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10/10/2012 | FRANCE | N°338744

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 10 octobre 2012, 338744


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux, BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêt n° 09VE01666 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0601260 du 19 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de V

ersailles, saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie ét...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux, BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêt n° 09VE01666 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0601260 du 19 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Versailles, saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie établi à l'encontre de M. Hubert A, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'intéressé au versement d'une amende de 1 500 euros, et à ce qu'il lui soit fait injonction d'enlever son bateau, dénommé " Mélodie ", stationnant sans autorisation sur la Seine, au droit de la commune de Puteaux, dans le délai de 8 jours, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, d'autre part, à la condamnation de M. A au paiement de ladite amende et à ce qu'il lui soit fait injonction d'enlever son bateau du domaine public fluvial dans un délai de 8 jours sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de M. A et de Me Balat, avocat de Voies navigables de France,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de M. A et à Me Balat, avocat de Voies navigables de France ;

1. Considérant, d'une part, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance. " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de la contravention de grande voirie, dès qu'il est saisi par une autorité compétente, doit se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action domaniale, que lui soient ou non présentées des conclusions en ce sens ; qu'eu égard aux particularités de son office, il doit vérifier, au besoin d'office, lorsqu'un moyen tiré de l'irrégularité de la notification des poursuites est soulevé, si la procédure n'a pas été régularisée par la saisine régulière du tribunal administratif par l'autorité compétente ;

2. Considérant, d'autre part, qu'il résulte du paragraphe III de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions en matière de transports, applicable au litige, l'établissement public Voies navigables de France est substitué à l'Etat dans l'exercice des pouvoirs dévolus à ce dernier pour la répression des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial qui lui est confié ; qu'en vertu du paragraphe IV de cet article, dans le cas où des atteintes sont constatées, le tribunal administratif territorialement compétent est saisi par le président de Voies navigables de France, le directeur général de cet établissement public s'il a reçu délégation de signature ou les chefs des services extérieurs, qui sont les représentants locaux de l'établissement public, s'ils ont reçu du directeur général une subdélégation de signature ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le tribunal administratif est régulièrement saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie constatée sur le domaine public fluvial par la transmission par l'une de ces autorités de l'acte de notification du procès-verbal ainsi que de la citation à comparaître dès lors que la délégation de signature, quand elle est nécessaire, a régulièrement reçu publication ; que cette transmission régularise la procédure lorsque le procès-verbal n'a pas été régulièrement notifié au contrevenant ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que si l'acte portant notification du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 23 août 2005 et citation à comparaître de M. A a été signé par M. Ghislain B, chef d'équipe des travaux publics de l'Etat, la demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Versailles le 18 janvier 2006, a été signée par Mme Marie-Anne C, directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine ; que, par décision du 12 décembre 2005, le directeur général de cet établissement public, ayant lui-même reçu délégation de signature du président, a subdélégué sa signature à Mme C pour saisir le tribunal administratif dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial seraient constatées ; que cette décision a été publiée au bulletin officiel du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et au bulletin officiel des actes de Voies navigables de France ;

5. Considérant, par suite, qu'en jugeant, alors qu'elle a relevé que Mme C avait régulièrement reçu une subdélégation de signature, que la procédure n'avait pu être régularisée par la transmission au tribunal administratif par la directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine, du procès-verbal constatant l'infraction et la notification de ce document citant la contrevenante à comparaître, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'établissement public Voies navigables de France est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt attaqué ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 41 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, en vigueur au moment du procès-verbal litigieux : " Les contraventions sont constatées concurremment par les fonctionnaires des services de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements, les conducteurs de chantier ou agents de travaux assermentés à cet effet ou par les maires adjoints et les gardes champêtres. / Les fonctionnaires publics ci-dessus désignés qui n'ont pas prêté serment en justice le prêteront devant le préfet " ;

8. Considérant que l'établissement public Voies navigables de France a produit la carte de commission de M. B, lequel a prêté serment devant le tribunal de grande instance de Nanterre ; que cet agent était ainsi habilité pour dresser le procès-verbal du 23 août 2005 ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait que ce procès-verbal avait été signé par une personne n'ayant pas qualité pour ce faire et a rejeté au motif que la procédure suivie était dès lors irrégulière la demande de l'établissement public tendant à la condamnation du contrevenant ;

9. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur cette demande ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, alors en vigueur : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant sera passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'administration " ;

11. Considérant que le procès-verbal, établi le 23 août 2005 sur le fondement des dispositions précitées de l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, mentionne que le bateau dénommé " Melodie", dont M. A est propriétaire, stationne, sans autorisation, en rive gauche de la Seine, au point PK 18.200 sur la commune de Puteaux, et ce depuis le 17 janvier 2001 ; que ce fait est constitutif d'une contravention de grande voirie ;

12. Considérant, en premier lieu, que l'action publique doit être regardée comme éteinte en raison de l'absence de tout acte d'instruction ou de poursuite entre le 9 février 2006 et le 5 septembre 2008 ; que, par suite, les conclusions de l'établissement public Voies navigables de France tendant à la condamnation de M. A au paiement d'une amende sur le fondement de l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure précitées doivent être rejetées ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que l'action domaniale est imprescriptible ; que la circonstance que la notification du procès-verbal soit intervenue postérieurement au délai de 10 jours prévu par l'article L. 774-2 du code de justice administrative n'a pas rendu la procédure irrégulière dès lors que M. A n'établit pas qu'il aurait été porté atteinte à ses droits de la défense ; que si l'acte de notification du procès-verbal ne comporte pas de date précise et porte seulement la mention de l'année 2005, cette circonstance n'a pas en l'espèce d'incidence sur la régularité de la procédure ; qu'en invitant le contrevenant à déposer ses observations au greffe du tribunal administratif dans le délai de quinzaine tout en lui indiquant qu'il lui appartenait d'attendre que le tribunal lui communique la demande déposée par l'établissement public, l'acte de notification, qui n'avait pas à le mettre en mesure de présenter sa défense préalablement à la saisine du tribunal, s'est conformé aux prescriptions de l'article L. 774-2 de ce code invitant, s'il voulait fournir des défenses écrites, à les déposer au greffe du tribunal administratif dans le délai de quinzaine tout en l'invitant à attendre que le tribunal lui communique la requête, l'acte de notification s'est parfaitement conformé aux prescriptions de l'article L. 774-2 précité ; qu'il n'a ainsi été porté aucune atteinte aux droits de la défense garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

14. Considérant, en troisième lieu, que si M. A soutient que la procédure de contravention de grande voirie ne pouvait être poursuivie que par la personne publique propriétaire du domaine, l'établissement public Voies navigables de France est substitué à l'Etat pour assurer l'intégrité du domaine public fluvial en vertu des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1991 ;

15. Considérant, en quatrième lieu, que M. A ne peut utilement se prévaloir de ce que, par un courrier adressé le 15 octobre 2007 à la directrice interrégionale du bassin de la Seine, le maire de la commune de Puteaux aurait déclaré lui accorder une autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial ; qu'il ne peut non plus se prévaloir de la tolérance dont il a bénéficié antérieurement de la part de l'établissement public Voies navigables de France ;

16. Considérant, en cinquième lieu, que s'il se prévaut de l'absence de publication des actes concernant les règles de stationnement des bateaux-logement, et notamment des règles afférentes à la gestion des listes d'attente, cette omission, à la supposer établie, ne caractérise pas un fait de l'administration de nature à exonérer le contrevenant ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'établissement public Voies navigables de France est fondé à demander, au titre de l'action domaniale, qu'il soit fait injonction à M. A d'enlever son bateau du domaine public fluvial ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui impartir un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de prévoir à l'expiration de ce délai une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A la somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public Voies navigables de France pour l'ensemble de la procédure au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par M. A devant le tribunal et devant le Conseil d'Etat ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 28 janvier 2010 et le jugement du tribunal administratif de Versailles du 19 mars 2009 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à M. A d'enlever son bateau dénommé " Mélodie " stationnant sans autorisation sur la rive gauche de la Seine, au point PK 18.200 au droit de la commune de Puteaux dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Article 3 : M. A versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'établissement public Voies navigables de France et les conclusions de M. A présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public Voies navigables de France et à M. Hubert A.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 338744
Date de la décision : 10/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux répressif

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2012, n° 338744
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gilles Bachelier
Rapporteur ?: M. Hervé Cassagnabère
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : BALAT ; SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:338744.20121010
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