jugement n° 0600596 du 19 juin 2008 du tribunal administratif de Strasbourg en ce qu'il a de contraire à la décharge ainsi prononcée ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel de la société SF Diffusion ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,

- les observations de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société S.F. Diffusion,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société S.F. Diffusion ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société S. F. Diffusion a conclu le 19 juin 2000, avec MM. A et B, une convention de concession de la licence d'exploitation exclusive des produits désodorisants " Odorup ", correspondant au brevet n° 5.678.763, sur le territoire du Canada, des Etats-Unis et du Mexique ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société S. F. Diffusion, l'administration fiscale a notifié à cette société divers redressements, dont l'un résultait de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de la redevance, d'un montant de 100 000 dollars, versée par MM. A et B au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000, au motif que cette concession de brevet devait être regardée comme une prestation de services effectuée pour un preneur établi en Allemagne ; que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ces redressements ont été mis en recouvrement le 23 septembre 2004 ; que l'administration fiscale a, par ailleurs, assigné à la société S.F. Diffusion une amende fiscale sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts pour défaut de souscription de déclaration d'échanges de biens en juin 1999 et juillet 2000 ; que, par un arrêt du 25 juin 2009, la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à l'appel de la société S.F. Diffusion, a déchargé cette société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 à raison de la redevance versée par MM. A et B pour la licence d'exploitation des produits Odorup, ainsi que de l'amende infligée à cette société sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts, et a réformé en ce sens le jugement du 19 juin 2008 du tribunal administratif de Strasbourg qui avait rejeté la demande de la société tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle avait été assujettie ;

Considérant que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT limite ses conclusions, en cas de règlement de l'affaire au fond par le Conseil d'Etat, au rétablissement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la société S.F. Diffusion au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 du fait de l'assujettissement à cette taxe de la moitié de la redevance acquittée par MM. A et B, censée correspondre à la quote-part de versement de M. A, ainsi que des intérêts correspondants, soit 6 715,50 euros en droits et 966,17 euros d'intérêts de retard, et de l'amende fiscale de 1 500 euros assignée sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts ; qu'il doit, dès lors, être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt du 25 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant seulement, d'une part, qu'il a déchargé la société S.F. Diffusion de cette fraction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000, ainsi que des intérêts correspondants, et de l'amende fiscale assignée à cette société, et d'autre part, qu'il a réformé dans cette mesure le jugement du 19 juin 2008 du tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la société S.F. Diffusion au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 :

Considérant que l'article 259 du code général des impôts, pris pour la transposition du paragraphe 1 de l'article 9 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dispose, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. " ; qu'aux termes de l'article 259 B du même code dans sa rédaction applicable à la même période, pris pour la transposition du point e) du paragraphe 2 de l'article 9 de la directive 77/388/CEE : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France lorsqu'elles sont effectuées par un prestataire établi hors de France et lorsque le preneur est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui a en France le siège de son activité ou un établissement stable pour lequel le service est rendu ou, à défaut, qui y a son domicile ou sa résidence habituelle : / 1° Cessions et concessions de droits d'auteurs, de brevets, de droits de licences, de marques de fabrique et de commerce et d'autres droits similaires (...)./ Le lieu de ces prestations est réputé ne pas se situer en France même si le prestataire est établi en France lorsque le preneur est établi hors de la Communauté européenne ou qu'il est assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre Etat membre de la Communauté " ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de Justice des Communautés européennes dans ses arrêts du 20 février 1997, Commissioners of Customs et Excise c/ DFDS A/S (C-260/95) et du 28 juin 2007, Planzer Luxembourg SARL (C-73/06), " la prise en compte de la réalité économique constitue un critère fondamental pour l'application du système commun de TVA " ; que ce principe implique notamment, ainsi que l'a rappelé la Cour dans son arrêt du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen BV (C-41/04), qu'une " opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA " ;

Considérant que l'article 259 B du code général des impôts définit, pour les prestations qu'il énumère, les règles de territorialité pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; que la localisation en France ou en dehors de France d'une prestation mentionnée par cet article dépend ainsi uniquement, en dehors des hypothèses prévues par l'article 259 C du même code, des lieux d'établissement du preneur et du prestataire ainsi que de la qualité d'assujetti du preneur, non du lieu d'exécution matérielle de la prestation ; que la seule circonstance qu'une telle prestation soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne saurait permettre de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes pour l'application des règles de territorialité de la TVA ; qu'en effet, dans une telle hypothèse, il y a lieu de rechercher si la prestation présente un caractère divisible, qui permettrait de la décomposer en plusieurs prestations distinctes dont chacune devrait être localisée en fonction du lieu d'établissement du prestataire et du lieu d'établissement de son preneur, ou si elle doit être regardée comme une prestation indivisible rendue au profit d'une unique entité économique ; que, lorsqu'une telle prestation de services est effectuée au profit d'un preneur qui est une entité économique composée de plusieurs personnes et que cette prestation constitue une opération économique indivisible, le critère fondamental de prise en compte de la réalité économique s'oppose à ce que cette prestation soit artificiellement décomposée, pour l'application des règles de territorialité de la TVA, en plusieurs prestations de services rendues aux différentes personnes composant l'entité économique preneuse ; que, sauf dans l'hypothèse où le véritable preneur est, en réalité, une seule des personnes en cause, le preneur de la prestation doit être regardé comme une entité économique distincte des personnes qui la composent, alors même que cette entité n'aurait pas la personnalité morale ; qu'aux fins de déterminer le siège de l'activité économique de l'entité preneuse en vertu de l'article 259 B du code, il convient de rechercher le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale ; qu'à cette fin, le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation, s'il peut constituer, en fonction des circonstances, un indice concourant à la détermination du siège de l'activité économique du ou des preneurs, ne peut être à lui seul un critère de rattachement territorial pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de ce ou ces preneurs ;

Considérant, dès lors, qu'en se fondant de façon déterminante sur le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par la société S.F. Diffusion établie en France, tel que révélé notamment par l'étendue du territoire pour lequel la concession était accordée, la monnaie de paiement de la redevance et le droit régissant la convention de concession, pour en déduire que cette prestation se situait en France pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, au lieu de rechercher le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de cette prestation, après avoir apprécié le caractère divisible ou indivisible de celle-ci au regard des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour a méconnu les dispositions de l'article 259 B du code général des impôts ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a déchargé la société S.F. Diffusion de l'amende fiscale assignée sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société S.F. Diffusion ne demandait pas à ces derniers la décharge de l'amende fiscale qui lui a été assignée sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts, qu'elle n'a pas incluse dans le périmètre du litige dont elle a saisi le juge de l'impôt ; que, dès lors, le ministre est fondé à soutenir qu'en déchargeant cette société de cette amende, la cour a statué au-delà des conclusions dont elle était saisie ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a déchargé la société S.F. Diffusion des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 à raison de la moitié de la redevance versée par MM. A et B, ainsi que des intérêts de retard correspondants, et de l'amende infligée à cette société sur le fondement de l'article 1788 sexies du code général des impôts, et qu'il a réformé en ce sens le jugement du 19 juin 2008 du tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur les conclusions de la société S. F. Diffusion présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 25 juin 2009 est annulé en tant qu'il décharge la société S.F. Diffusion, d'une part, de la fraction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'assujettissement à cette taxe, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000, de la moitié de la redevance versée par MM. A et B en rémunération de la concession de la licence d'exploitation des produits " Odorup ", ainsi que des intérêts de retard correspondants, et d'autre part, de l'amende fiscale assignée à cette société en application de l'article 1788 sexies du code général des impôts, et en tant qu'il réforme dans cette mesure le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 juin 2008.

Article 2 : Le jugement des conclusions présentées en appel par la société S. F. Diffusion et tendant à la décharge de la fraction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'assujettissement à cette taxe, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000, de la moitié de la redevance versée par MM. A et B en rémunération de la concession de la licence d'exploitation des produits " Odorup ", ainsi que des intérêts de retard correspondants, et à la réformation dans cette mesure du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 juin 2008, est renvoyé à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société S.F. Diffusion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à la société S.F. Diffusion.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 330852
Date de la décision : 09/02/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-01-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES. TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE. PERSONNES ET OPÉRATIONS TAXABLES. TERRITORIALITÉ. - PRESTATION DE SERVICES - CRITÈRES DU LIEU D'ÉTABLISSEMENT DU PRESTATAIRE ET DU PRENEUR (ART. 259 B DU CGI DANS SA RÉDACTION ANTÉRIEURE À LA LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2010) - PRESTATION INDIVISIBLE RENDUE AU PROFIT DE PLUSIEURS PRENEURS - CONSÉQUENCE - PRESTATION REGARDÉE COMME RENDUE AU PROFIT D'UNE ENTITÉ ÉCONOMIQUE UNIQUE DISTINCTE DES PERSONNES QUI LA COMPOSENT - DÉTERMINATION DU LIEU D'ÉTABLISSEMENT DE CETTE ENTITÉ PRENEUSE - LIEU OÙ SONT ADOPTÉES LES DÉCISIONS ESSENTIELLES CONCERNANT SA DIRECTION GÉNÉRALE.

19-06-02-01-02 La seule circonstance qu'une prestation de services soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne saurait permettre de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes pour l'application des règles de territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) posées par l'article 259 B du code général des impôts (CGI) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 (lieux d'établissement du prestataire et du preneur). Dans une telle hypothèse, il y a lieu de rechercher si la prestation présente ou non un caractère divisible. Lorsqu'elle présente le caractère d'une prestation indivisible, et sauf dans le cas où le véritable preneur est en réalité une seule des personnes en cause, elle doit être regardée comme rendue au profit d'une entité économique unique, distincte des personnes qui la composent, alors même que cette entité n'aurait pas la personnalité morale. Il convient alors de déterminer le siège de l'activité économique de cette entité preneuse, en vertu de l'article 259 B du CGI, en recherchant le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale. Le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation ne peuvent constituer, en fonction des circonstances, qu'un indice concourant à la détermination de ce siège et non, à lui seul, un critère de rattachement territorial.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 fév. 2012, n° 330852
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Philippe Martin
Rapporteur ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:330852.20120209
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