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10/10/2012 | FRANCE | N°338750

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 10 octobre 2012, 338750


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux, BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêt n° 09VE01669 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0709578 du 19 mars 2009 par lequel tribunal administratif de Vers

ailles, saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie établ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'établissement public Voies navigables de France, dont le siège est 175 rue Ludovic Boutleux, BP 820 à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêt n° 09VE01669 du 28 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0709578 du 19 mars 2009 par lequel tribunal administratif de Versailles, saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie établi à l'encontre de MM. Christophe A et Patrick B, a rejeté sa demande tendant à la condamnation des intéressés au versement d'une amende de 1 500 euros, en application de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, et à ce qu'il leur soit fait injonction de procéder à l'enlèvement de leur bateau, dénommé " Neptune ", stationnant sans autorisation sur la Seine, au droit de la commune de Saint-Cloud, du domaine public fluvial dans le délai de huit jours, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, à la condamnation de MM. A et B au paiement de ladite amende et à l'enlèvement de leur bateau du domaine public fluvial dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de MM. A et B le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil ;

Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Balat, avocat de Voies navigables de France et de Me Spinosi, avocat de MM. A et B ;

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de Voies navigables de France et à Me Spinosi, avocat de MM. A et B ;

1. Considérant, d'une part, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance. " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de la contravention de grande voirie, dès qu'il est saisi par une autorité compétente, doit se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action domaniale, que lui soient ou non présentées des conclusions en ce sens ; qu'eu égard aux particularités de son office, il doit vérifier, au besoin d'office, lorsqu'un moyen tiré de l'irrégularité de la notification des poursuites est soulevé, si la procédure n'a pas été régularisée par la saisine régulière du tribunal administratif par l'autorité compétente ;

2. Considérant, d'autre part, qu'il résulte du paragraphe III de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions en matière de transports, applicable au litige, que l'établissement public Voies navigables de France est substitué à l'Etat dans l'exercice des pouvoirs dévolus à ce dernier pour la répression des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial qui lui est confié ; qu'en vertu du paragraphe IV de cet article, dans le cas où des atteintes sont constatées, le tribunal administratif territorialement compétent est saisi par le président de Voies navigables de France, le directeur général de cet établissement public s'il a reçu délégation de signature ou les chefs des services extérieurs, qui sont les représentants locaux de l'établissement public, s'ils ont reçu du directeur général une subdélégation de signature ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le tribunal administratif est régulièrement saisi du procès-verbal de contravention de grande voirie constatée sur le domaine public fluvial par la transmission par l'une de ces autorités de l'acte de notification du procès-verbal ainsi que de la citation à comparaître dès lors que la délégation de signature, quand elle est nécessaire, a régulièrement reçu publication ; que cette transmission régularise la procédure lorsque le procès-verbal n'a pas été régulièrement notifié au contrevenant ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que si l'acte du 22 juin 2007 portant notification du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 12 juin 2007 par M. Ghislain C, chef d'équipe des travaux publics de l'Etat, et citation à comparaître de MM. A et B a été signé par M. Daniel D, chef de la subdivision par intérim de Voies navigables de France, la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Versailles le 31 août 2007, a été signée par Mme Marie-Anne E, directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine ; que, par décision du 27 avril 2007, le directeur général de cet établissement public, ayant lui-même reçu délégation de signature du président, a subdélégué sa signature à Mme E pour saisir le tribunal administratif dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial seraient constatées ; que cette décision a été publiée au bulletin officiel du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

5. Considérant, par suite, qu'en jugeant, alors qu'elle a relevé que Mme E avait régulièrement reçu une subdélégation de signature, que la procédure n'avait pu être régularisée par la transmission au tribunal administratif par la directrice interrégionale de Voies navigables de France, chef du service de la navigation de la Seine, du procès-verbal constatant l'infraction et la notification de ce document citant les contrevenants à comparaître, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'établissement public Voies navigables de France est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt attaqué ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132-21 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction applicable au moment du procès-verbal litigieux : " Sous réserve de dispositions législatives spécifiques, les agents de l'Etat assermentés à cet effet devant le tribunal de grande instance et les officiers de police judiciaire sont compétents pour constater les contraventions de grande voirie. " ; qu'aux termes de l'article L. 2132-23 du même code : " Outre les agents mentionnés à l'article L. 2132-21, les fonctionnaires des collectivités territoriales et de leurs groupements, les adjoints au maire et les gardes champêtres ont compétence pour constater concurremment les contraventions en matière de grande voirie fixées par les articles L. 2132-5 à L. 2132-10, L. 2132-16, L. 2132-17 et les textes pris pour leur application. / Les fonctionnaires mentionnés ci-dessus qui n'ont pas prêté serment en justice le prêtent devant le préfet " ;

8. Considérant que l'établissement public Voies navigables de France a produit la carte de commission de M. C, lequel a prêté serment devant le tribunal de grande instance de Nanterre ; que cet agent était ainsi habilité pour dresser le procès-verbal du 12 juin 2007 ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait que ce procès-verbal avait été signé par une personne n'ayant pas qualité pour ce faire et a rejeté au motif que la procédure suivie était dès lors irrégulière la demande de l'établissement public tendant à la condamnation des contrevenants ;

9. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur cette demande ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'autorité administrative compétente " ;

11. Considérant que le procès-verbal, établi le 12 juin 2007 sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, mentionne que le bateau dénommé " Neptune " dont MM. A et B étaient propriétaires, stationne, sans autorisation, en rive gauche de la Seine, au point PK 12.9 sur la commune de Saint-Cloud ; que ce fait est constitutif d'une contravention de grande voirie ;

12. Considérant, en premier lieu, que MM. B et A ne peuvent utilement invoquer la tolérance dont ils ont bénéficié, comme les précédents propriétaires antérieurement, de la part de l'établissement public, notamment au moment de l'achat du bateau ; que s'ils se prévalent de l'absence de publication des actes concernant les règles de stationnement des bateaux-logement, et notamment des règles afférentes à la gestion des listes d'attente, cette omission, à la supposer établie, ne caractérise pas un fait de l'administration de nature à exonérer le contrevenant ; que la circonstance que l'établissement public ne serait pas en mesure de leur offrir un emplacement sur le domaine public ne caractérise pas non plus un fait de l'administration de nature à exonérer les contrevenants ; qu'ils ne peuvent pas non plus se prévaloir des taxes locales qu'ils ont acquittées ou de leur placement sur une liste d'attente en vertu d'une décision du 23 janvier 2008 de l'établissement public ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que MM. B et A ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance que le bateau ne constituerait pas une gêne et ne poserait pas de problème de sécurité ; que la circonstance que l'établissement public aurait sollicité des coupures d'eau et d'électricité à leur encontre auprès des opérateurs concernés est sans incidence sur leur droit à se maintenir sans autorisation sur le domaine public fluvial ;

14. Considérant, en troisième lieu, que l'obligation de déplacer le bateau appartenant à MM. B et A ne porte pas une atteinte disproportionnée à leur droit de mener une vie familiale normale ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, de même, une telle mesure ne porte pas en elle-même atteinte au droit au domicile régi par l'article 102 du code civil ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'établissement public Voies navigables de France est fondé à demander au titre de l'action publique que MM. A et B soit condamnés au paiement d'une amende de 1 500 euros ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que M. B a cédé ses parts à M. A, devenu seul propriétaire du navire ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'établissement public au titre de l'action domaniale en tant qu'elles sont dirigées contre M. B ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'impartir à M. A un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de prévoir à l'expiration de ce délai une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge, d'une part, de M. A et, d'autre part, de M. B la somme de 750 euros à verser à l'établissement public Voies navigables de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par MM. A et B ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 28 janvier 2010 et le jugement du tribunal administratif de Versailles du 19 mars 2009 sont annulés.

Article 2 : MM. A et B sont condamnés au paiement d'une amende de 1 500 euros.

Article 3 : Il est enjoint à M. A d'enlever son bateau dénommé " Neptune " stationnant sans autorisation sur la rive gauche de la Seine, au point PK 12.9 au droit de la commune de Saint-Cloud dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Article 4 : MM. A et B verseront chacun une somme de 750 euros à l'établissement public Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de l'établissement public Voies navigables de France et les conclusions de MM. A et B présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public Voies navigables de France, à M. Christophe A et à M. Patrick B.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 338750
Date de la décision : 10/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux répressif

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2012, n° 338750
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gilles Bachelier
Rapporteur ?: M. Hervé Cassagnabère
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : BALAT ; SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:338750.20121010
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